En cas de violation du cahier des charges au sein d’une ASL ou d’un lotissement, notamment un coloti peut-il exiger la démolition de la construction ou de l’extension litigieuse ? Ou une simple indemnisation du préjudice subi qu’il faut désormais prouver suffirait-elle ? L’histoire d’un revirement,
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Le nombre d’achats de maisons individuelles qui sont inscrites au sein d’un lotissement ou d’une ASL, association syndicale libre, sont en nette augmentation.
Cela s’explique notamment par l’ingéniosité de lotisseurs qui ont créé par ce biais de véritables quartiers de résidences et de villas aux fins d’occupation bourgeoise, avec des règles de vie permettant une certaine harmonie, et par là même un cadre de vie agréable et homogène.
Pour autant, ces achats de villas et de maisons individuelles au sein de lotissements peuvent être générateurs de contentieux, surtout lorsque les voisins de l’acheteur voient d’un mauvais œil l’édification d’un nouveau projet immobilier au lieu et place de l’ancienne demeure ou bâtisse.
Tantôt destruction totale faisant place à un nouveau projet plus ambitieux.
Tantôt des extensions parfois d’importance, pouvant impacter considérablement l’équilibre général…. Et légitimement inquiéter les voisins…
Ces questions sont déjà abordées depuis de nombreuses années par la jurisprudence qui semblaient avoir posées des bases solides en la matière.
C’est sans compter deux arrêts très récents de la Cour de cassation, rendus par la 3ème chambre civile, le 13 juillet 2022, promus à une large publication et qui viennent sensiblement changer la donne.
Rappelons pour la bonne forme qu’une maison en lotissement se construit sur un terrain préalablement divisé en plusieurs parcelles à bâtir.
Une solution qui présente de nombreux avantages pour l’acquéreur du terrain.
Cependant, il ne faut pas oublier que le nouveau propriétaire, est également tenu de s’adapter aux règles régissant le lotissement et ce, sur la base de trois actes importants :
– Les statuts du lotissement,
– Le cahier des charges,
– Le règlement.
Ainsi, la personne qui achète en lotissement achète sa maison au sein d’un lotissement et est pleinement propriétaire de sa maison et de son terrain.
Il est également tenu d’une quote-part des parties communes, telle que la voirie.
En contrepartie, le propriétaire est tenu de respecter des règles contraignantes qui sont à la fois fixées dans les statuts, le règlement et le cahier des charges.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, deux SCI se sont portées propriétaires des lots n°17 n°18, d’un lotissement situé dans le Var, pour ensuite déposer deux dépôts d’un permis de construire, afin d’entreprendre, sous la maitrise d’œuvre de l’architecte, la construction de deux immeubles, de 6 et 7 logements avec piscine.
Pour autant, les propriétaires du lot n°16, les voisins immédiats, propriétaires depuis 2000 d’une maison d’habitation bâtie sur un terrain de 1658 m², ont invoqué la violation du cahier des charges du lotissement, et ont assigné la SCI ainsi que l’architecte afin d’obtenir à titre principale, la démolition des ouvrages édifiés, et subsidiairement, des dommages et intérêts.
Quelle obligation pour le coloti ?
La question qui se pose est de savoir si un des colotis peut demander la démolition d’une construction qui viendrait violer les règles qui s’imposent au sein du lotissement.
Celles-ci sont-elles éternelles et intangibles ? Et par là même ces règles seraient-elles frein à toute idée de modernisme, d’amélioration, d’innovation, et d’extension ?
Il convient de dissocier au sein de ces règles, le règlement du lotissement du cahier des charges du lotissement, qui n’ont pas suivi le même parcours juridique, ces dernières années, notamment, en l’état de la Loi du 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « Loi ALUR ».
Il est vrai que si règlement et cahier des charges s’imposent au sein d’un lotissement, ces derniers ont suivi un parcours juridique complètement différent.
Le règlement du lotissement, est quant à lui, un document qui émane souvent d’aménageur et ce document n’a pas vocation à régir les relations entre propriétaires mais plutôt à compléter les règles d’urbanismes déjà en vigueur sur une commune, en les rendant souvent plus contraignants dans le périmètre du lotissement.
Ce document s’imposait à l’ensemble des colotis étant à rappeler, que sa validité n’était pas infinie puisqu’elle cesse de s’appliquer 10 ans après la délivrance de l’autorisation de lotir.
Il est vrai que des dérogations étaient possibles et permettaient toutefois de solliciter le maintien du règlement, passé ce délai.
Cependant, la loi ALUR du 24 mars 2014 a supprimé l’opposabilité du règlement, de telle sorte que l’ensemble des règlements sont devenus caduques.
Quelle est la force juridique du cahier des charges ?
Le sort juridique du cahier des charges n’est pas du tout le même puisqu’il convient de rappeler que le cahier des charges est quant à lui un document de nature contractuelle et d’ordre privé.
Il s’agit d’un document rédigé par le lotisseur lui-même et à la différence du règlement, le cahier des charges définit les droits et les obligations de chacun dans un esprit de « bon vivre ensemble », de telle sorte que les règles et les servitudes qu’il contient sont destinées à régir les relations entre les propriétaires et entre le lotisseur et les acquéreurs de lots.
Ils ont une portée contractuelle entre les colotis.
Ni le Code de l’urbanisme, ni le Code civil, ne prévoient aucune limite dans la durée de vie du cahier des charges, il en découle que celui-ci produit ses effets au-delà de 10 ans, a une portée contractuelle entre les colotis et reste opposable entre eux.
La Cour de cassation, dans ses précédentes jurisprudences, rappelant le principe suivant lequel, un cahier des charges constitue un document contractuel dont les clauses engagent les colotis pour toutes les stipulations qui y sont contenues.
Dès lors, tout coloti qui se sentirait lésé par une extension ou une construction d’un autre coloti, et qui serait fait en violation des règles du cahier des charges dudit lotissement, serait alors en mesure d’engager une action sur la base d’une responsabilité contractuelle.
Quelle sanction en cas de violation du cahier des charges ?
Surtout, jusqu’alors la jurisprudence ordonnait, en cas de violation du cahier des charges, et de manière parfaitement automatique, la remise en état et la destruction de l’édifice litigieux, ce qui était lourd de conséquence.
Pour autant ces deux nouvelles jurisprudences du 13 juillet 2022 changent la donne.
Car c’est fort des violations du cahier des charges que les consorts Y avaient saisis la juridiction civile, sur la base de cette violation contractuelle des règles du cahier des charges et ont réclamé à la fois, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et à la fois, à titre subsidiaire, l’allocation de dommages et intérêts.
Il est vrai dès 2016, la jurisprudence avait consacré la sanction suivant laquelle le bien en son entier, ou l’extension litigieuse, serait inévitablement détruit, afin de permettre une remise en état.
La sanction pouvait sembler sévère, d’autant plus que la jurisprudence reconnaissait une responsabilité contractuelle de plein droit, sans que le demandeur à la démolition ait à justifier d’un préjudice quelconque, ce qui pouvait sembler particulièrement disproportionné, surtout lorsque ce dernier était parfois de l’autre côté du lotissement.
C’est ce sentiment de disproportion qui a justement amené la Cour de cassation a revoir son positionnement, dans le cadre de ces deux jurisprudences.
Initialement, deux arrêts avaient été rendus par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, le 11 mars 2021 dans lesquels les consorts Y avaient été déboutés de leur demande aux fins de démolition de la construction, amenant ces derniers à se pourvoir en cassation, pour obtenir non seulement l’allocation de dommages et intérêts mais également, et surtout, la démolition de l’édifice.
Dans le cadre de son pourvoi, les consorts Y ont présenté plusieurs arguments.
Ces derniers rappelant « mordicus », sur la base d’une jurisprudence bien établie, que le propriétaire d’un lot, dans un lotissement, a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention, à l’engagement contractuel résultant du cahier des charges, soit détruit, indépendamment de l’existence ou de l’importance du préjudice, dès lors que la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges est établie.
Ces derniers considéraient que l’expulsion et la démolition étaient les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de retrouver la plénitude de son droit sur le bien, et d’entrainer un parfait respect du cahier des charges dans toutes ces clauses.
Dès lors, dans la mesure ou la jurisprudence a, jusqu’alors, toujours sanctionné des contraventions au cahier des charges par la remise en état, et donc la démolition totale ou partielle de l’édifice, il n’était que juste, que ces derniers demandent la démolition des immeubles construits sur les deux lots voisins, ceci d’autant plus que ces derniers considéraient que les deux SCI, ayant substitué aux maisons d’habitation des immeubles de 6 à 7 logements, venaient forcément créer un désagrément important.
La Cour de cassation procède par revirement, et mets fin à l’idée même d’une destruction « automatique » en intégrant, enfin, dans son raisonnement, la notion de disproportion.
La haute juridiction considère que si la construction en question viole effectivement l’article 8 du cahier des charges du lotissement, dès qu’elle n’est pas implantée dans un carré de 30 mètres sur 30 mètres, le cahier des charges qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur les lots acquis par les SCI.
De telle sorte que les constructions réalisées situées à l’arrière de la villa des consorts Y n’occultaient pas la vue dont ils bénéficiaient, et qu’il n’en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais stout simplement un ressenti négatif pour ces derniers, en raison de la présence, en amont de leur propriété d’un ensemble de 6 ou 7 logements, se substituant à une ancienne villa.
Il y avait-il pour autant matière à destruction ?
La Cour de cassation confirme le raisonnement juridique de la Cour d’Appel et considère qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective, dans l’unique but d’éviter au propriétaire d’une villa, le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement, bien que celui-ci ne soit plus opposable, et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis.
Il y avait dès lors disproportion manifeste entre le côut de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, de telle sorte que la demande d’exécution en nature consistant à une remise en état, et donc à la destruction de l’édifice totale ou partielle, devait être rejetée comme manifestement disproportionnée.
La destruction de l’édifice litigieux comme « sanction automatique » de la violation des règles du cahier des charges n’est plus.
La violation du cahier des charges pouvant désormais être simplement sanctionné par l’allocation de dommages et intérêts.
Ce revirement de jurisprudence est très intéressant, car sur le terrain pratique les conséquences sont très importantes.
Quel avenir pour le cahier des charges ?
Cette jurisprudence est très intéressante puisqu’elle vient intégrer la notion de disproportion dans les demandes du coloti qui viendrait reprocher à son voisin des constructions ou des extensions qui ne seraient pas conformes au cahier des charges.
A bien y comprendre, il appartient désormais au demandeur qui s’estime lésé par la violation du cahier des charges par de son voisin doit désormais justifier d’un légitime préjudice, qu’il s’agisse d’un préjudice de vue, d’un préjudice de vis-à-vis ou d’un préjudice de confort de vie, pour pouvoir oser solliciter judiciairement la démolition de l’ouvrage litigieux.
En cas de disproportion, de simples dommages et intérêts seront accordés.
L’épée de Damoclès n’est pas la même.
Surtout pour un investisseur ou un promoteur !
A mon sens, il faut cependant nuancer la position de la Cour de cassation, qui ne vient pas non plus exclure toute possibilité de démolition, mais vient exiger une notion de proportionnalité entre le préjudice subi par le voisin en termes de vis-à-vis, ou de vue du chef de cette violation du cahier des charges ; et le cout de la destruction proprement dite dont la sanction peut sembler insupportable pour celui qui a juste voulu embellir ou améliorer son domicile, et sortir par là même des carcans de cadre de vie, vieux de plusieurs dizaines d’années, qui n’ont plus cours aujourd’hui.
Une réflexion s’impose quant à la portée de ce revirement, qui peut inquiéter par ailleurs….
La violation du cahier des charges, un calcul d’opportunité pour le promoteur ?
En effet, finalement tout dépend de la personne du coloti qui décide de violer les dispositions du cahier des charges.
Cette évolution jurisprudentielle ne viendrait-elle pas enlever à des promoteurs, cette épée de Damoclès de la destruction et la remise en état de l’édifice par de simples dommages et intérêts, ce qui n’est pas forcément une menace suffisamment sérieuse pour des promoteurs qui ont déjà quantifié leur budget, quant à l’organisation de leur programme immobilier et qui vont intégrer dans leur programme financier et leur business plan, le risque d’allocation de dommages et intérêts tout en sachant pouvoir conserver l’édifice litigieux, qu’importe les violations du cahier des charges.
Bien plus, rappelons que les juges français n’ont pas la réputation d’être des juges extrêmement généreux en termes d’indemnisation du préjudice, car si les anglosaxons ont développé cette notion de dommages et intérêts punitifs pour venir sanctionner celui qui aurait violé une règle, les juges français quant à eux, sont cantonnés à la seule indemnisation d’un juste et réel préjudice.
Mais que vaut un préjudice de jouissance, un préjudice de vue ou de vis-à-vis face à un programme immobilier ?
Poussant le raisonnement à l’extrême, cette simple indemnisation « proportionnée » n’amènerait-elle pas à vider de tous sens l’action initiée par des colotis qui ne seraient pas mitoyens de l’édifice litigieux et qui n’auraient plus aucune légitimité, ni à demander la destruction, ni à revendiquer quelques dommages et intérêts que ce soit.
Finalement, cette jurisprudence vient ouvrir la boîte de Pandore et fragiliser le socle de l’opposabilité absolue du cahier des charges, puisque nonobstant la force contractuelle de ce dernier, la seule question posée dans le cadre d’un éventuel contentieux consisterait à déterminer le taux de proportionnalité entre d’un côté, l’audace architectural et, de l’autre côté, un simple coût d’indemnisation à fixer.
Puisque tout serait alors pensé pour rendre toute destruction de l’édifice litigieux forcément disproportionné…
Enfin, de manière plus anecdotique, cette jurisprudence vient apporter une réponse particulière quant au sort du partage de responsabilité entre le maître d’ouvrage du bien, le propriétaire, mais également le maitre d’œuvre, l’architecte, qui a pour mission de s’assurer de la parfaite validité du projet immobilier dont il le contrôle.
Il convient en effet de rappeler que l’architecte, est, sur le fondement de l’article 1147 du code civil, tenu envers le maître d’ouvrage, de répondre de l’exécution de son devoir de conseil quant à la faisabilité du projet de construction confié, en vérifiant la conformité du projet aux règles de l’urbanisme, mais également, en s’assurant de de la conformité de son projet avec les règles de droit privé, telles que les clauses du cahier des charges.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus – Avocat à Saint Raphael, Docteur en Droit,
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