La question est de savoir si l’action tendant à voir constater la caducité d’une procédure de distribution dans le cadre d’une saisie immobilière au titre de l’arrêt des poursuites individuelles peut être engagée par le mandataire liquidateur alors qu’il n’a exercé aucun recours à la suite de la notification du projet de distribution amiable par lettre recommandée avec accusé de réception ?
Dans quelles conditions les effets de la liquidation judiciaire s’imposent au stade de l’établissement d’un projet de distribution en suite de la vente aux enchères publiques d’un bien immobilier ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de Cassation en ce mois d’avril et qui vient aborder la problématique de la juxtaposition entre une saisie immobilière et son projet de distribution et la mise en liquidation judiciaire du débiteur.
Dans cette affaire, sur les poursuites engagées par la banque contre une SCI, la SCI P, un jugement d’adjudication a été rendu le 13 octobre 2011, lequel jugement a été publié le 31 juillet 2012, adjugeant ledit bien immobilier vendu aux enchères publiques au profit de l’adjudicataire, Monsieur N.
Ce dernier adjudicataire a consigné le prix les 30 novembre 2011 et 3 février 2012 entre les mains du Bâtonnier de l’Ordre des avocats, désigné pour l’occasion en qualité de séquestre.
L’avocat de la banque a par la suite établi le 31 janvier 2014 le projet de distribution amiable du prix d’adjudication.
On peut quand même à ce stade s’étonner de l’inertie de la banque qui a mis près de deux ans à établir un projet de distribution.
Or, par un jugement du 11 février 2014, la SCI P a été mise en redressement judiciaire et Maître H désigné en qualité de mandataire judiciaire, la procédure étant ultérieurement convertie en liquidation judiciaire.
Le 14 mars 2014, la banque a notifié au mandataire judiciaire, ès qualité, le projet de distribution amiable du prix d’adjudication.
Par une ordonnance du 18 juin 2014, notifiée le 23 juin 2014 à Maître H es qualité de mandataire liquidateur, le Juge de l’Exécution a, en application de l’article R. 332-6, alinéa 2, du Code des Procédures Civiles d’Exécution, homologué le projet de distribution et lui a conféré force exécutoire.
Pour autant, le mandataire liquidateur a cru bon assigner la banque, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats, Monsieur N et le syndicat des copropriétaires devant le Juge de l’Exécution pour voir déclarer caduque, depuis le 11 février 2014, la procédure de distribution du prix de vente du bien immobilier et voir ordonner au bâtonnier de lui remettre la totalité du prix d’adjudication séquestré entre ses mains.
C’est dans ces circonstance que le Juge de l’Exécution a déclaré irrecevables les demandes de Maître H.
Pour autant, il convient de rappeler que par application de l’article L. 622-21 du Code de Commerce, le jugement d’ouverture arrête ou interdit toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d’ouverture.
La question est de savoir si l’action tendant à voir constater la caducité d’une procédure de distribution dans le cadre d’une saisie immobilière au titre de l’arrêt des poursuites individuelles peut être engagée par le mandataire liquidateur alors qu’il n’a exercé aucun recours à la suite de la notification du projet de distribution amiable par lettre recommandée avec accusé de réception ?
Dans quelles conditions les effets de la liquidation judiciaire s’imposent au stade de l’établissement d’un projet de distribution en suite de la vente aux enchères publiques d’un bien immobilier ?
Dans cette affaire il n’était pas contestable que la procédure de distribution était en cours à la date du jugement d’ouverture intervenu le 11 février 2014 puisque le Juge de l’Exécution a été saisi de la demande d’homologation du projet de distribution amiable par requête du 16 avril 2014.
La question était de savoir à quel moment l’effet attributif de la saisie immobilière pouvait s’imposer au débiteur.
La procédure collective amenait également à s’interroger sur les articles L. 334-1 et R. 334-3 du Code des Procédures Civiles d’Exécution qui disposent que c’est à l’égard du seul débiteur que la consignation du prix d’adjudication par l’acquéreur produit les effets d’un paiement si la distribution du prix n’est pas intervenue dans les six mois, de sorte que les créanciers inscrits ne peuvent se prévaloir de ces dispositions pour soutenir qu’un effet attributif de la procédure de distribution a eu lieu à leur profit avant l’ouverture de la procédure collective.
En effet dans cette affaire, la banque reprochait l’arrêt de la Cour d’Appel d’avoir déclaré Maître H recevable en son action tendant à voir constater la caducité de la procédure de distribution du prix de vente sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ce dernier n’ait jamais frappé de recours l’ordonnance du 18 juin 2014, homologuant le projet de distribution.
La banque faisait aussi grief à l’arrêt, d’avoir déclaré caduque, depuis le 11 février 2014, la procédure de distribution du prix de vente des biens immobiliers ayant appartenu à la SCI P et d’avoir ordonné en conséquence la remise à Maître H es qualité, de la totalité du prix d’adjudication versé par l’adjudicataire.
La banque considérait notamment que le juge ne peut en aucun cas remettre en cause une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Dans cette affaire, dans la mesure où par une ordonnance du 18 juin 2014, le Juge de l’Exécution avait homologué le projet de distribution amiable établi par la banque, cette ordonnance, revêtue de l’autorité de chose jugée dès son prononcé, n’ayant pas été frappée de pourvoi en cassation, était donc devenue irrévocable.
La banque retenait l’effet attributif de la saisie immobilière d’un immeuble, dont le jugement d’adjudication a été publié, se produit, au profit des créanciers privilégiés et hypothécaires de l’immeuble saisi, six mois après la consignation du prix d’adjudication par l’acquéreur.
Si bien qu’à cette date, l’immeuble était sorti du patrimoine du débiteur et la procédure d’exécution était opposable aux organes de la procédure collective ouverte postérieurement à l’égard du débiteur saisi.
Pour autant, la Cour de Cassation ne partage pas cette analyse.
La Haute juridiction considère que l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du Juge de l’Exécution homologuant le projet de distribution du prix de vente, même devenue irrévocable en l’absence de recours exercé par le mandataire judiciaire, ne fait pas obstacle à l’exercice, par ce dernier, d’une action dont l’objet et la cause sont distincts comme tendant, non à critiquer l’ordonnance d’homologation, mais à voir constater, aux conditions des articles L. 622-21 II et R. 622-19 du Code de Commerce, la caducité de la procédure de distribution.
C’était donc à bon droit que la Cour d’Appel avait rejeté la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du 18 juin 2014, le mandataire liquidateur était donc bien recevable à engager son action.
La Cour de Cassation précise qu’au visa de l’article L. 622-21 II du Code de Commerce et de l’article R. 621-19 du même code une procédure de distribution du prix de vente d’un immeuble vendu par adjudication n’ayant pas produit un effet attributif à l’égard des créanciers avant le jugement d’ouverture de la procédure collective du débiteur saisi est caduque.
Elle confirme l’arrêt de la Cour d’Appel qui retient exactement qu’aux termes mêmes des articles L. 334-1 et R. 334-3 du Code des Procédures Civiles d’Exécution, c’est à l’égard du seul débiteur que la consignation du prix d’adjudication par l’acquéreur produit les effets d’un paiement si la distribution du prix n’est pas intervenue dans les six mois, de sorte que les créanciers inscrits ne peuvent se prévaloir de ces dispositions pour soutenir qu’un effet attributif de la procédure de distribution a eu lieu à leur profit avant l’ouverture de la procédure collective.
En conséquence, dès lors que la Cour d’Appel a constaté que le prix de vente n’avait pas été réparti entre les créanciers avant l’ouverture du redressement judiciaire, elle a décidé à bon droit que la procédure de distribution était caduque et que les fonds séquestrés devaient être remis au mandataire judiciaire pour être répartis conformément aux règles de la procédure collective.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle rappelle encore une fois le sacrosaint principe de l’arrêt des poursuites individuelles.
La Cour de Cassation considère que le projet de distribution n’a pas encore acquis son caractère attributif de telle sorte que le mandataire liquidateur est bien fondé à récupérer les fonds et procéder lui-même à un nouveau projet de distribution.
Elle ne revient pas sur la question de savoir si pour l’adjudicataire, l’effet attributif a vocation à être remis en question tout simplement parce que l’effet translatif de propriété est lié au jour du jugement d’orientation sous réserve que l’adjudicataire paye le prix de vente.
Mais immanquablement le droit de l’entreprise en difficulté peut, et doit être pris en considération dans sa capacité à interagir au sein du droit de la saisie immobilière.
Cette interaction peut offrir des alternatives intéressantes pour le débiteur saisi.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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