Un propriétaire, jouissant depuis 35 ans d’une servitude de passage, peut-il contraindre son voisin, propriétaire du fonds servant d’élargir le chemin, celui-ci n’étant plus suffisamment large ?
La question est posée par un propriétaire d’un terrain, avec villa, enclavé qui jouit depuis plus de 35 ans d’une servitude de passage sur un chemin, dont une bonne partie a comme seule largeur est moins de deux mètres ce qui empêche un véhicule, de gabarit « normal », de passer,
Evolution de la taille des automobiles faisant, ce dernier ne peut plus accéder à sa propriété et s’inquiète par ailleurs de ce qu’aucun véhicule de secours ne pourrait arriver jusqu’à lui et lui prêter assistance si besoin était, ce qui altère très sérieusement la servitude de passage en question
La question se pose alors de savoir si, nonobstant le fait que le chemin est « en l’état » depuis 35 ans, le propriétaire enclavé peut contraindre son voisin, propriétaire du fonds servant d’élargir le chemin
Le propriétaire en question souhaite savoir s’il est possible de contraindre le propriétaire du lot servant de déplacer l’un des murs afin d’élargir la servitude de passage et permettre désormais à tout véhicule de passer sans encombre.
Il convient de rappeler que l’article 682 du Code civil prévoit que :
« Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner ».
Dans le cas d’espèce, le propriétaire n’est pas totalement enclavé mais son accès est indéniablement insuffisant, ce qui altère sérieusement la servitude de passage, fut-elle déjà existante,
En effet, outre l’aspect non pratique du chemin, il serait bon de relever également les risques pour la sécurité des habitants de la maison, l’accès aux véhicules de secours étant impossible avec une largeur de 1.95/2m.
Malgré le fait que le propriétaire en question se soit accommodé de cette largeur de chemin pendant 35 ans ne lui ôte pas le droit à avoir un accès suffisant jusqu’à son domicile car le désenclavement est imprescriptible et la servitude de passage modifiable.
A tout moment un propriétaire peut saisir le Tribunal d’instance dont il dépend pour obtenir un élargissement du passage.
La jurisprudence est claire en la matière comme le rappelle notamment une décision de la Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 janvier 2016, 14-25.089, en indiquant que « l’accès par un véhicule automobile correspond à l’usage normal d‘un fonds destiné à l’habitation ».
Cette extension doit toutefois être justifiée par la nécessité et non par simple commodité.
Et elle donne lieu à une indemnité au titre de l’aggravation de la servitude de passage.
La règle veut que l’on prenne du côté où le trajet est le plus court et à l’endroit le moins dommageable, comme le rappelle d’ailleurs l’article 683 du Code civil,
Celui qui a besoin du droit de passage est titulaire d’un droit légal.
Il peut donc, en théorie, choisir le tracé le plus court et l’imposer au voisin sans passer par le juge ou par un notaire.
Mais dans la pratique, c’est plus compliqué.
En effet, un passage entraîne toujours un trouble de jouissance et bien souvent des dommages qu’il n’est pas toujours facile d’évaluer seul.
Mieux vaut établir une convention écrite devant notaire et fixer à l’amiable l’indemnisation.
Faute d’accord sur le tracé ou les indemnités, il faut porter la demande en Justice,
Le juge sera alors à même de désigner un géomètre par voie judiciaire, qui déterminera alors, dans le respect des intérêts de chacun où se situera la servitude de passage et quelle indemnité il convient de fixer.
L’entretien du passage incombe à son utilisateur, comme le précise l’article 697 du Code civil,
Mais si le propriétaire du terrain en a lui aussi l’usage, il convient alors de partager les frais d’entretien.
L’accès au passage doit toujours rester libre.
Dans ce cas, le propriétaire doit mettre en demeure la Commune ainsi que les propriétaires des fonds entourant le chemin communal afin de trouver un accord d’élargissement.
Dans l’hypothèse (fort probable) où aucun accord ne serait trouvé, il lui appartient de saisir le Tribunal afin d’obtenir cet accès suffisant.
Dans tous les cas, le propriétaire en question demeure bien fondé à solliciter la mise en place de cette servitude de passage dans la mesure ou, pour l’heure le passage est très largement suffisant,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,