
Un débiteur assigné en paiement par un créancier se place en liquidation judiciaire, pour autant le créancier pousse à la condamnation et le tribunal rend une décision de condamnation en parfaite violation du principe d’arrêt des poursuites individuelles, qui impose, entre autre au créancier de déclarer sa créance et d’appeler en cause le mandataire liquidateur.
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation, Chambre commerciale, du 02 mai 2024, et qui vient aborder l’hypothèse finalement très fréquente de ce qu’une entreprise poursuivie par un créancier et qui est attrait devant le Tribunal judiciaire se retrouve finalement acculé en l’état de ses difficultés économiques et vient se placer sous le coup d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sans que pour autant la juridiction saisie considère que cela soit suffisant pour arrêter la procédure et rentre en voie de condamnation à l’encontre du débiteur alors même que les organes de la procédure collective n’ont pas été appelés dans la cause.
La Cour de cassation décidant dans cette jurisprudence qu’en application des articles L 622-22 du Code du commerce et au visa de l’article 372 du Code procédure civile qu’un jugement qui a été rendu sans que les organes de la procédure collective n’aient été mis en cause est non avenu, de sorte que doit être approuvé la Cour d’appel qui, en ce cas, dit n’y avoir lieu à statuer sur l’appel, le Tribunal n’étant pas dessaisi et renvoi donc les parties devant le Tribunal judiciaire.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, les consorts F ont confié la vente de leur bien immobilier à une société C, assurée auprès de la société ALLIANZ.
Alors qu’une promesse de vente avait été conclue, la vente ne s’est pas réalisée et c’est dans ces circonstances que, le 21 septembre 2015, les consorts F ont assigné l’agence immobilière, la société C, en responsabilité et en paiement de dommages et intérêts.
Le prononcé de la liquidation judiciaire de l’entreprise poursuivie en justice
Ladite société a pourtant été placé en liquidation judiciaire le 21 décembre 2015, un mandataire liquidateur ayant été désigné et, pour autant, par jugement du 15 novembre 2018, le Tribunal a retenu une faute de la société et l’a condamné au paiement de dommages et intérêts sans que le liquidateur ne soit mis en cause.
C’est dans ces circonstances que les consorts F ont fait appel de ce jugement et le 07 mars 2019 ils ont fait signifier la déclaration d’appel au mandataire liquidateur qui n’a pas constitué avocat.
Un mandataire liquidateur qui ne constitue pas avocat
Le 13 juin 2019, après avoir été relevé de forclusion, les consorts F ont déclaré leur créance au passif de la société et, par un arrêt en date du 21 juin 2022, la Cour d’appel d’Orléans a dit que le jugement du 16 novembre 2018 était réputé non avenu dans les rapports entre les consorts F, d’une part, et la société C, désormais en liquidation judiciaire, d’autre part.
Il n’y avait donc pas lieu de statuer sur l’appel des consorts F à l’encontre de cette dernière.
C’est tout naturellement qu’en l’état de cette décision qui pouvait paraitre surprenante, les consorts F ont formé pourvoi de cet arrêt.
Étant d’ailleurs précisé qu’entre-temps, la liquidation judiciaire de la société C avait été clôturée pour insuffisance d’actif le 22 novembre 2021, une ordonnance du 02 janvier 2023 rendue sur la requête des consorts F avait désigné la société A, mandataire ad-hoc, pour représenter la société débitrice devant la Cour de cassation.
Un mandataire ad hoc désigné pour représenter la société liquidée
Là-encore, le mandataire ad-hoc n’ayant pas constitué avocat.
Or, dans le cadre de leur pourvoi, les consorts F faisaient grief à la Cour d’appel de dire et juger que le jugement du 16 novembre 2018 était réputé non avenu dans les rapports entre eux, d’une part, et la société, d’autre part, et de dire qu’il n’y avait lieu à statuer sur le rappel à l’encontre de la société.
Les consorts F considéraient pourtant que l’interruption d’une Instance en cours par l’ouverture d’une procédure collective qui n’est pas subordonnée au dessaisissement du débiteur n’a lieu qu’au profit de ce dernier.
L’interruption de l’instance en l’état de la liquidation judiciaire prononcée
De sorte que seul le liquidateur qui le représente après sa mise en liquidation judiciaire peut se prévaloir du caractère non avenu d’un jugement obtenu après l’interruption d’Instance.
En l’espèce, dans cette affaire, la Cour d’appel avait constaté que la société A, es-qualité de mandataire liquidateur de la société C en liquidation judiciaire, n’avait pas constituée avocat dans le cadre de l’Instance d’appel après que la déclaration d’appel lui avait été signifiée.
La Cour d’appel avait, certes, relevé que les consorts F avaient déclaré leur créance dans la procédure collective de cette dernière société le 13 juin 2019, laquelle d’ailleurs avait été régulièrement produite devant la Cour.
La déclaration de créance du créancier entre les mains du mandataire liquidateur
Pour autant, la Cour a retenu que le jugement du 16 novembre 2018 était réputé non avenu dans les rapports entre les consorts F et la société C en liquidation judiciaire dès lors que le liquidateur judiciaire n’avait pas été mis en cause devant le Tribunal de Grande Instance d’Orléans.
Pour autant, les consorts F soutenaient à hauteur de pourvoi qu’il résultait des propres constatations de l’appel que le liquidateur ne s’était même pas prévalu de cette argumentation judiciaire devant la Cour d’appel puisqu’elle n’avait pas mis en avant le caractère non avenu du jugement du 16 novembre 2018 obtenu après l’interruption de l’Instance à son bénéfice.
Les consorts F considérant que les jugements, même passés en force jugée et obtenus après l’interruption de l’Instance, soient réputés non avenus à moins qu’ils ne soient expressément ou tacitement confirmés par la partie au profit de laquelle l’interruption est prévue.
D’autant que dans la mesure où le liquidateur judiciaire, pourtant assigné devant la Cour d’appel par le créancier, s’abstient de constituer avocat et de solliciter lui-même devant la Cour d’appel la constatation du caractère non avenu du jugement de telle sorte que la Cour d’appel n’aurait pas dû statuer d’office et a donc violé les dispositions de l’article L 622-22 du Code du commerce.
Les conséquences procédurales du principe de l’arrêt des poursuites individuelles
La Cour de cassation relève que l’action des consorts F introduite par une action délivrée avant l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société visée à titre principal à la voir condamner au paiement de plusieurs sommes d’argent, de telle sorte que la Cour d’appel a retenue à bon droit que cette action interrompue par le jugement d’ouverture de la procédure collective conformément aux dispositions de l’article L 622-21 du Code du commerce ne pouvait être valablement reprise selon l’article L 622-22 du même Code qu’une fois les créances déclarées et après la mise en cause du liquidateur.
De telle sorte qu’après avoir relevé que le liquidateur n’avait pas été appelé devant le Tribunal saisi de l’Instance en cours interrompue, la Cour d’appel a justement estimé que le fait pour celui-ci de ne pas s’être fait représenter devant la Cour d’appel ne valait pas confirmation tacite du jugement au sens de l’article 372 du Code de procédure civile et énonçait que l’interruption de l’Instance est un principe d’ordre public devant être relevé d’office par le Juge qu’elle ne dessaisit pas.
Un jugement réputé non avenu dans le cadre de la liquidation judiciaire
La Cour de cassation en déduit exactement que le jugement rendu le 18 novembre 2018, malgré l’interruption d’Instance, est réputé non avenu et que, le Tribunal n’étant pas dessaisi, il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel.
Cette jurisprudence est extrêmement intéressante car malheureusement on voit trop souvent en pratique des créanciers prendre avantage à l’encontre du débiteur et son liquidateur et de voir également certaines juridictions rentrer en voie de condamnation sans en tirer les conséquences des dispositions des articles L 622-21 et L 622-22 du Code du commerce, pourtant exorbitant de droit commun et d’ordre public.
Qu’en effet, certaines juridictions ne souhaitant pas s’embêter outre mesure avec les affres de la procédure collective, ces derniers les laissent ainsi rentrer en voie de condamnation.
La consécration du principe de l’arrêt des poursuites individuelles
Pour autant, l’arrêt des poursuites individuelles s’impose, l’appel en cause du mandataire liquidateur s’impose.
Ce qui est encore plus étonnant est que finalement la décision rendue par la Cour d’appel, et confirmée par la Cour de cassation, vient apporter finalement une approche assez spécifique puisque, du coup, dans la mesure où l’interruption ne s’est pas arrêtée, cela sous-tend que la Cour d’appel ne peut s’exprimer et ne peut donc statuer.
Ce qui sous-tend du coup que le Tribunal de Première Instance, qui a rendu sa décision, demeure compétent.
Quelles conséquences pour le débiteur et pour le créancier ?
De telle sorte qu’il faudra à ce moment-là ressaisir le Tribunal judiciaire aux fins de remise au rôle de cette procédure, nonobstant le jugement qu’il a déjà rendu, ce qui en pratique, là-encore, relève malgré tout d’une certaine spécificité car ce n’est pas quelque chose que l’on peut voir tous les jours mais c’est pourtant procéduralement ce que nous invite à faire la Cour de cassation.
Effectivement, cela permet de rappeler en tant que de besoin, aussi bien aux créanciers pressés d’obtenir un titre exécutoire, qu’aux Tribunaux judiciaires parfois enclins à rentrer en voie de condamnation en se dédouanant des dispositions pourtant exorbitantes de droit commun et d’ordre public du droit de l’entreprise en difficultés, font que le débiteur et le mandataire liquidateur ont donc la possibilité de revenir devant le Juge pour s’expliquer.
La sanction du créancier trop pressé
Ceci est d’autant plus important que l’un des apports de la décision rendue est que justement c’est une possibilité qui a vocation à s’appliquer d’office, ce qui doit amener les Juges du fond à, eux-mêmes, tirer les conséquences du sacrosaint principe de l’arrêt des poursuites individuelles.
Ainsi, la Cour de cassation, dans sa décision du 02 mai 2024, vient donc rappeler qu’il résulte de l’article L 622-22 du Code du commerce que la juridiction saisie au fond d’une demande tendant au paiement d’une somme d’argent doit, lorsqu’elle relève qu’au cours de l’Instance une procédure collective a été ouverte à l’égard du défendeur, constater au besoin d’office l’interruption de cette Instance jusqu’à ce que le créancier demandeur la reprenne en justifiant de la déclaration de créance et de la mise en cause du mandataire judiciaire et, le cas échéant, de l’administrateur.
En application de l’article 372 du Code de procédure civile, un jugement qui aurait été rendu sans que ses organes dans la procédure collective étaient mis en cause serait non avenu.
Dès lors, doit être approuvée la Cour d’appel qui, en ce cas, dit n’y avoir lieu de statuer sur l’appel, le Tribunal n’étant pas dessaisi.
Les conséquences procédurales sont d’importance,
Cela offre des perspectives stratégiques et procédurales intéressantes
A bon entendeur,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,