Quelle procédure peut engager le bailleur d’un bail commercial sous le coup d’un redressement judiciaire alors que les loyers impayés sont postérieurs ? Est-il tenu d’en informer le mandataire judiciaire ? Celui-ci n’engagerait pas sa responsabilité s’il cédait le fonds de commerce en ignorant jusqu’à l’existence de l’acquisition de la clause résolutoire ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en fin d’année 2017 qui vient aborder les facultés du bailleur pour obtenir la résiliation du bail commercial alors que le redressement judiciaire a été prononcé, qu’une période d’observation est en cours, qu’un mandataire judiciaire en charge de la vérification des créances a été désigné et que surtout l’exploitant commercial en redressement judiciaire ne paye plus ses loyers postérieurs.
Dans cette affaire, le 6 août 2004, la société B a consenti à la société C un bail commercial sur des locaux lui appartenant.
La société C a été mise en redressement judiciaire le 27 avril 2007, Maître Y étant désigné mandataire judiciaire.
Or, postérieurement à l’ouverture du redressement judiciaire, le débiteur se retrouve à ne plus payer les loyers du bail commercial,
En effet, le locataire n’a pas réglé les loyers dus pour les mois d’avril et de mai 2008, soit postérieurement au redressement judiciaire,
Tout d’ailleurs laisse à penser que le non paiement de ces loyers postérieurs est intervenu postérieurement à l’acceptation du plan de redressement puisque la période d’observation maximale pour une entreprise en redressement judiciaire sauf demande de poursuites d’activités exceptionnelle à la seule demande du Procureur de la République est d’un an,
C’est dans ces circonstances que la société B, le bailleur, a fait délivrer à sa locataire, le 20 mai 2008, un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail commercial,
Or, pendant ce temps la, et par jugement en date du 23 mai 2008, la société C, le débiteur, a été mise en liquidation judiciaire, Maître Y étant désigné liquidateur,
Fort de la liquidation judiciaire, le mandataire judiciaire envisage et organise la cession du fonds de commerce exploité dans les locaux loués incluant la cession du bail commercial, dite cession autorisée par décision du juge commissaire au profit de la société T.
Il importe de préciser que la vente du fonds de commerce est intervenue le 2 octobre 2008.
Pour autant le commandement de payer du 20 mai 2008 visant la clause résolutoire avait produit ses effets faute de paiement dans le mois de sa délivrance.
Dès lors le bailleur considérait que le bail commercial consenti à la société C, désormais cédé à la société LT était résilié.
La société B a alors assigné Maître Y.ès qualité et la société T devant le Tribunal pour que soit constatée la résiliation du bail commercial et que qu’il soit ordonné l’expulsion de tout chef à ce titre.
Tout lecteur attentif comprendra bien à ce stade qu’une telle décision de justice serait lourde de conséquences quant à la cession qui a eu lieu,
Le liquidateur judiciaire se défend et prétend que l’action en résiliation du bail commercial engagée par la société B était irrecevable, et ce au visa de l’article L. 641-12, alinéa 4 du Code de Commerce,
En effet, dans sa rédaction applicable au litige ce texte précise que le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail commercial pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d’ouverture de la procédure qui l’a précédé et doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire.
Il est original de remarquer que le mandataire liquidateur et le débiteur rappelaient que l’action n’avait pas été engagée dans le délai de trois mois pour la simple et bonne raison que la liquidation judiciaire avait été prononcée le 23 mai 2008, alors que la société bailleresse avait, par actes des 10 et 25 mars 2010, saisi le Tribunal de Grande Instance aux fins de constatation de l’acquisition de la clause résolutoire de telle sorte que cette action n’aurait pas été introduite dans le délai de trois mois et serait donc par là même irrecevable.
Pourtant, le calendrier s’impose,
Sauf à ce que le mandataire judiciaire confonde la signification du commandement de payer visant le clause résolutoire et l’assignation aux fins de voir constaté l’acquisition de la clause résolutoire,
Bien plus, le mandataire liquidateur reprochait au bailleur de ne pas avoir procédé à la notification du commandement de payer au mandataire judiciaire alors que la société n’était qu’en redressement judiciaire.
La Cour de Cassation de s’y trompe pas et vient apporter une réponse claire et précise sur ce point puisqu’elle considère que les loyers impayés étaient afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société C, de telle sorte que l’action est résiliation du bail commercial intentée plus de trois mois après le jugement d’ouverture conformément aux dispositions de l’l’article L. 622-14, 2° du code de commerce est recevable.
Par voie de conséquence, il n’y a pas lieu de confondre commandement de payer et assignation,
Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle qu’aucune disposition légale n’impose au bailleur de notifier au mandataire judiciaire un commandement de payer visant des loyers échus après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire du preneur,
De telle sorte que la Cour constate bien que les loyers impayés étaient afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société C de telle sorte que le commandement de payer signifié à la seule gérante de cette société au cours de la période d’observation produit ses effets.
Dès lors, le bailleur créancier de loyers postérieurs est parfaitement en droit de procéder à la signification d’un commandement de payer entre les mains du débiteur sans nécessairement le notifier au mandataire judiciaire (il en aurait été autrement si un administrateur avait été désigné).
Bien plus encore, dans la mesure où le bailleur n’est pas obligé de le notifier, il peut donc obtenir la résiliation du bail commercial sans même que le mandataire judiciaire ou commissaire au plan soit avisé.
Il appartient au débiteur d’être parfaitement transparent avec son mandataire liquidateur car dans cette affaire, le débiteur a semble-t-il imaginé cacher l’information à ce dernier qui a, dans le cadre de la liquidation judiciaire, vendu le fonds.
L’acquisition de la clause résolutoire est lourde de conséquence,
En effet, il est bien évident que l’acquéreur risque fort de se retourner en responsabilité contre le mandataire judiciaire qui a cédé un fonds de commerce reposant sur un bail commercial dont la clause résolutoire est acquise.
Dès lors, passée l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le bailleur peut procéder à la signification d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail commercial au titre de paiement de loyers postérieurs sans forcément être tenu de procéder à la notification entre les mains du mandataire judiciaire.
S’il est vrai qu’il est toujours de bon aloi de le prévenir, il n’en demeure pas moins que le bailleur n’est pas tenu par ces formalités auprès du mandataire judiciaire,
Cela amène également à réfléchir à une autre problématique,
Dans l’hypothèse d’un plan de redressement qui serait obtenu et comprenant la désignation d’un commissaire à l’exécution du plan la question serait non pas tant de savoir si le bailleur doit notifier ou signifier entre ses mains le commandement de payer visant la clause résolutoire au titre du non paiement de loyers postérieurs à l’acceptation du plan de redressement judiciaire, mais de savoir si le bailleur serait tenu, lorsqu’il lance une assignation en référé pour demander au Juge de constater l’acquisition de la clause résolutoire de la faire signifier au commissaire à l’exécution du plan dans la mesure ou le fonds de commerce a fait l’objet d’une déclaration d’inaliénabilité.
En effet, il convient de rappeler que le bailleur est tenu de faire signifier son assignation à l’ensemble des créanciers inscrits.
S’il ne le fait pas à l’encontre du commissaire à l’exécution du plan au motif que ce dernier est le garant de l’inaliénabilité de l’actif visé dans le cadre du plan de redressement, cela serait il un motif d’irrevabilité de son action ?
Je ne le pense pas car il est bien évident que la décision suivant laquelle le Tribunal de Commerce prononce l’inaliénabilité du fonds de commerce et la publication n’entrainent pas une obligation du bailleur de signifier l’assignation pour la simple et bonne raison que la déclaration d’inaliénabilité sert surtout à préserver les créanciers afin d’éviter une vente intempestive de l’actif du débiteur qui le ferait dans le dos du commissaire à l’exécution du plan et au détriment des créanciers.
A mon sens, cette clause d’inaliénabilité ne peut permettre de préserver l’actif ou d’être un obstacle à la résiliation du bail commercial si les loyers postérieurs ne sont pas réglés.
En tout état de cause, la question est de savoir si le commissaire à l’exécution du plan est appelé dans la cause ce dernier pourrait-il empêcher la résiliation du bail alors qu’il n’a vocation qu’à être le garant du paiement des créanciers antérieurs sans avoir de pouvoir légal stricto sensu contre toutes créances postérieures à l’acceptation du plan ?
Dès lors, force est de constater que le sort du bail commercial, en présence de loyers postérieurs au redressement impayés, peut être tranché sans que le mandataire judiciaire soit appelé en cause, ce qui doit amener le mandataire judiciaire a procéder à quelques vérifications d’usage sans quoi, il engagerait sa responsabilité, plus particulièrement si ce dernier a eu la bonne idée de vendre le fonds sur la base d’un bail commercial résilié,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,