A quel moment le dirigeant caution peut soulever le caractère disproportionné de l’engagement de cautionnement ? Cette disproportion doit-elle être analysée au jour de la conclusion de l’engagement de cautionnement ou au jour où la caution est poursuivie par l’établissement financier ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendu en octobre dernier et qui vient aborder la problématique de la remise en question de l’engagement de cautionnement lorsque la caution entend opposer à l’établissement financier un manquement à ses obligations et plus particulièrement lorsqu’il est question du caractère disproportionné de l’engagement de cautionnement.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, le 1er février 2010, la banque avait consenti à la société F un prêt de 170 000 euros, pour lequel, Monsieur Q, alors gérant, s’est rendu caution solidaire dans la limite de 221 000 euros.
Se prévalant d’une créance impayée, la banque a alors assigné en paiement
la société débitrice principale, ultérieurement mise en redressement puis en liquidation judiciaire.
Dans le cadre de cette même procédure, la banque avait également poursuivi Monsieur Q en qualité de caution,
Lequel a opposé la disproportion manifeste de son engagement et un manquement à l’obligation de mise en garde qui pesait sur la banque.
En qualité de caution, Monsieur Q soutenait que l’organisme dispensateur de crédit ne pouvait se prévaloir d’un contrat de cautionnement d’une opération de crédit, conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Caractère disproportionné de la caution
A bien y comprendre, le caractère disproportionné de l’engagement de caution au regard de ses revenus et de son patrimoine devant s’apprécier au moment non seulement de la souscription du cautionnement, mais également à la date de sa mise en œuvre par l’organisme prêteur, bénéficiaire de cet engagement de caution.
Monsieur Q mettait en avant le caractère disproportionné de son engagement de caution souscrit en 2010 lorsqu’il avait été mis en œuvre par la banque en 2013, au regard de ses ressources et de son patrimoine à cette époque.
Monsieur Q faisait grief à la Cour d’Appel d’avoir considéré que l’engagement de caution de Monsieur Q n’étant pas disproportionné lors de sa souscription en 2010 et que dès lors, la banque n’avait donc pas à démontrer que le patrimoine de ce dernier lui permettait d’exécuter son engagement lorsqu’il a été poursuivi.
De même, Monsieur Q reprochait à la Cour d’Appel de s’être abstenue de procéder à la recherche qui lui était demandée quant à ce caractère disproportionné dudit engagement lorsqu’il avait été mis en œuvre par la banque en 2013.
Il soutenait également que la banque avait manqué à son obligation de conseil et de mise en garde et rappelait que tout organisme dispensateur de crédit est tenu à un devoir de mise en garde de la caution, lui imposant notamment de l’alerter sur le risque encouru de non-remboursement des échéances du prêt par l’emprunteur.
La banque, quant à elle, n’avait pas manqué de souligner que la caution était également dirigeante de l’entreprise.
Monsieur Q soutenait que le devoir de mise en garde comportait trois obligations à la charge du banquier dispensateur d’un crédit, parmi lesquelles le devoir d’alerter la caution sur le risque encouru de non-remboursement par l’emprunteur, pour demander en conséquence à la cour d’appel de constater la défaillance de la banque dans l’exécution de son obligation préalable d’information.
De telle sorte que le dirigeant caution ne pouvait raisonnablement revendiquer ce manquement.
Pour autant, Monsieur Q faisait grief à la Cour d’Appel de ne pas avoir procédé à la recherche demandée quant à l’accomplissement par la banque de son obligation précontractuelle d’information sur le risque de non-remboursement encouru.
A bien y réfléchir, il convenait quand même de rappeler que la société débitrice avait été placée en liquidation judiciaire deux ans seulement après la souscription dudit emprunt.
Cette circonstance aurait dû caractériser le manquement à l’obligation de conseil et de mise en garde.
Pour autant, il convient de rappeler la rigueur du droit de cautionnement et les dernières jurisprudences en la matière qui sont plus favorables à l’établissement financier qu’à la caution.
Ce qui, en soi ,ne peut qu’interpeller.
En effet, concernant la disproportion de l’engagement de caution, la Cour de Cassation rappelle qu’il résulte de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016, alors applicable, que, dès lors qu’un cautionnement conclu par une personne physique n’était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s’en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée.
La disproportion, oui, à quel moment ?
La Cour de cassation souligne, encore, que pour invoquer le manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde envers une caution, fût-elle non avertie, celle-ci doit rapporter la preuve que l’engagement n’était pas adapté à ses capacités financières personnelles et qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur, débiteur principal.
En l’occurrence, dans cette affaire, la caution, qui ne prétendait pas que son engagement n’était pas adapté à ses propres capacités financières, ne produisait aucune pièce caractérisant l’existence d’un risque d’endettement de la société F et, de l’autre, que, si cette société avait été mise en liquidation judiciaire deux ans après la souscription de l’emprunt, aucun incident de paiement n’avait été constaté avant la déchéance du terme provoqué par l’ouverture de la liquidation.
Cette approche ne résout pas tout.
Comment soulever la disproportion de l’engagement de cautionnement ?
En effet, cette jurisprudence est intéressante car elle revient sur les moyens de défense que peut avoir le dirigeant caution lorsque son entreprise est en liquidation judiciaire et que la banque se retourne contre lui.
Il importe de préciser que la Cour de Cassation considère que la notion de disproportion s’analyse essentiellement au jour de l’engagement de cautionnement qu’importe que par la suite la caution n’arrive plus à y faire face.
La notion d’obligation de conseil et de mise en garde est moins aisée à être soulevée par le chef d’entreprise.
Ce que la Cour de Cassation ne dit pas mais qui mérite d’être clairement rappelé est que l’essentiel de cette argumentation juridique repose également sur des éléments probatoires puisqu’il appartient à la caution qui entend se défendre face à l’établissement bancaire de rapporter la preuve de sa situation patrimoniale et non pas à la banque de rapporter la preuve que l’engagement n’était pas proportionné.
A bon entendeur….
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,