Cas d’école d’une vente en viager, lorsque le crédirentier engage une action aux fins de constater l’acquisition de la clause résolutoire. Parcours procédural semé d’embuches, surtout lorsque le bien immobilier a subi un incendie et que le débirentier se retrouve en liquidation judiciaire.
Article :
Dans cette affaire, par acte authentique du 8 février 2012, Monsieur H né en 1950 célibataire et sans enfant propriétaire de son bien avait cédé, par le biais d’une vente en viager, à Monsieur P un ensemble immobilier comprenant une maison d’habitation, dépendances et jardin sous forme viagère, le vendeur se réservant la jouissance de l’usufruit sa vie durant et l’acquéreur devant s’acquitter d’une rente annuelle de 12 640,81 euros sans qu’il soit prévu une somme immédiatement exigible et plus connue sous le nom de « bouquet ».
Seule la rente annuelle était due.
A la suite d’un signalement auprès du Procureur de la République faisant état d’abus de faiblesse sur la personne du vendeur, le Juge des tutelles a été saisi aux fins d’ouverture d’une mesure de protection à l’égard de Monsieur H.
Par jugement en date du 28 avril 2014, le Juge des tutelles de Caen a placé Monsieur H sous curatelle renforcée désignant une association tutélaire en qualité de curateur.
L’association s’est aperçue que Monsieur P n’effectuait aucun versement postérieurement à celui effectué à la signature de l’acte qui devait correspondre de prime abord à la première annuité.
Pour cette dernière, il y avait matière à remettre en question cette vente en viager,
C’est dans ces circonstances qu’un commandement de payer visant la clause résolutoire a été signifié le 29 décembre 2015 à Monsieur P débirentier lui enjoignant de payer dans le délai d’un mois la somme de 17 882,57 euros au titre de la rente viagère, de remettre en état les dépendances et les meubles qui avaient été détruits entre temps par un incendie.
Par acte d’huissier en date du 8 mars 2016, l’association a fait assigner Monsieur P devant le Tribunal d’Instance pour :
Un premier jugement a été rendu le 27 juin 2016 assorti de l’exécution provisoire,
Cependant ce n’était pas la la seule procédure,
En effet, par jugement du 8 juillet 2016, le Tribunal de Grande Instance de Caen a prononcé la résolution du plan d’apurement du passif de Monsieur P et une procédure de liquidation judiciaire en fixant la date de cessation des paiements au 10 mars 2016.
Le mandataire liquidateur qui a été désigné a immédiatement fait appel du jugement querellé concernant cette problématique de vente en viager.
Or, par la suite, la procédure collective a évolué puisque par ordonnance de référé du 7 février 2017, le Premier Président de la Cour d’Appel a suspendu l’exécution provisoire attachée au jugement du 27 juin 2016.
Par arrêt du 27 avril 2017, la Cour d’Appel de Caen a infirmé le jugement du 8 juillet 2016 et dit « n’y avoir lieu à l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de Monsieur P. »
Or, dans cette affaire, concernant la remise en question de la vente en viager, la problématique tournait autour de 3 axes.
Premièrement, l’appel du mandataire liquidateur était-il recevable puisque c’est lui qui avait engagé l’appel et non pas Monsieur B ?
Deuxièment, la clause résolutoire de cette vente en viager était elle acquise ?
Troisiemement, y avait-il matière à ordonner la remise en état ?
Concernant l’appel de la liquidation judiciaire, il importe de préciser que concernant la régularité de la procédure, la Cour d’Appel relève qu’il est constant que Monsieur P n’était pas encore placé en liquidation judiciaire lorsque le jugement du 27 juin 2016 a été rendu mais lorsque l’appel a été interjeté le 19 aout 2016, Monsieur P était alors bel et bien en liquidation judiciaire.
Seul le liquidateur pouvait effectivement régulariser l’appel.
Il convient de rappeler qu’en cas de liquidation judiciaire, le débiteur est en effet déssaisi par la décision prononçant la liquidation judiciaire de telle sorte que c’est le liquidateur qui exerce tous les droits et actions concernant son patrimoine durant toute la durée de la procédure.
Il en va de même concernant les problématiques liées à une vente en viager,
Dans le cadre de cette procédure, concernant la question de l’acquisition de la clause résolutoire, Monsieur P s’est d’abord contenté d’affirmer qu’il rencontrait des difficultés économiques et avait fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ayant abouti à un plan d’apurement du passif et que de difficultés complémentaires l’avaient empêché de faire face aux annuités du plan mais également au versement de la rente annuelle.
Monsieur P précisait que la réformation du jugement l’ayant placé en liquidation judiciaire lui permettrait d’apurer sa dette envers Monsieur H et il s’estimait être débiteur malheureux et de bonne foi.
Il ajoutait avoir toujours eu l’intention de remettre les lieux en l’état.
Il n’en demeure pas moins que la Cour d’Appel a une approche particulièrement sévère,
Dans un premier temps elle souligne qu’il résulte des pièces produites que la rente viagère à la charge de Monsieur P n’a plus été payée depuis le mois d’août 2014 alors même que ce paiement constitue l’obligation principale de l’appelant.
Puis, elle souligne que le délai imparti par le commandement de payer visant la clause résolutoire inscrite au contrat qui avait été délivré le 29 décembre 2015 était largement expiré lorsque Monsieur H a saisi le Tribunal de Grande Instance en demande de résolution de la vente.
Dès lors, pour la Cour, il convenait d’appliquer la clause qui précisait « qu’à défaut de paiement à son exacte échéance, d’un seul terme de la rente viagère présentement constituée, la présente vente sera de plein droit et sans mise à demeure préalable, purement et simplement résolue sans qu’il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire, un mois après un simple commandement de payer demeuré infructueux contenant déclaration par le crédirentier de son intention d’user du bénéfice de la présente clause.
Dans ce cas toutes les sommes perçues par le vendeur (bouquets et les arrérages de rente) seront de plein droit définitivement acquises au crédirentier sans recours ni répétition de la part de l’acquéreur défaillant à titre de dommages intérêts et d’indemnités forfaitairement fixés. »
Enfin, concernant la problématique relative à l’incendie, la Cour retient qu’il est établi et incontesté que les lieux objets de la vente ont été sinistrés par un incendie qui a endommagé gravement le garage, l’ancienne charretterie, les écuries ce qui a valu à Monsieur P de recevoir de son assureur une indemnisation substantielle de près de 147 000 euros qu’il a toutefois omis de consacrer à la remise en état qui s’imposait, malgré la sommation délivrée le 27 décembre 2015.
La Cour d’Appel ne répond pas vraiment sur la problématique de l’incendie puisqu’elle ne fait que trancher la difficulté relative au fait que la vente en viager aurait été litigieuse au motif pris de l’absence totale de bouquet qui découlerait d’un état de vulnérabilité.
Dès lors, s’il y avait bel et bien vulnérabilité il y avait donc vice du consentement et dans ce cas, il fallait plutôt que de prononcer la résolution judiciaire du contrat de vente en viager envisager sa nullité.
A mon sens, cela aurait été plus efficace.
Cette décision mérite malgré tout réflexion car la problématique de l’injonction de remise en état des dépendances n’est absolument pas abordée par la Cour,
En effet, celle-ci ne fait que reprendre les faits sans réellement réflechir à l’impact que cela pourrait avoir sur la nullité ou la résolution de cette vente en viager et savoir si oui ou non cela devait finalement peser sur les épaules du crédirentier ou du débirentier.
Enfin, c’est omettre l’impact de la procédure collective qui a malgré tout un sens,
En effet, la question se pose malgré tout de savoir si en l’état de la liquidation judiciaire, la demande en résolution du contrat se heurterait pas valablement aux effets automatiques de ladite liquidation.
En effet, dans la mesure où il y a l’ouverture d’une liquidation judiciaire pour lequel est attaché le principe d’interdiction des poursuites, cela devrait mettre suffisamment à mal l’idée même d’une demande de constatation de résolution du contrat par application d’une clause résolutoire.
Une jurisprudence dominante considère qu’à partir du moment où la clause a produit ses effets avant le jugement d’ouverture, il est possible pour le Juge de constater la résolution de plein droit nonobstant l’ouverture de la procédure collective.
Sauf que dans l’hypothèse où appel a été interjeté la décision n’est pas définitive et par voie de conséquences, la Cour d’Appel n’aurait plus rien à constater.
Il importe d’ailleurs de préciser que cette solution a déjà été appliquée dans le cadre quasi identique d’une clause résolutoire insérée dans un contrat de vente en viager.
En effet, bon nombre de juridictions considèrent que le jeu de la clause résolutoire doit être écarté tant que la résolution n’a pas été constatée par une décision de justice à la date d’ouverture de la procédure collective.
La Cour de Cassation a consacré plusieurs fois cette thèse notamment par un arrêt de la 3ème Chambre Civile du 18 septembre 2012.
De prime abord, dans notre affaire, cela ne serait pas possible car la créance est apparue alors que Monsieur P était déjà en plan de redressement,
Bien plus, s’il est vrai que la liquidation judiciaire a été prononcée, celle-ci a très rapidement fait l’objet d’une rétractation par la Cour de telle sorte que l’arrêt des poursuites individuelles lié à l’ouverture de la procédure collective n’aurait de toute façon plus de sens.
Pour autant, cette jurisprudence étudiée est interressante puisqu’elle vient aborder cette problématique spécifique quant à la question de l’acquisition de la clause résolutoire avant l’ouverture de la procédure collective nonobstant le fait que la décision ne serait pas définitive.
Cela permettait à Monsieur P de garder la propriété du bien,
Cette solution serait également rassurante pour les créanciers car il est bien évident que si Monsieur P, qui est en plan de redressement, se heurte à des difficultés de paiement et ne peux plus tenir son plan, il sera alors placé en liquidation judiciaire et l’actif ne serait alors plus garanti.
Vente en viager, ou pas.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,