Un couple de vacanciers opte pour un séjour en croisière à travers l’Asie. Le premier vol est retardé leur faisant rater le départ de la croisière. Ils essuient ensuite un refus d’embarquer sur le navire qu’ils ont rejoint à l’une des escales à cause de la crise sanitaire liée au COVID. Ces derniers rentrent par leurs propres moyens. Qu’en est-il de la responsabilité du voyagiste et du croisiériste ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue, une fois n’est pas coutume, par le Tribunal judiciaire de Draguignan du 29 février 2024 N°RG22/00031 et qui vient aborder l’hypothèse de la responsabilité du voyagiste alors que les clients ont réservé un séjour en Asie avec une croisière.
Ces derniers ont rencontré plusieurs difficultés puisque, premièrement, le vol devant les amener en Asie a pris du retard ce qui fait que ces derniers ont ratés une correspondance, de telle sorte qu’ils ont ratés le point de départ de la croisière, et deuxièmement, parce qu’ils ont tentés de rattraper le navire sur une de ses escales par leurs propres moyens, dite escale pour laquelle ils n’ont pas pu embarquer à bord, l’équipage refusant de les faire monter à bord à cause de la crise liée à la pandémie du COVID qui venait tout juste d’apparaitre.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, suivant bon de commande du 08 août 2019, les consorts G ont acheté auprès de la SAS K un séjour du 02 au 21 mars 2020 comprenant un vol aller/retour de Paris avec un supplément départ de Nice, une croisière, les repas selon le programme, les nuits d’hôtels ainsi que les taxes pour un montant total de 4 938.00 euros.
Le 09 août 2019 une facture était établie par la société K d’un montant de 4 938.00 euros avec un solde à régler de 3 457.00 euros avec déduction d’un règlement effectué le même jour d’un montant de 1 481.00 euros.
Or, le vol prévu au départ de Nice le 02 mars 2020 a accusé un retard important de sorte que les époux G ont manqués leur vol de correspondance jusqu’au port de départ et n’ont pas pu embarquer à Singapour sur le navire C à la date prévue, soit, le 03 mars 2020.
Le vol de départ retardé
Ils se sont donc rendus à Phuket, en Thaïlande, par leurs propres moyens qui constituait l’escale suivant de ce navire mais n’ont pas pu embarquer pour les raisons sanitaires liées à la pandémie du COVID qui venait d’éclater.
Le refus d’embarquer à bord du navire de croisière
Ils n’ont donc pas eu d’autre choix que d’y séjourner du 03 au 09 mars 2020, puis, le 10 mars 2020 à leur arrivée au port de Singapour, ils ont été informés par le croisiériste de l’annulation de la croisière.
Après avoir échangé avec l’agence K, ils se sont rendus sur l’Île de Bintan où ils ont séjourné jusqu’au 21 mars 2020 avant de regagner Nice par le vol initialement prévu de retour.
Faisant valoir que la SAS K, en qualité de voyagiste, avait commis un certain nombre d’erreur à l’origine de leur préjudice, les consorts G ont fait assigner devant le Tribunal judiciaire cette dernière en indemnisation et la société K a quant à elle assigné en intervention et garantie la société C, croisiériste.
L’indemnisation des vacances gachées
Les deux instances ont été jointes et dans leur demande les consorts G venaient réclamer la condamnation à titre principal du voyagiste au paiement de la somme de :
- 4 938.00 euros au titre du remboursement de la totalité du voyage d’un montant de 4 938.00 euros,
- 00 euros au titre du remboursement de 30 repas et boissons pour deux personnes,
- 00 euros au titre du remboursement des frais de taxis,
- 00 euros au titre du remboursement du vol Phuket Singapour,
- 00 euros au titre de remboursement des frais de téléphone,
- 1 601.19 euros au titre du remboursement de frais d’avion, hôtels, taxis réglés par carte bancaire
- Outre 10 000.00 euros de dommages et intérêts et le légitime article 700.
Les consorts G se fondaient sur les dispositions des articles L211-14 et L211-16 du Code du tourisme, rappelant que le voyagiste a organisé un séjour clés en main et voit dès lors sa responsabilité de plein droit engagée même si les obligations sont exécutées par un autre partenaire prestataire de service.
Ils soulignent que le refus d’embarquement découle initialement d’une difficulté liée au transit et que dès lors, la société K ne peut se retrancher derrière la crise sanitaire qui ne revêt par le caractère des forces majeures, et qui n’est pas nécessaire qui démontre une quelconque faute du voyagiste.
La responsabilité de l’agence de voyage
Le voyagiste, quant à lui, affirme que la responsabilité de l’agence de voyage peut être écartée selon l’article L211-16 du Code du tourisme lorsque la mauvaise exécution ou l’inexécution des services du voyage a pour origine une circonstance exceptionnelle et inévitable telle la pandémie du COVID 19 à l’origine du refus d’embarquement des époux G lors de l’escale de Phuket et de l’annulation de la croisière.
Elle souligne qu’ils ont traités avec la société C, croisiériste, directement lors de leur escale manquée à Phuket sans se rapprocher d’elle.
Bras de fer entre voyagiste et croisiériste
Subsidiairement, la société K, voyagiste, faisait valoir que l’article L211-16 prévoit le recours du professionnel contre le fournisseur défaillant soumis aux droits communs de la responsabilité contractuelle, de telle sorte que la société C, ayant eu une gestion erratique de la situation, engageait sa responsabilité contractuelle et justifiant qu’en cas de condamnation elle soit elle-même condamnée à relever et garantir le voyagiste.
Le croisiériste, quant à lui, affirmait que pour voir engagée sa responsabilité la société K, en sa qualité de venderesse d’un voyage, dans lequel la croisière assurée par C était incluse, devait démontrer l’existence d’une faute ce qu’elle échoue à faire.
Le croisiériste rappelant en effet que la cause exclusive de l’impossibilité pour les demandeurs d’embarquer le 03 mars 2020 réside dans le retard de leur vol d’acheminement au départ de Nice et que la raison qu’ils n’ont pu embarquer à Phuket le 06 mars 2020 est le refus que leur a opposé les autorités Thaïlandaises.
Le croisiériste ajoutant que sa décision d’annuler la croisière du 10 mars 2020 est justifiée en raison de la propagation fulgurante de l’épidémie de COVID et aux mesures prises en conséquence par les autorités du pays d’escale du navire.
Sur ce, le Tribunal ramène à une saine lecture de l’article L211-16 du Code du tourisme.
La responsabilité de plein droit du voyagiste
Que pour la juridiction de fond, il est constant en l’espèce que les époux G sont liés à la société K dans le cas de la vente d’un forfait comprenant voyage, hébergements, outre diverses activités formant un tout.
De sorte que sur le fondement de cet article elle est responsable de plein droit, c’est-à-dire, sans qu’il ne soit besoin de démontrer la moindre faute de la mauvaise exécution ou de l’inexécution d’un quelconque de ses services qu’il soit exécuté par lui-même ou par d’autre prestataire de service de voyage.
À charge pour elle de se retourner contre ces derniers.
Il ne saurait être contesté que le séjour ne s’est pas déroulé conformément à ce qui était contractuellement prévu, les consorts G n’ayant effectivement pas pu réaliser leur croisière.
Une exonération en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ?
Pour s’exonérer de sa responsabilité de plein droit, la société K invoque les circonstances exceptionnelles et inévitables visées au troisième alinéa de l’article 211-16 défini à l’article L211-2.5 troisième du même Code du tourisme comme une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
Or, la société K ne saurait se retrancher derrière la pandémie de COVID 19 pour échapper à sa responsabilité de plein droit dans la mesure où c’est en premier lieu en raison du retard de leur vol qu’ils n’ont pas pu embarquer au départ de la croisière et non en raison de considérations sanitaires, ce retard de vol ne correspond pas à la définition des circonstances exceptionnelles du Code du tourisme qui aurait permis à l’agence de voyage de s’exonérer de sa responsabilité de plein droit.
La SAS K aurait dû anticiper et prévoir un temps de transfert suffisamment important pour permettre aux demandeurs d’éviter tout retard et de récupérer leurs correspondances.
Par suite, un transfert ou la prise en charge sur un autre vol ou sur une autre compagnie aurait permis aux époux G d’être à Singapour pour embarquer à temps pour la croisière.
Dès lors, pour les Juges du fond, il y a lieu de condamner la SAS K à réparer les préjudices subit par les époux G, soit, les sommes de :
- 4 938.00 euros correspondants au montant du voyage,
- 00 euros au titre du remboursement de 30 repas et boissons pour deux personnes,
- 00 euros au titre du remboursement des frais de taxis,
- 00 euros au titre du remboursement du vol Phuket Singapour,
- 00 euros au titre de remboursement des frais de téléphone,
- 1 601.19 euros au titre du remboursement de frais d’avion, hôtels, taxis réglés par carte bancaire,
La SAS K ne faisant aucune observation sur le montant des dommages et intérêts sollicité.
Le Tribunal considérant qu’il ne peut être contesté que les demandeurs ont nécessairement subit un préjudice moral, ces derniers seront estimés à hauteur de 3 000.00 euros chacun, soit, un total de 6 000.00 euros.
Les Juges du fond s’intéressent également à la demande de garantie fait par le voyagiste à l’encontre du croisiériste.
La garantie du croisiériste au profit du voyagiste
Les Juges retiennent qu’il est constant que le voyage réservé par les époux G auprès du voyagiste incluait notamment une croisière au départ de Singapour opérée par le croisiériste.
Ainsi, la société croisiériste doit être considérée comme un prestataire de service qui peut voir sa responsabilité délictuelle engagée par l’agence de voyage à une condition que celle-ci établisse que les conditions prévues par l’article 1240 du Code civil sont réunies, à savoir :
- Une faute,
- Un dommage,
- Un lien de causalité,
Puisqu’aucun lien contractuel n’existe entre les deux parties.
Il convient de souligner que si la clause exclusive de l’impossibilité par les époux G d’embarquer à bord du navire à Singapour et le retard de leur vol en provenance de Nice, en revanche pour la suite du séjour, il importe d’examiner si une faute peut être reprochée au croisiériste.
Le croisiériste se fournit une attestation présentant une version des faits selon laquelle lorsqu’ils se sont rendus à l’embarcadère de Phuket pour monter au bord du navire, du personnel de C dont un officier en tenu ont vérifié leurs documents avant de les bousculer, assistés du personnel de l’émigration, pour les empêcher d’embarquer à bord de la navette et s’enfuirent vers le navire les laissant seuls sans explication.
Un refus d’embarquement lié à la crise sanitaire
Les Juges considèrent que par suite et même si l’impossibilité pour eux d’embarquer au bord du bateau à Phuket était imputable aux autorités Thaïlandaises et au risque sanitaire lié au COVID 19, il n’en demeure pas moins que le croisiériste ne démontre pas avoir tenté de contacter les époux G pour les informer de ces difficultés rencontrées ou de la marche à suivre ni recherché des solutions pour leur permettre de faire face à cette situation.
Des voyageurs abandonnés à leurs propre sort
Ainsi, en les laissant seuls sans la moindre solution alternative et sans indication dans un pays étrangers et alors même qu’ils n’avaient pas pu monter à bord du navire pour effectuer la croisière, la société C, en sa qualité de prestataire et de croisiériste, a commis une faute engageant sa responsabilité, de telle sorte que le Tribunal considère que le croisiériste est responsable à hauteur de 30 % du préjudice subi par les demandeurs, il sera donc condamné à relever et garantir le voyagiste des condamnations prononcées dans le cadre du présent jugement.
Ainsi, cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle vient montrer les conditions dans lesquelles un voyage qui tourne au cauchemar peut engager aussi bien la responsabilité du voyagiste que du croisiériste en tant que de besoin.
On ne peut que saluer cet exemple jurisprudentiel, certes de première Instance mais qui a tout son sens et toute sa portée.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
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