Un
mandataire liquidateur, qui avait été préalabalment désigné conciliateur afin
de sauver l’entreprise, est il en droit d’engager la responsabilité du gérant pour insuffisance d’actifs alors que
l’article L812-8 du Code du commerce prévoit une incompatibilité sur ce
point ? le mandataire liqudiateur peut il reprocher au gérant des fautes
commises postérieurement à l’ouverture de la procédure collective ?
Article :
Il
convient de s’intérresser à un arrêt rendu en novembre qui vient aborder la
spécificité de la faute du gérant pour laquelle le mandataire ne manque pas de
le poursuivre en responsabilité du
gérant pour insuffisance d’actifs.
Il
convient de savoir si la responsabilité du
gérant peut être exposée pour des fautes commises postérieurement au
jugement d’ouverture ou pour des fautes antérieures.
La
société S était dirigée par Madame X.
Celle-ci
avait bénéficié d’une procédure de conciliation et Maître Y mandataire
judiciaire avait été désigné en qualité de conciliateur.
Le 8
octobre 2007, la société S avait été placée en redressement judiciaire, Maître
Y étant désigné comme mandataire judiciaire et le 5 février 2008, la société S
avait été placée en liquidation judiciaire, Maitre Y étant désigné liquidateur.
C’est
dans ces circonstances que ce dernier, alors qu’il n’avait eu de cesse
d’accompagner Madame X a décidé de l’assigner aux fins d’engager sa responsabilité du gérant pour
insuffisance d’actifs.
Or,
dans cette affaire, Madame X a été condamnée sur la base de fautes de gestion
postérieures à l’ouverture de la procédure collective.
Ce qui
n’est pas commun,
Pour
autant, la question demeure, est ce valable et juridiquement possible ?
La Cour
de Cassation n’a pas manqué de casser l’arrêt et de rappeler la mécanique
spécifique de la faute de gestion en droit de l’entreprise en difficulté.
La responsabilité du gérant ne peut être
caractérisée de la sorte,
La Cour
d’Appel d’Aix en Provence qui a été sanctionnée par la Haute juridiction
considérait que la gérante n’avait pas déposé de déclaration de résultat pour
la période de 2007 à 2008,
Que par
ailleurs, la Cour d’appel considérait également que la responsabilité du gérant découlait d’une absence totale d’arrété de
chantier sur plusieurs chantiers qui avaient été purement et simplement
abandonnée par la gérante, et ce, après l’ouverture de la procédure collective.
Ces
éléments sont générateurs de fautes de gestion,
Mais
dans le cadre du droit de l’entreprise en difficulté, la responsabilité du gérant ne pouvait être abordée que sur la base de
fautes de gestion antérieures.
Il est
vrai que l’article L. 651-2 du Code de Commerce qui aborde la problématique de
la faute de gestion ne précise pas la période de ladite faute de telle sorte
qu’on ne saurait savoir si le mandataire judiciaire pourrait venir reprocher
une faute de gestion qu’elle soit antérieure ou postérieure.
Pour
autant, il convient de rappeler la
philosophie du droit de l’entreprise en difficulté et notamment la rigueur des
textes antérieurs qui ont clairement rappelés que, sous le régime ancien, seule
la gestion du dirigeant social antérieure au jugement de l’ouverture de la
procédure collective était génératrice de responsabilité
du gérant en cas de fautes.
Il
convient de préciser que le débiteur n’avait pas manqué de contester
l’initiative du mandataire liquidateur qui souhaiter engager la responsabilité du gérant.
En
effet, le débiteur était parfaitement fondé à venir rappeler que Maître Y avait
été désigné en qualité de conciliateur et l’avait assisté pour faire face à ses
difficultés économiques,
Dès
lors, il était particulièrement spécieux de venir par la suite lui reprocher
des fautes qu’il avait pu appréhender dans un rapport de confiance absolue.
Il
convient de rappeler que Maître Y désigné en qualité de conciliateur par
ordonnance du président du président du Tribunal de Commerce en date du 22
décembre 2006, avait été, par la suite, désigné en qualité de mandataire
judiciaire par jugement du même tribunal en date du 8 octobre 2007 soit moins d’un
an avant la fin de sa mission de conciliateur, en méconnaissance des
dispositions de l’article L 812-8 du Code de Commerce.
Il est
vrai que l’incompatibilité édictée par l’article L 812-8 du Code de Commerce
n’est pas une incompatibilité absolue puisqu’elle n’impose que l’écoulement
d’un délai d’un an entre l’exercice des fonctions de conciliateur et celles de
mandataire judiciaire lorsqu’il s’agit de la même entreprise.
La Cour
de Cassation considère qu’elle n’est assortie d’aucune sanction légale et
n’entraîne donc pas ipso facto la
nullité de la désignation du mandataire et des actes accomplis par ce dernier
dans l’exercice de sa mission.
Il ne
serait donc pas possible de solliciter la nullité de l’action en responsabilité du gérant pour
insuffisance d’actif sur cette base,
Le
conciliateur pourrait donc être désigné mandataire judiciaire en parfaite
violation de la loi et la Cour de Cassation considère qu’il n’y a pas de
sanctions suffisantes pour l’en empêcher.
La Cour
de Cassation est assez sévere tout comme le mandataire puisque ces derniers
viennent exciper qu’il appartient au dirigeant de rapporter la preuve que les
éléments de fait articulés par Maître Y à l’appui de son action en comblement
du passif, ont pu être recueillis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions
de mandataire judiciaire puis de liquidateur, e
Or,
Pour la Haute juridiction, il n’est pas démontré ni même allégué par Madame X que la présentation de ces griefs aurait été
permise ou facilitée par l’exercice antérieur d’un mandat de conciliateur .
A mon
sens, c’est inverser la charge de la preuve et violer l’esprit de l’article L
812-8 du Code de Commerce.
Par
ailleurs, le mandataire judiciiare ne manque pas d’imagination et vient retenir
entre 5 et 6 fautes à l’encontre du dirigeant.
Le
liquidateur reproche tout d’abord à Mme X d’avoir omis d’effectuer la déclaration de
cessation de la société dans le délai légal et d’avoir poursuivi, au cours de
l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007, une activité
déficitaire à l’origine de l’aggravation du passif.
La Cour
de Cassation ne partage pas cet avis puisque la H aute juridiction considère que cette situation d’endettement est
insuffisante à caractériser un état de cessation des paiements en l’absence
d’éléments d’information sur les éventuels moratoires consentis par les
créanciers et sur les actifs disponibles et sur les concours financiers dont
disposait la société à cette date.
Ceci
d’autant plus que la gérante avait pris soin de mettre des moratoires en place,
Bien
plus, elle n’avait pas manqué de solliciter la désignation d’un conciliateur
qui avait rendu son premier rapport en mai 2007 dans lequel il concluait à la possibilité de parvenir à un
moratoire sur trois ans.
Cette
réponse de la Cour de cassation permet mieux d’appréhender l’incompatbilité de
L 812-8 du Code de Commerce puisqu’on peut quand même trouver curieux de voir
le conciliateur en 2007 préciser qu’il est favorable à un moratoire sur trois
ans, puis de changer son fusil d’épaule en liquidation judiciaire et venir
engager la responsabilité du gérant
pour insuffisance d’actifs au motif qu’il n’était pas en mesure de faire face à
son passif.
Maître
Y reproche en second lieu à Mme X, le défaut de tenue d’une comptabilité
régulière car aucun bilan ni compte de
résultat relatif à l’exercice comptable du 1er octobre 2006 au 30 septembre
2007 n’ont été, selon lui, établis ou remis par le gérant,
La Cour
de Cassation considère que l’entreprise faisait un chiffre d’affaires de plus
de 2 000 000 euros avec près de 13 salariés, de telle sorte que
l’absence de comptabilité fiable privait le dirigeant et le mandataire d’un
outil de gestion indispensable et des éléments nécessaires à l’appréciation de
la capacité de l’entreprise à financer la période d’observation.
Ceci
constituant une absence de visibilité ayant contribué à la création d’un passif
complémentaire.
Le
mandataire vient encore reprocher à Mme X une défaillance dans le suivi de la bonne
marche de l’entreprise et indique que le listing établi par le cabinet
d’expertise comptable F désigné à cette fin par le juge commissaire révèle un
nombre important de clients douteux et de litiges ou procès en cours.
Concernant
les chantiers de l’entreprise, l’existence de malfaçons, inachèvements, non
conformités, sont soulevés par différents clients qui entendent s’opposer au
paiement des soldes réclamés par le liquidateur.
Comme
le retient la Cour de Cassation, plusieurs chantiers ont été abandonnés après
l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire sans qu’aucun arrêté de
chantier ne soit dressé,
Cette absence
de rigueur dans le suivi de l’exécution des travaux et l’absence de diligences
nécessaires à leur mise en paiement est à l’origine de l’impossibilité pour
l’entreprise de recouvrer une partie de ses créances et a contribué à
l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.
Qu’il
est enfin reproché à Mme X un usage des
biens et du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins
personnelles, des frais de voyage et de réception engagés pour un montant de
20.585 €,alors même que Mme X n’est pas
en mesure de s’expliquer sur le rapport entre l’engagement de ces frais et
l’objet social de sa société.
Enfin,
Madame X n’a pas manqué de souscrire en 2004 et 2005 des contrats de crédit
bail pour trois véhicules de direction Mercedes Classe C dont deux véhicules
coupé sport, attribués à Mme X… et à son associé, en plus du financement des
différents véhicules alors que l’entreprise rencontrait des difficulté.
S’il
est vrai que les fautes de gestion sont multiples,il appartient à la Cour de
Cassation de faire la part des choses pour caractériser la responsabilité du gérant,
Elle
rappelle que lorsque plusieurs fautes de gestion ayant contribué à une
insuffisance d’actif sont retenues, chacune d’elles doit être légalement
justifiée; que seules des fautes de gestion commises antérieurement à
l’ouverture de la procédure collective peuvent être imputées au dirigeant
poursuivi en comblement de l’insuffisance de l’actif.
Tel est
donc l’apport de cet arrêt qui vient mettre en exergue deux points.
Premierement
au titre des fautes de gestion, les juges du fond ne peuvent pas prendre en
considération des fautes commises postérieurement à l’ouverture de la procédure
collective et deuxiemement l’arrêt vient s’interroger sur la compatibilité de
la désignation d’un mandataire judiciaire alors qu’il était précedement désigné
en qualité de conciliateur.
Il est
regrettable que la Cour de Cassation considère que l’incompatibilité édictée
par loi n’est pas génératrice de sanctions en tant que telle ce qui permet au
mandataire liquidateur de faire ce que bon lui semble et notamment d’engager la
responsabilité du gérant.
Que
pour autant, sur cette problématique particulière, il n’ échappera pas au
lecteur attentif que si sous sa casquette de conciliateur celui-ci semble
croire à un sauvetage de l’entreprise avec un moratoire sur trois ans, il change
complétement son fusil d’épaule lorsqu’il devient mandataire liquidateur en
venant chercher la responsabilité du
gérant pour insuffisance d’actifs.
Fort
heureusement, le gérant a bon nombre de moyens de droit et de fait à sa
disposition pour contrer les prétentions du mandataire liquidateur,
Article rédigé par Maître Laurent
LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
www.laurent-latapie-avocat.fr