Une Sci familiale, poursuivie par un établissement bancaire dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière vient contester la validité de la déchéance du terme. Exemple jurisprudentiel de la Cour d’appel de Riom annulant la procédure de saisie immobilière et imposant la reprise des échéances.
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel de Riom en ce début décembre 2024, jurisprudence très récente, dans lequel j’intervenais aux intérêts d’une SCI familiale à l’encontre d’un établissement bancaire.
Or, force est de constater que les jurisprudences se suivent et ne se ressemblent pas car finalement, assez récemment, j’avais obtenu devant la Cour d’appel d’Aix en Provence, sur une même problématique entre banque et Société Civile Immobilière à caractère familial, une décision décevante.
SCI et déchéance du terme font ils bon ménage ?
En effet, la Cour d’appel d’Aix en Provence n’avait pas voulu reprendre et suivre mon argument concernant la problématique de la validité de la déchéance du terme qui pouvait être remise en question tant la banque s’était précipitée à prononcer la déchéance du terme.
La Cour d’appel d’Aix en Provence avait considéré que, dans la mesure où nous étions en présence d’une Société Civile Immobilière, celle-ci ne pouvait valablement pas se prévaloir d’une éventuelle clause abusive.
Force est de constater que la Cour d’appel de Riom, dans sa décision très récente, ne partage absolument pas cette analyse et vient finalement, contre toute attente, faire droit à la SCI familiale.
A chaque Cour d’appel son regard juridique ?
Là-encore, la procédure était en lien avec une procédure de saisie immobilière.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, et par acte d’huissier de justice signifié le 12 août 2022, la banque avait délivré à la SCI un commandement de payer valant saisie immobilière d’une maison d’habitation avec dépendance et terrain attenant, et ce, en recouvrement de deux sommes de 167 511.72 € et de 25 456.60 € correspondant à deux prêts hypothécaires contractés auprès de ladite banque par deux actes authentiques en date du 18 janvier 2008 et du 28 mars 2009 pour laquelle la banque venait réclamer le paiement en suite de la déchéance du terme qu’elle avait prononcé et pour lequel, commandement de payer valant saisie immobilière faisant, la banque enclenchait dès lors une procédure de saisie immobilière.
C’est dans ces circonstances que suivant assignation en date du 01er décembre 2022 la banque avait saisi le Juge de l’orientation du Tribunal judiciaire de Cusset qui a rendu, le 24 avril 2024, un jugement d’orientation en vente forcée rejetant les contestations de la SCI, retenant le montant total de la créance pour 189 620.65 € et ordonner la vente forcée de l’ensemble immobilier avec une mise à prix de 50 000.00 €.
Fort heureusement, la SCI a, au travers de mon cabinet, interjeté appel et la question de la validité de la déchéance du terme a été immanquablement au cœur du débat tant bien même nous sommes en présence d’une Société Civile Immobilière.
Dans sa décision, la Cour d’appel rappelle que,
« Conformément aux dispositions de l’article L 311-2 du Code des procédures civiles d’exécution suivant lesquelles tout créancier muni d’un titre exécutoire, constatant une créance liquide et exigible, peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées dans le présent livre (livre 3 de la saisie immobilière) et par les dispositions qui ne lui sont pas contraire du livre 1. »
C’est dans ces circonstances que la banque a diligenté cette procédure de saisie immobilière en application du titre exécutoire que constitue chacun des actes authentiques.
Une saisie immobilière enclenchée sur la base des actes authentiques de prêt,
La Cour s’est intéressée aux dispositions relatives à la déchéance du terme puisque la Cour reprend la clause de déchéance du terme ci-après libellée :
« Déchéance du terme, exigibilité du présent prêt, le prêt deviendra de plein droit exigible si bon semble à la banque en capital, intérêt accessoire, par la seule survenance de l’un quelconque des événements énoncés ci-dessous et dans les huit jours de la réception d’une lettre recommandée avec avis de réception adressée à l’emprunteur par le préteur en cas de non-paiement à la date de leur échéance de somme exigible au titre tant du présent prêt que de tout autre prêt consenti par le prêteur. »
Concernant le deuxième prêt, la clause est strictement identique.
« Déchéance du terme, exigibilité du présent prêt,
- Le prêteur aura la possibilité de se prévaloir de l’exigibilité immédiate du présent prêt en capital, intérêt accessoire, par la seule survenance de l’un quelconque des événements ci-après et sans qu’il ne soit besoin d’aucun préavis et aucune formalité judiciaire en cas de non-paiement des sommes exigibles ou d’une seule échéance malgré une mise en demeure de régulariser adressée à l’emprunteur par tout moyen et restée sans effet pendant quinze jours. »
La validité de la clause de déchéance du terme
La Cour reconnait que ces clauses sont tout à fait usuelles de déchéance de plein droit du terme et donc de constatation de la défaillance de l’emprunteur ont donc normalement vocation à s’appliquer en cas de survenance d’un impayé sur une échéance de remboursement sous condition toutefois d’envoi d’un avis de régularisation pendant un délai imparti sous forme le plus souvent d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
La Cour souligne que ce dispositif tout à fait conforme aux usages commerciaux en la matière ne procède d’aucun déséquilibre particulier en matière de contrat conclu entre professionnels et non-professionnels au consommateur entre leurs droits et obligations mutuels au sens des dispositions de l’article L 132-1 du Code de la consommation.
Ceci est d’autant plus vrai que la SCI en convenait d’ailleurs dans ses écritures à hauteur de Cour accent désormais sa défense sur le fait que ce n’est qu’à défaut par le prêteur d’avoir valablement procédé à une mise en demeure préalable valant avertissement de mobilisation de la clause contractuelle de déchéance du terme que ce dispositif revêtait un caractère abusif.
La mise en demeure préalable à la déchéance du terme
En effet, la SCI, dans ses écritures, rappelait en tant que de besoin les dispositions de l’article R 212-2 du Code de la consommation suivant lesquelles ce n’est que par la notification d’un préavis d’une durée raisonnable que le prêteur professionnel peut exercer sa faculté de résilier le contrat de financement en cas de défaillance de l’emprunteur.
Or, un décorticage des faits de l’espèce semblait d’importance, ce en quoi procède la Cour puisqu’elle retient qu’en l’espèce la banque avait notifié à la SCI, à l’adresse indiquée, une lettre de mise en demeure avec demande d’avis de réception datée du 14 juin 2021 et dont l’avis de réception a été présenté le 21 juin 2021 et distribué le 22 juin 2021 au destinataire.
Cette mise en demeure de payer a été effectuée de manière groupée concernant les deux contrats de prêt renseignant des retards de paiement à hauteur d’un montant total de 1 932.15 € en ce qui concerne le premier prêt et à hauteur de 381.54 € concernant le deuxième prêt.
Ce courrier adressé au siège social de la SCI, qui fait également référence à deux autres impayés contractuels qui ne sont pas compris dans le présent litige, mentionne explicitement qu’à défaut de régularisation de la somme totale de 3 453.01 € correspondant à quatre impayés contractuels dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre, la déchéance du terme interviendra sur chacun des quatre contrats.
Une mise en demeure jamais réceptionnée par l’emprunteur
Pour autant, la SCI objecte qu’elle n’a jamais reçu cette mise en demeure, invoquant en premier lieu pour preuve qu’elle n’a pas signé cet avis de réception qui, comme le reconnait très justement la Cour, ne comporte aucune signature manuscrite du destinataire.
La banque, quant à elle, explique, assez maladroitement d’ailleurs, cette absence de signature par l’appel d’urgence sanitaire consécutive avec l’épidémie de COVID 19 ayant alors généré des pratiques professionnelles différentes consistant ici pour l’agent postal de distribution à s’assurer oralement de la présence de destinataire, présentation du 21 juin 2021, puis à distribuer le courrier le lendemain, distribution du 22 juin 2021.
La distribution de RAR pendant le COVID
En l’occurrence, la Cour ne s’y trompe pas.
Elle considère que les mesures restrictives ou complètement suspensives d’un certain nombre de pratiques professionnelles dont le service public postal n’ont été adoptés qu’à partir de mars 2020 et au cours de la seule année 2020, et donc, ne peuvent expliquer la problématique du recommandé au cours de l’année 2021.
La Cour considère qu’elle supposait qu’un certain nombre de ces pratiques modificatives avaient été maintenues dans le secteur postal à la date du 21 juin 2021, date de la notification de ce courrier recommandé, la banque n’apporte aucunement la preuve par la communication en ce sens d’une note normative à un terme de la société de la poste.
En tout état de cause et sans pour autant devoir en déduire que cet avis de réception serait un faux, l’examen de cette pièce ne permet aucunement de vérifier quelle personne et en quelle qualité aurait été ainsi oralement interpellée par l’agent postal de distribution, ce document ne comportant aucune précision à ce sujet.
Dans ces conditions, la Cour d’appel considère qu’en définitive il ne peut être considéré que la banque a valablement effectué à l’égard de la SCI familiale une notification préalable de la déchéance du terme concernant chacune de ces deux situations contractuelles en retard de paiement, faute de signature manuscrite de cet avis de réception qui ne peut être suppléé par ces mentions postales.
Dès lors, pour la Cour, le jugement de Première Instance sera dès lors infirmé en toute ses dispositions de rejet des contestations de la SCI et, par voie de conséquence, en ses décisions de fixation de la créance du créancier poursuivant à la somme totale de 189 620.65 € après déchéance du terme sur chacun de ces deux contrats de prêt d’autorisation de vente forcée de l’ensemble immobilier sur la base d’une mise à prix de 50 000.00 € et d’aménagements divers de ce dispositif de vente forcée.
La décision est extrêmement satisfaisante.
Ainsi, la Cour d’appel de Riom ne valide pas cette déchéance du terme qui a été réalisée dans de très mauvaises conditions et vient l’invalider complètement, mettant à néant ainsi la procédure de saisie immobilière dans son intégralité.
La Cour va encore plus loin, en effet, elle considère qu’en conséquence de l’absence de validité de la déchéance du terme sur chacun de ces deux contrats de prêt il importe effectivement d’ordonner la reprise de chacun de leurs échéanciers à compter de la présente décision avec ré imputation sur chacun de ces nouveaux échéanciers de l’ensemble des règlements effectués par la SCI.
La reprise des échéances ordonnée par la Cour d’appel
La Cour considère qu’il n’apparait pas nécessaire d’assortir l’injonction de remise en place d’un tableau d’amortissement et d’un échéancier d’une mesure d’astreinte contre la banque que lui avait pourtant demandé la SCI afin de s’assurer que la banque fasse diligences afin que celle-ci, par une résistance dans l’exécution, ne se retrouve pas à solliciter ou à chercher par tout moyen une deuxième déchéance du terme passé l’arrêt de la Cour d’appel de Riom.
La Cour précise encore que cette suspension de paiement de chacun de ces deux prêts de la date du 14 juin 2021 à celle de la présente décision n’apparait en définitif pas imputable à la SCI en raison de la notification irrégulière de la déchéance du terme sur chacun de ces deux contrats.
La Cour fait donc droit à la demande additionnelle de la SCI aux fins d’exonération d’intérêt intercalaire au cours de cette période, soit, entre le 14 juin 2021 et le 03 décembre 2024, date à laquelle la Cour d’appel s’est exprimée.
La Cour souligne cependant qu’il n’est pas contesté par la SCI que cette irrégulière notification de déchéance du terme sur chacun de ces deux contrats de prêt n’en est pas moins intervenue en raison de réel retard de paiement.
La banque ayant dès lors agit dans le cadre de ses intérêts, non moins légitimes que ceux de son débiteur.
Une déchéance du terme abusive ?
De plus, la Cour souligne qu’il ne ressort pas des débats que la banque ait diligenté cette mesure de déchéance du terme de manière abusive en étant venu par des intentions de mauvaise foi même si ces déchéances du terme s’avèrent, en réalité, avoir été irrégulièrement pratiquées.
Par ce raisonnement, la Cour d’appel déboute la SCI de sa demande additionnelle de dommages et intérêts en allégation d’abus de droit.
Pour autant, la Cour d’appel fait droit à la demande formée par la SCI aux fins de main levée de l’inscription relative à la présente procédure de saisie immobilière et vient même condamner la banque au paiement d’un article 700 à hauteur de 3 000.00 €, ce qui est extrêmement satisfaisant.
Ainsi, la Cour d’appel infirme en toutes ses dispositions le jugement d’orientation en vente forcée qui avait été rendu initialement par le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Cusset.
Y ajoutant, elle ordonne en conséquence à la banque de reprendre chacun de ses deux échéanciers de prêt à la date de la présente décision avec ré imputation sur chacun de ces nouveaux échéanciers de l’ensemble des règlements effectués par la SCI familiale et ce, sans aucun prélèvement d’intérêt intercalaire de la date du 14 juin 2021 à celle de la présente décision, outre l’article 700 pour lequel la banque est également condamnée.
Cette décision est extrêmement satisfaisante puisqu’elle vient finalement rappeler que, tant bien même la discussion métaphysique pouvant encore se poser afin de savoir si oui ou non la SCI familiale est un professionnel ou un consommateur n’enlève rien au fait qu’il appartient à la banque de respecter les conditions contractuelles de déchéance du terme et effectivement tout laisse effectivement à penser dans cette jurisprudence que la banque, qui n’a peut-être pas commis un abus de droit à la lecture qu’en fait la Cour d’appel de Riom, s’est quand même malgré tout précipité pour prononcer la déchéance du terme.
Or, cette étape décisive mérite une vérification toute particulière du débiteur et de son conseil car c’est le point de départ de l’exigibilité de la créance qui justifie la procédure de saisie immobilière.
Dès lors, la vérification de celle-ci permet effectivement de remettre en question cette exigibilité et, par la même, d’envisager de mettre fin à la saisie immobilière.
Stratégie juridique qui, dans cette jurisprudence, a été effectivement payante, ce qui est extrêmement satisfaisant, montrant ainsi que, dans ce rapport entre pot de fer, établissement bancaire, et pot de terre, emprunteur en difficultés financières, il y a matière malgré tout à réajuster les rapports de force afin de permettre de sortir par le haut.
Les vaines tentatives de la SCI pour trouver une solution amiable en 3 ans de procédure
Ainsi, nonobstant trois ans de procédure dans laquelle la SCI familiale a tout fait pour trouver une solution amiable avec la banque et s’est engluée dans une procédure judiciaire difficile aux fins de saisie immobilière où les membres de cette SCI familiale ont cru tout perdre, la remise en place de l’échéancier, sans frais et sans avoir a supporter les intérêts intercalaires qui auraient pu être générés entre 2021 et 2024, ce qui leur permet de repartir sur de bonnes bases de continuer à désintéresser la banque et de sortir par le haut.
Il est vrai que, accident de la vie faisant, il peut arriver qu’un débiteur se retrouve en difficultés et il est toujours un peu regrettable de constater que, lorsque ce dernier se rapproche de son établissement bancaire pour trouver une solution alors que ces derniers lui ont promis monde et merveilles lors de la signature du prêt, se retrouve face à un établissement bancaire particulièrement rigide qui n’accepte aucune alternative amiable.
Cette jurisprudence illustre enfin qu’il appartient bien sûr, dans le cadre de la saisie immobilière, au débiteur en difficultés de ne pas manquer de soulever tous les moyens de fait et de droit à sa portée pour se défendre.
Étant d’ailleurs rappelé, mais ça a été l’objet de bon nombre de chroniques plus particulièrement pour les Sociétés Civiles Immobilières à caractère familial, que tant bien même cette déchéance du terme ne serait pas remise, il y a encore fort heureusement d’autres solutions à portée de tir pour la SCI pour préserver son bien immobilier et éviter la saisie immobilière.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,