Un couple de salariés occupant un logement de fonction, prochainement à la retraite, sont poursuivis aux fins de saisie immobilière par la banque qui veut saisir leur bien qu’ils ont acheté pour leurs vieux jours et leur retraite. Le couple décide de se placer en procédure de surendettement pour sauver le bien qui n’est pas encore leur résidence principale. Peuvent-ils échapper à la saisie immobilière ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue, une fois n’est pas coutume, par le Tribunal judiciaire de Paris, en procédure de surendettement, ce 05 décembre 2023, N°2300464, et qui vient aborder une question spécifique relative au sort de la résidence d’un couple de débiteur qui était propriétaire d’un bien qui était poursuivi par la banque en saisie immobilière.
Or, ledit bien n’était pas la résidence principale à ce jour puisque ces derniers n’occupaient pas le bien mais étaient logés à titre professionnel dans un logement de fonction.
Résidence principale au jour de la retraite vs logement de fonction
La particularité de cette procédure est que le bien immobilier qu’ils avaient acquis n’était pas encore leur résidence principale, mais devait le devenir au jour de leur retraite.
A ce moment-là, le bien serait bien devenu leur résidence principale, comme étant leur dernier domicile familial mais dont ils n’étaient pas encore occupant du bien, étant encore logés dans le cadre de leurs emplois actuels.
Ces derniers effectivement avaient eu l’idée, pour préparer leur retraite alors qu’ils avaient toujours été hébergés dans le cadre de leurs obligations professionnelles, d’acheter un bien et de mettre un locataire en son sein pour pouvoir assurer l’auto-financement dudit bien en question.
Malheureusement, comme cela arrive encore trop souvent, les locataires ont été indélicats.
Les locataires n’ont pas payé les loyers, mettant ainsi par ricochet les consorts C en difficulté à l’encontre de l’établissement bancaire puisque, faute de paiement des loyers, ces derniers n’étaient plus à même de faire face aux obligations bancaires,
Faute de revenus locatifs, déchéance du terme du prêt immobilier
De même concert, la banque a prononcé la déchéance du terme et a, par la suite, tout naturellement envisagé une procédure de saisie immobilière.
Une saisie immobilière immédiatement lancée par la banque
Les consorts C, dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, avaient pris soin de contester les prétentions de la banque, notamment en contestant les conditions dans lesquelles la déchéance du terme avait été prononcée,
Alors même que les emprunteurs avaient commencé à reprendre des paiements pour pouvoir réduire la créance bancaire autant que faire se peut, quand bien même celle-ci serait déchue.
Ces derniers réglant presque le même montant que l’échéance du prêt mais sur la créance en son entier en l’état de la déchéance du terme.
Une reprise des paiements post déchéance du terme
Alors que, jurisprudence faisant, tout laissait à penser que le Juge de l’orientation viendrait pousser vers une vente aux enchères publiques du bien, les consorts C ont eu l’idée par le truchement de leur conseil, votre serviteur, de se diriger vers une procédure de surendettement afin de bénéficier du sacrosaint principe de l’arrêt des poursuites individuelles.
Cependant, la mise en place de cette procédure de surendettement a amené à quelques difficultés d’ordre juridique et technique.
En effet, la question se posait de savoir si ces derniers pouvaient effectivement obtenir un échéancier sur huit ans afin de régler la créance, de la solder intégralement et de conserver leur bien qui n’était pourtant pas, au jour de l’ouverture de la procédure de surendettement, leur résidence principale mais ne le serait qu’au jour de leur retraite à venir dans les quelques années.
Résidence principale du débiteur, oui mais quand ?
Ainsi, si la procédure de surendettement pouvait sembler être une solution, c’était sans compter le positionnement de la commission de surendettement qui est parfois bien sûr prenante.
En effet, c’est dans ces circonstances que le 17 octobre 2022, Monsieur C a déposé un dossier auprès de la commission de surendettement des particuliers de Paris, puis, le 19 octobre 2022, Madame C a quant à elle déposé un dossier distinct auprès de la même commission.
Chacun de ces deux dossiers avaient été déclarés recevable le 10 novembre 2022,
Cependant et contre toute attente, le 13 avril 2023, la commission a décidé d’imposer, s’agissant de Monsieur C, le rééchelonnement de ses dettes sur vingt-quatre mois au taux de 0 % en retenant une mensualité de remboursement de 1 355.47 euros avec un restant dû des dettes à l’issue de 90 854.00 euros subordonné à la vente amiable au prix du marché du bien immobilier qu’il détient d’une valeur estimée à 350 000.00 euros.
La vente de la résidence imposée par la Commission de surendettement
Et, s’agissant de Madame C, le rééchelonnement de ses dettes sur vingt-quatre mois au taux de 0 % en retenant une mensualité de remboursement de 1 231.47 euros avec un restant dû des dettes à l’issue d’un montant de 99 703.37 euros, subordonné à la vente amiable au prix du marché du bien immobilier qu’elle détient d’une valeur estimée à 350 000.00 euros.
Or, cette décision de commission de surendettement pourrait sembler surprenante puisque l’objectif était effectivement de ne pas vendre le bien, de régler la dette sans avoir à réaliser l’actif immobilier, ceci d’autant plus que les consorts C étant à cinq/six années de la retraite,
Il est bien évident que, passé la vente du bien, ces derniers n’auraient dans tous les cas aucune possibilité de redevenir propriétaire de quelque manière que ce soit.
Une résidence principale à sauver pour la retraite
Une telle vente de leur bien serait catastrophique,
En effet, le bien vendu, les débiteurs devant percevoir une maigre retraite ne pourraient plus racheter et ne pourraient même pas faire face à la prise en charge par la d’un loyer, ce qui les amènerait à une situation financière d’une grande précarité comme le sont malheureusement grand nombre de retraité à ce jour.
C’est donc tout naturellement qu’à la réception de ces deux décisions de la commission de surendettement qui leur ont été notifiées le 19 avril 2023, les deux consorts C ont tous deux contestés le 25 avril 2023 ladite décision.
La contestation des mesures imposées de la Commission de surendettement
À l’audience du 19 octobre 2023, le conseil des consorts C, votre serviteur, demandait ainsi au Juge de joindre les deux dossiers, d’ordonner un plan de rééchelonnement pour Madame et pour Monsieur sur dix ans avec des échéances de 1 950.00 euros par mois, ce qui permettrait un désintéressement complet de la créance bancaire avec une conservation de l’actif immobilier.
La faisabilité d’un plan de remboursement sur 8 ans avec le gel des intérêts
Étant précisé que les consorts sollicitaient également le gel des intérêts des créances bancaires et plus particulièrement celles détenues par le Crédit logement, organisme de caution qui venait aux lieu et place de l’établissement bancaire initial.
C’est dans ces circonstances que le Juge du surendettement du Tribunal judiciaire de Paris devait s’exprimer.
À titre préliminaire, la Juge rappelait que les courriers que certains des créanciers avaient adressés au Tribunal en amont de l’audience, non contradictoires, faute de production de l’avis de réception signé par les débiteurs, ne seraient pas retenus pour l’élaboration de la décision à venir conformément aux dispositions des articles 16 du Code de procédure civile et R713-4 du Code de la consommation.
Concernant la recevabilité du recours formé par les consorts C, la Juge du surendettement précise qu’en l’application des articles L133-10 et R133-6 du Code de la consommation les parties disposent de trente jours pour contester devant le Juge des contentieux de la protection les mesures que la commission entend imposer à compter de la notification de cette décision.
Cette contestation se formant par déclaration remise ou adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au secrétariat de la commission en indiquant les noms, prénoms et adresses de son auteur, de la recommandation contestée ainsi que les motifs de la contestation et devait être signée par ces derniers.
Ainsi, par sécurité, les consorts C ont chacun formé leur recours dans les formes et les délais légaux et, par la suite, leur conseil a également pris soin d’adresser également ce recours ce qui fait un véritable doublon et donc une sécurité, de telle sorte que le Juge du surendettement a considéré leurs demandes recevables.
La contestation du débiteur recevable
Concernant la jonction des deux dossiers puisque chacun des époux C a déposé un dossier, le Juge observe qu’il existe entre les deux dossiers soumis au Juge, celui déposé par Monsieur C et celui déposé par Madame C, un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou jugé ensemble.
Il convient, en application des dispositions de l’article 367 du Code de procédure civile, d’ordonner la jonction des deux procédures, tantôt celle initiée par Madame C, tantôt celle initiée par Monsieur C, les dettes du couple seront donc alors réunies afin de faire l’objet d’un traitement commun.
La Juge souligne par ailleurs qu’il est indiqué à l’attention des deux débiteurs et de leurs conseils, à titre d’information, qu’il aurait été plus pertinent de déposer un dossier en commun dès l’origine s’ils entendaient voir traiter de manière commune leur situation de surendettement.
Cependant, il apparaissait utile pour le conseil des consorts C de doubler les demandes de procédure de surendettement afin d’empêcher les créanciers de profiter d’un rejet pour envisager la saisie immobilière du bien.
De telle sorte que la procédure avait été doublée pour justement faire barrage à l’établissement bancaire et éviter ainsi toute saisie forcée du bien en question.
Quant aux bien-fondé des prétentions des consorts C, le Juge du surendettement va notamment retenir à bien des égards l’argumentation des conseils des consorts C afin de faire droit à leurs demandes.
En effet, la juridiction rappelle que selon l’article L133-13 du Code de la consommation, le Juge saisit une contestation des mesures imposées de la commission, prend tout ou partie des mesures définies aux articles L133-1, L133-4 et L133-7 du Code de la consommation.
Il peut également prononcer un redressement personnel sans liquidation judiciaire bien que dans notre cas précis cela n’est pas possible puisque les consorts C sont propriétaires d’un bien.
Le Juge rappelle par ailleurs que, conformément aux dispositions des articles L131-1 et suivants du Code de la consommation, le montant des mensualités doit être déterminé en fonction de la quotité saisissable des salaires tel que fixé selon les articles L3252-2 et L3252-3 du Code du travail de manière à ce qu’une partie des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage lui soit réservée en priorité.
La part des ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage est déterminée et mentionnée dans la décision dans les conditions prévues à l’article L131-2 du Code de la consommation.
La situation financière des débiteurs analysée
Le Juge soulignant qu’en l’espèce il ressortait de l’état descriptif de situation dressée par la commission et actualisée par les éléments communiqués par les consorts C et leur conseil que Monsieur C est né en 1963, il est technicien industriel qualifié en CDI et que Madame C est née en 1965, elle est gardienne d’immeuble, exerçant trois autres emplois, employée d’immeuble, employée familiale et employée de cantine.
Ces derniers sont tous deux mariés, n’ont pas de personne à charge et qu’ils occupent à titre gratuit le logement mis à disposition de Madame au titre de sa fonction de gardienne.
Par la suite, la Juge reprend l’ensemble des éléments décrits par le conseil des consorts C en ventilant l’ensemble des ressources mensuelles des deux époux, puis, vient par la suite déterminer l’ensemble des charges au fur et à mesure de la plus importante à la plus faible afin de faire un point précis de ce qui pourrait être leur reste à vivre.
Il convient de rappeler, en effet, que, conformément à l’article R-731-3 du Code de la consommation, il appartient au Juge du surendettement d’évaluer les charges forfaitairement au regard du barème élaboré par la commission de surendettement.
Les charges forfaitaires du débiteur face au plan
Ce barème prenant en compte la composition de la famille avec un mode de calcul prétendument plus favorable au débiteur que le barème applicable en matière de saisie des rémunérations afin de garantir que chaque débiteur soit traité de manière égale en fonction de ses capacités financières.
Cependant, il importe effectivement au conseil de la personne en surendettement de faire un point précis des charges car il les fourchettes ne sont pas toujours bien adaptées et l’interprétation que peut en faire à la fois la commission de surendettement et à la fois le Juge du surendettement peut effectivement desservir les intérêts du débiteur.
À charge pour son conseil de bien soulever l’ensemble des charges courantes.
Dans cette affaire, la Juge a pris soin de déterminer l’ensemble des charges mensuelles des époux C en les établissant comme suit,
- Tout d’abord le forfait de base pour un foyer de deux personnes comprenant les dépenses d’alimentation, de transport, d’habillement, de santé, d’hygiène, …
- Le forfait d’habitation pour un foyer deux personnes comprenant les dépenses d’eau et d’énergie, hors chauffage, téléphone, internet, assurance habitation…
- Un forfait chauffage pour un foyer de deux personnes.
- Ainsi que les charges dues pour l’immeuble en question.
Dans cette affaire, il importe de préciser que le surplus des charges énumérées par les consorts C et leur conseil dans leurs écritures ne sont pas retenus au motif pris que les consorts C n’auraient pas fournis assez de justificatif s’y rapportant, ce qui n’a pas d’impact pour le coup dans cette procédure mais il importe de préciser que la démonstration de l’ensemble des charges énumérées avec l’ensemble de leurs justificatifs peuvent être déterminantes car basculer d’échéancier sur une approche complètement différente que le seul barème retenu par la commission de surendettement.
Au vu des éléments évoqués, le Juge considère qu’il apparait que le débiteur dispose d’une capacité de remboursement d’un montant de 5 183.00 euros – 1 421.00 euros, soit, 3 762.00 euros.
Le Juge considérant que le montant mensuel maximum qui pourrait être affecté aux remboursements de leurs dettes en application du barème des saisies des rémunérations s’élève quant à lui à la somme de 3 582.00 euros.
Une mensualité de remboursement de la créance fixée par le juge
La mensualité de remboursement retenue dans le cadre de la présente décision ne pourra donc excéder ce montant de 3 582.00 euros, de sorte que la part de ressources nécessaires aux dépenses courantes du ménage à laisser à la disposition des débiteurs s’élève à la somme de 1 601.00 euros.
Mais, c’est là où la question devient importante, la vraie question est de savoir quel sort va être donné à leur résidence principale qu’ils n’auront l’occasion d’occuper et de jouir qu’à compter de leur retraite.
En effet, la Juge rappelle que les consorts C sont propriétaires d’un bien qu’ils ont acquis certes en juillet 2009 mais qui n’a de but que d’y établir leur résidence principale à leur seule retraite.
Étant rappelé qu’ils perdront alors le bénéfice du logement de fonction actuellement mis à la disposition de Madame en contre partie de son emploi de gardienne.
La protection du bien immobilier qui n’est pas encore résidence principale
Compte tenu de ce que l’empêchement actuel du débiteur d’occuper ce bien à titre de résidence principale tient à leur emploi actuel respectif situé en région Parisienne, compte tenu de leur projet d’aller y vivre à leur retraite dont l’échéance approche et compte tenu de ce qu’ils sont par ailleurs en capacité d’apurer leurs dettes dans le délai maximal de quatre-vingt-quatre mois prévu par la loi, il n’apparait pas nécessaire de prévoir la vente de ce bien pour traiter leur situation de surendettement.
Dès lors, le Juge rappelle que les consorts C n’ont jamais bénéficié de précédente mesure et demeurent donc éligibles à des mesures d’une durée maximale de quatre-vingt-quatre mois, soit, la durée maximale permise par la loi.
En conséquence, la Juge fait droit à l’argumentaire des consorts C et de leur conseil, votre serviteur, en modifiant les mesures initialement prévues par la commission afin de réunir les dettes des consorts C et d’adapter le montant de la mensualité mise à leur charge à leurs ressources et charges actuelles.
Il sera ainsi établi un plan de rééchelonnement de leurs dettes sur une durée de quarante-neuf mois prévoyant une mensualité de remboursement d’environ 2 800.00 euros, soit, une somme inférieure à ce qui serait légalement possible mais supérieur à celle proposée par les débiteurs et permettant l’apurement de leurs dettes dans un délai raisonnable.
Ce par soucis de concilier l’ensemble des intérêts en présence en d’assurer la pérennité des présentes mesures qui commenceront à compter du 01er février 2024 et dont les modalités sont reprises dans le dispositif de la Juge.
Un plan de surendettement pour sauver la résidence principale à venir,
Enfin, dernier point important, la Juge considère qu’afin de ne pas aggraver la situation financière des consorts C et de leur permettre d’apurer dans de meilleures conditions possibles la créance bancaire, la Juge ordonne que le taux d’intérêt du prêt soit ramené à zéro avec bien sûr un échelonnement des dettes dans le cadre du plan de surendettement sans intérêt ce qui est également extrêmement salutaire.
Cette jurisprudence est intéressante, elle démontre la stratégie que peut employer le débiteur en difficulté financière pour se servir des dispositions propres au droit du surendettement afin d’obtenir la protection du bien, échelonner la dette sur une durée pouvant aller jusqu’à huit ans et ce sans intérêt.
Ce qui n’est pas rien et qui permet du coup au débiteur, qui veut sauver sa résidence principale, de faire face à ses obligations tout en préservant son actif et donc sa résidence principale.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
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