Dans le cadre d’un accident mortel de la circulation impliquant un conducteur de moto décédé et une voiture, quels sont les moyens de défense du motard et de ses ayants droits, veuve et enfants, lorsque le conducteur de la voiture oppose deux fautes de conduite du motard, à savoir une circulation excessive et un défaut de maîtrise ?
Article :
Il convient de s’interresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris en septembre 2018 concernant la problématique du partage de responsabilité dans le cadre d’un accident mortel de la circulation impliquant une moto,
Le 29 juin 2014, Monsieur T agé de 42 ans pilotait une moto, une motocyclette de marque HONDA lorsqu’il a été victime d’un accident mortel de la circulation impliquant un autre véhicule conduit par Monsieur X.
Par jugement d’octobre 2016, le Tribunal de Grande Instance de Paris décidait que la faute commise par Monsieur T, le conducteur de la moto, réduisait à 50% le droit à indemnisation de ses ayants droit suite à l’accident survenu le 29 juin 2014 et avait condamné solidairement Monsieur X et la GMF à payer :
- 145 619,09 euros à Madame T
- 22 008 ; 37 euros et 23 327 ;83 à ses enfants
- 12 500 euros à Monsieur JLT
- 4 500 euros à Madame ST
Les ayants droit ont fait appel contestant le partage de responsabilité et considérant que le seul responsable de l’accident était Monsieur X conducteur de la voiture.
Qu’en tout état de cause, il ne pouvait rien être reproché à Monsieur T, conducteur de la moto.
Cette jurisprudence est intérressante car elle démontre qu’il appartient aux ayants droit du conducteur de moto de démontrer que celui-ci n’est pas responsable de l’accident et qu’il n’y a pas à envisager de partage de responsabilité.
Il importe de préciser que bien trop souvent les conducteurs de voitures, pour s’éxonérer de leur responsabilité, soutiennent que le conducteur de la moto allait trop vite et n’avait pas la maîtrise de son véhicule.
Les faits démontrent pourtant que dans les secondes qui précèdent l’accident, le conducteur de la moto essaye de se rattraper et cela amène parfois à des manœuvre brutales qui lui font perdre le contrôle de sa moto.
Il n’est pas rare de constater que ces éléments factuels sont repris par la partie adverse laissant à penser que le conducteur de la moto est responsable de l’accident.
Le décès de Monsieur T n’enlève rien au droit indemnitaire.
Il est bien évident que sur le terrain du préjudice moral de la famille, de la veuve et des enfants, et sur le terrain économique, les enjeux sont importants.
Les consorts T sont venus solliciter un droit à indemnisation plus important.
Ils contestaient notamment le fait que le Tribunal de Grande Instance s’était appuyé sur le rapport d’enquête qui avait conclu hativement que Monsieur T, conducteur de la moto, circulait à une vitesse excessive compte tenu des circonstances et ce sur le seul témoignage du conducteur du véhicule impliqué dans l’accident et celui de sa passagère et compagne.
Les consorts T contestaient également le fait que le Tribunal de Grande Instance avait considéré que la présence de traces de freinage confirmait la vitesse excessive alors que ces traces démontraient uniquement que le conducteur de la moto avait fait usage de son frein.
En tout état de cause, cela ne pouvait nullement être présumé par le Juge mais devait être démontré par des éléments probatoires et factuels concrets.
Les seuls témoins de l’accident étaient le conducteur de la voiture impliquée et sa passagère de telle sorte que leurs témoignages devaient être accueillis avec précaution en l’état de leur implication dans l’accident.
Monsieur X avait expliqué avoir marqué un arrêt au niveau de l’intersection pour laisser une voiture le doubler.
Il avait déclaré ne pas être assez qualifié pour estimer la vitesse et avait déclaré aléatoirement que le conducteur de la moto roulait à plus de 80 km/h sans indiquer sur quoi il se basait.
Sa compagne avait donné aux gendarmes une version des faits différente puisqu’elle avait déclaré que Monsieur X ne s’est pas arrêté avant de tourner sur la gauche mais avait seulement ralenti, cette dernière ne mentionnant pas l’existence d’un véhicule les ayant dépassés.
Elle indiquait que la vitesse de la moto l’avait impressionnée sans donner des détails précis.
Dès lors, en l’absence de tout autre témoin, il apparaissait impossible de conclure à une vitesse excessive sur la seule base de ces deux témoignages partisans et contradictoires.
Bien plus, il est important d’exploiter le schéma de l’accident établi par les gendarmes qui semble clairement contredire l’hypothèse d’une vitesse excessive puisqu’on peut constater que le corps de la victime a été éjecté juste à coté de la zone de choc ce qui n’aurait pas été possible dans le cas d’une vitesse importante.
Enfin, tout laissait à penser que l’accident était seulement imputable au comportement de Monsieur X qui avait coupé la route et s’était engagé sur la gauche sans avoir vérifié qu’il pouvait le faire en toute sécurité.
Dès lors, il avait immanquablement violé l’article R 415-4 du Code de la Route qui dispose :
« Tout conducteur s’apprêtant à quitter une route sur sa gauche ….doit céder le passage aux véhicules venant en sens inverse sur la chaussée qu’il s’apprête à quitter.. »
Or dans cette affaire, Monsieur X et son assureur reprochaient au conducteur de la moto deux fautes de conduite à savoir une circulation excessive et un défaut de maîtrise.
Sur la vitesse excessive, aucune indication n’est mentionnée en procédure concernant la vitesse maximale autorisée sur la route départementale qui peut donc être présumée de 90 km/h.
La compagnie d’assurances n’invoque aucun texte permettant de caractériser la faute alléguée de circulation à vitesse excessive ni aucun élément de preuves matérielles au soutien de l’affirmation selon laquelle Monsieur T roulait à vive allure.
Il importe de préciser et de soutenir que les déclarations du conducteur et de sa passagère constituent des appréciations subjectives relatives à la vitesse de la moto et sont dès lors dénuées de tout caractère probant.
Ce dernier a déclaré « je ne peux faire que des suppositions, j’ai eu l’impression qu’il arrivait très vite »
A été présentée comme élément à charge, la déclaration de l’épouse du conducteur de moto décédé qui indique qu’il pouvait arriver à son époux comme tout motard « de mettre un peu les gaz » mais cela ne saurait constituer une preuve de la vitesse excessive de son époux puisqu’au moment de l’accident, Madame T n’était pas présente.
Dès lors, la vitesse de la moto n’est pas déterminée aux vues de ces seuls éléments et en l’absence d’expertise aucune faute ne peut etre retenue à l’encontre de Monsieur T.
Sur le défaut de maîtrise, en droit l’article R 413-17 du Code de la Route dispose que :
« Les vitesses maximales autorisées par les dispositions du présent code, ainsi que celles plus réduites éventuellement prescrites par les autorités investies du pouvoir de police de la circulation, ne s’entendent que dans des conditions optimales de circulation : bonnes conditions atmosphériques, trafic fluide, véhicule en bon état.
Elles ne dispensent en aucun cas le conducteur de rester constamment maître de sa vitesse et de régler cette dernière en fonction de l’état de la chaussée, des difficultés de la circulation et des obstacles prévisibles.
Sa vitesse doit être réduite :
- Dans les virages ;
- A l’approche des sommets de côtes et des intersections où la visibilité n’est pas assurée. »
Les intimés invoquaient une vitesse non adaptée aux obstacles prévisibles sans les désigner.
Toutefois, il se déduit de leurs écritures que la voiture s’apprêtait à tourner sur la gauche et que l’avant du véhicule dépassait la ligne médiane et que cela constituait un obstacle prévisible.
Or, au sens du texte précité, la vitesse doit être réduite à l’approche des intersections où la visibilité n’est pas assurée alors qu’un tel défaut de visibilité n’est pas démontré par les intimés.
S’agissant des constatations matérielles et notamment les traces de freinage et de ripage, celles ci ne sont pas suffisamment exploitables.
Cela explique le silence observé par les parties s’agissant de ces éléments matériels étant précisé que les photos communiquées sont totalement inexploitables.
La Cour d’Appel considère « qu’il n’est pas établi que les manœuvres de freinage de Monsieur T auraient été inadaptées.
Dès lors, les éléments réunis ne pouvant pas caractériser un manquement fautif de Monsieur T aux prescriptions du Code de la Route, le droit à indemnisation de ses ayants droit doit être intégral et le jugement entrepris devra être infirmé sur ce point. »
Le partage de responsabilité n’a donc plus lieu d’être et il n’y aura pas de réduction du droit indemnitaire.
L’ensemble des montants accordés en première instance sont donc doublés.
Cette jurisprudence est intéressante,
Elle rappelle ô combien la charge de la preuve est sujet à débat, et permet au conducteur de moto, malheureusement décédé, et ses ayants droits, veuve et enfants, d’être correctement indemnisés du préjudice subi, sans avoir à supporter une réduction indemnitaire au motif pris d’un soi-disant partage de responsabilité,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, Avocat à Saint Raphael, Docteur en Droit,