En saisie immobilière, l’avocat engage t’il sa responsabilité pour ne pas avoir rappelé à ses clients qu’ils pouvaient opter pour une vente amiable ? En cas de dessaisissement, l’avocat peut-il réclamer ses honoraires de résultat Est-il tenu à une obligation d’information spécifique ?
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Il convient de s’intéresser à deux jurisprudences qui ont été rendues récemment, la première en juin 2022 et la seconde en septembre 2022 et qui viennent aborder deux problématiques récurrentes chez l’avocat.
Premièrement, la question de la perception du solde des honoraires de l’avocat lorsque celui-ci est dessaisi en cours de procédure,
Deuxièmement, la question des hypothèses de responsabilité de l’avocat dans le cadre très spécifique d’une procédure de saisie immobilière concernant l’hypothèse d’une vente amiable.
Il convient de s’intéresser d’abord à la responsabilité de l’avocat, pour, ensuite, aborder la question relative au sort de ses honoraires.
Comment engager la responsabilité civile d’un avocat ?
Dans cette première jurisprudence rendue par la Cour d’Appel de NIMES, 1ère chambre civile, du 30 juin 2022, n° RG 22/00062.
La Cour d’appel de NIMES venait répondre à deux problématiques.
La première problématique était de savoir si, oui ou non, l’avocat engage sa responsabilité lorsqu’il représente son client débiteur dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière pour ne pas l’avoir assez informé de la possibilité qu’il avait de vendre à l’amiable son bien immobilier ?
Dans cette affaire et pour l’obtention, le 15 septembre 2015, d’un prêt bancaire au profit de sa société F. dirigée par Monsieur L., ce dernier s’était porté caution dudit prêt, avec sa femme, et avait consenti une garantie immobilière sur un bien dont il était propriétaire en Corse.
La société F. ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la banque a alors assignés les deux époux L. en remboursement de l’emprunt et, le 20 juin 2013, avait délivré un commandement de payer valant saisie immobilière de leur bien immobilier en Corse.
Pour contester cette procédure, les époux L. avaient saisi Maître L.
Par décision du 20 novembre 2014, le Juge de l’Exécution avait jugé les époux L. irrecevables en leur demande de nullité du commandement de payer.
En effet, et c’est la deuxième problématique de cette responsabilité de l’avocat quant à la question de la prescription et du délai dans lequel le client mécontent doit intervenir pour engager cette responsabilité.
Quelles sont les responsabilités de l’avocat ?
A titre liminaire, la Cour observe qu’elle n’est saisie que de l’appel d’une ordonnance du Juge de la Mise en Etat ayant statué sur une fin de non-recevoir et que la dévolution ne concerne donc que l’examen de la fin de non-recevoir et non du fond de l’affaire qui devrait être renvoyé au Premier Juge dans l’hypothèse d’une infirmation de la décision déférée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription, la Cour d’Appel rappelle qu’aux termes des dispositions de l’article 2225 du Code Civil, l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice y compris à raison de la perte de la destruction des pièces qui leurs ont été confiées se prescrit par 5 ans à compter de la fin de leur mission.
La question qui se pose est en lien direct avec la fixation du point de départ de la prescription que les appelants demandent à la Cour de fixer à la date de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Bastia le 13 janvier 2016 ayant déclaré irrecevable la demande de vente amiable du bien immobilier présentée pour la première fois en cause d’appel.
Tandis que l’intimé se prévalait de la date de fin de mission de l’avocat correspondant à la date à laquelle il a été déchargé de la procédure d’appel par son client, soit en l’espèce le 7 février 2015.
Il résulte du courrier adressé par les époux L. à Maître L., le 24 juillet 2013, que celui-ci a été saisi aux fins de contestation du commandement de payer délivré à leur encontre,
Les clients s’en étant remis à leur conseil pour déterminer la stratégie la plus adaptée à la défense de leurs intérêts tout en ayant évoqué la procédure de la vente forcée de leur bien immobilier mais aussi la question de la possibilité d’une vente amiable.
Ceci est important car, non-seulement, il convient de rappeler que l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’Orientation rappelle dans ses dispositions obligatoires et expressément visées dans le corps de l’assignation que le débiteur a aussi la possibilité de vendre à l’amiable son bien.
Si à la suite du jugement d’orientation, rendu par le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance d’AJACCIO en novembre 2014, les époux L. ont confié à Maître L. la mission d’interjeter appel, il est établi que celui-ci a été déchargé de sa mission et que la date certaine du 5 février 2015 peut être retenue à cet égard, s’agissant du courrier dans lequel l’avocat prenait acte de sa décharge.
S’il est constant que l’action en responsabilité contre un avocat au titre d’une faute commise dans l’exécution de sa mission interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l’irrecevabilité de l’appel, les fautes reprochées à l’avocat en l’espèce ne concernent cependant pas la procédure d’appel proprement dite dont Maître L. a été déchargé, mais la procédure de première instance engagée devant le Juge de l’exécution.
Quelles sont les fautes professionnelles d’un avocat ?
Il est en effet reproché à l’avocat de ne pas avoir présenté une demande de vente amiable devant le Premier Juge et de ne pas avoir contesté le montant de la mise a pris fixé par le créancier poursuivant, les appelants considérant que leur dommage a été révélé à la date de l’arrêt du 13 janvier 2016 qui aurait, selon eux, fait apparaitre les manquements imputés à leur avocat au regard de la décision d’irrecevabilité de leur demande de conversion en vente amiable non soumise au Premier Juge.
Il ressort cependant des termes de la correspondance adressée par leur nouveau conseil, le 6 février 2015, versée aux débats par leurs soins, que leur attention avait précisément été attirée sur le risque de rejet de la demande de conversion de la vente forcée en vente volontaire en raison de son absence de formulation en première instance.
Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à voir fixer le point de départ de l’action en responsabilité civile de l’avocat à la date de l’arrêt ayant déclarée irrecevable leur demande de vente amiable, alors qu’il est établi par les pièces versées aux débats que la mission de Maître L. avait pris fin à la date certaine du 7 février 2015 et qu’ils avaient été alertés à cette même date des possibles conséquences du manquement reproché à leur avocat dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée.
C’est donc à bon droit que le Premier Juge a déclaré l’action en responsabilité civile de l’avocat irrecevable et la décision a été confirmée.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle rappelle que la responsabilité de l’avocat peut être envisagée par son client dans toutes circonstances, notamment dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière alors même que le débiteur a été destinataire de l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’Orientation, alors même que le corps de cette assignation à comparaitre devant ce même Juge rappelle qu’une vente amiable est possible.
La responsabilité de l’avocat et le refus de vente amiable
Ces derniers viennent malgré tout reprocher à l’avocat de ne pas avoir soulevé ce point, alors que, pourtant, de nombreux échanges ont eu lieu entre l’avocat et ses clients et qu’il peut sembler incroyable que cette question n’a jamais été abordée par les consorts L. qui auraient pu, effectivement, écrire en sensibilisant leur conseil sur le fait qu’ils avaient éventuellement envisagée l’hypothèse d’une vente amiable dans des conditions de prix normalement plus intéressant que celui obtenu dans le cadre d’une vulgaire adjudication.
La difficulté de la saisie immobilière et sa spécificité font que dans ce type de contentieux bon nombre de débiteurs souhaitent avant toute chose sauver leur bien et n’envisagent pas, même à titre subsidiaire, de voir leur bien vendu fusse-t-il à l’amiable.
Dès lors, l’avocat pourrait engager sa responsabilité pour ne pas avoir expressément sensibilisé ses clients sur l’hypothèse d’une vente amiable alors que cela est déjà précisé dans l’assignation à comparaitre devant le Juge de l’Orientation, ceci est une vraie question.
Force est de constater dans cette jurisprudence que les époux L., qui n’avaient d’ailleurs pas fait face au règlement des honoraires de l’avocat, viennent désormais chercher un responsable à leur propre déconfiture et se retournent naturellement contre leur conseil, ce qui est malheureusement une pratique bien trop courante et fort regrettable.
La fixation des honoraires de l’avocat
Ceci, alors même qu’à l’époque ce dernier n’avait pas manifesté la volonté de vendre leur bien de quelque manière que ce soit, leur objectif étant, à titre principal et finalement à titre exclusif, de refuser de voir leur bien vendu de quelque manière que ce soit.
Dès lors, force est de constater qu’en cas d’échec, le travail de l’avocat est malheureusement souvent mis à défaut.
Pour autant, et inversement, il est aussi loisible de comprendre que l’avocat ne souhaite pas poursuivre son mandat dès lors que celui-ci n’a pas été réglé de ses honoraires.
Il est vrai aussi que dans bon nombre de cas de figure le dessaisissement de l’avocat engendre parfois un enjeu en lui-même.
Le choix du client n’est pas forcément anodin.
Le changement d’avocat peut amener à un changement de stratégie juridique et judiciaire, avec un regard neuf sur les tenants et aboutissants de son affaire.
Ce changement d’avocat peut aussi être un moyen de ne pas faire face aux honoraires dus à l’avocat, plus particulièrement concernant les honoraires de résultat.
Les honoraires de résultat de l’avocat
Quelles sont les garanties pour l’avocat ? Doit-il informer ses clients à ce sujet ?
Il convient de citer cette jurisprudence qui a été rendue le 23 septembre 2020, Cour de cassation, 1ère chambre civile, n°19-13.214, qui vient rappeler l’obligation d’information du client par l’avocat en cas de dessaisissement.
Maître M., avocat au Barreau de DIJON, avait été mandaté par Monsieur X., afin de défendre ses intérêts devant un Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale.
C’est dans ces circonstances que les parties avaient conclu une convention d’honoraires stipulant un honoraire forfaitaire pour la première instance et pour l’éventuelle procédure d’appel ainsi qu’un honoraire de résultat.
En cours d’instance, Monsieur X. a dessaisi l’avocat et lui a versé la somme conventionnellement prévue au titre de la première instance.
Pourtant, considérant que ce paiement n’était pas satisfactoire l’avocat a alors adressé une facture d’honoraires qui a été contestée par la suite et une ordonnance de taxe avait été rendue, puis était devenue irrévocable après le rejet du pourvoi formé par Monsieur X., cette ordonnance taxant les honoraires de l’avocat en application des dispositions de l’article 10 de la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.
Soutenant que l’avocat avait manqué à son obligation d’information relative à la détermination de ses honoraires, Monsieur X. a alors assigné l’avocat en responsabilités et indemnisation.
Comment contester les honoraires de l’avocat ?
Dans le cadre de son pourvoi, Monsieur X. faisait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes alors que, selon lui, l’avocat devait informer son client dès sa saisine des modalités de détermination des honoraires, de l’évolution prévisible de leur montant, cette information figurant, le cas échéant, dans la convention d’honoraires.
Cette obligation d’information implique que l’avocat avertisse son client dès sa saisine de ce qu’en cas de dessaisissement il sera fait application des critères prévus par l’article 10 de la Loi du 31 décembre 1971 pour fixer le montant de ses honoraires, à l’exclusion des dispositions dans la convention d’honoraires qu’ils avaient éventuellement conclue en retenant que l’avocat avait respecté son obligation d’information puisque le montant prévisible des honoraires avait été fixé forfaitairement pour chaque étape de la procédure aux termes d’une convention qui sous-tendait que l’avocat resterait en charge du dossier jusqu’à sa conclusion, alors qu’aucune disposition n’impose à l’avocat de faire figurer dans la convention d’honoraires les modalités de fixation de sa rémunération dans l’hypothèse d’un dessaisissement anticipé.
La Cour de cassation dans cette jurisprudence, au visa de l’article 1147, vient préciser qu’il résulte de ces textes que l’avocat informe son client dès sa saisine puis de manière régulière des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant.
Cette obligation implique que l’avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et son inexécution l’expose au paiement de dommages et intérêts.
Cette jurisprudence rappelle en tant que de besoin que l’avocat est tenu d’informer son client en amont des modalités financières de son dessaisissement.
Le meilleur des conseils est alors d’inviter l’avocat de prévoir dans sa convention d’honoraires une clause dans laquelle ce dernier prévoira le sort de ses honoraires prélevés, acquis ou non au moment de son dessaisissement.
A bon entendeur,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
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