Nouvel exemple jurisprudentiel lié aux prêts en francs suisses, dans lequel il est reproché de ce que les clauses dudit contrat de prêt ne déterminent pas clairement le caractère variable ou fixe ou variable du taux, sans aucune précision d’indice objectif de référence, générant ainsi à une véritable imprécision sanctionnable du taux conventionnel du prêt en francs suisses,
Article :
Il convient de s’intéresser à une nouvelle jurisprudence rendue par la Cour de Cassation en mars 2019 qui vient aborder une nouvelle fois la problématique du taux effectif global et la question de la responsabilité de la banque concernant ces fameux prêts en francs suisses.
Dans cette affaire, suivant offre acceptée le 8 juillet 2008, la banque avait consenti à la SARL L, constituée de Monsieur et Madame E et de leurs enfants, un prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 200 000 euros, remboursable en soixante échéances trimestrielles libellées en francs suisses, ainsi qu’un prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 380 000 euros, remboursable en soixante échéances trimestrielles libellées en francs suisses.
Suivant une nouvelle offre acceptée le 13 août 2008, la banque a également consenti à Monsieur et Madame E un prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses de la somme de 465 000 euros, remboursable en quarante échéances trimestrielles libellées en francs suisses.
Cependant, invoquant le caractère ruineux du financement en raison de la dépréciation de l’euro par rapport au franc suisse, les emprunteurs ont assigné la banque en nullité des prêts, subsidiairement en déchéance du droit aux intérêts, ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts.
Malheureusement, le décès de Monsieur E est survenu en cours d’instance et les enfants sont intervenus volontairement à la procédure en leur qualité d’ayants droit de leur père, aux côtés de Madame E.
La Cour de Justice de l’Union Européenne s’était déjà exprimée dans deux décisions sur la problématique des prêts en francs suisses.
Une fois n’est pas coutume, la banque ainsi que les consorts E avaient tous formé un pourvoi contre la décision en litige.
La banque faisait grief à l’arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande relative aux clauses abusives.
Elle considérait que l’action visant à faire déclarer non écrite une clause abusive constituait une action en nullité qui se prescrit dans un délai de cinq ans courant à compter du jour où le consommateur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Pour autant, la Haute juridiction ne partage pas cet avis au motif pris que les clauses réputées non écrites en application de l’article L. 132-1 ancien du Code de la Consommation sont réputées non avenues par le seul effet de la loi.
La Cour d’Appel considérait qu’il y avait matière à débouter la banque de sa fin de non-recevoir fondée sur la prescription de la demande tendant à faire déclarer la stipulation du taux conventionnel abusive et non écrite, au motif pris que l’intention des emprunteurs n’était pas d’obtenir la nullité des contrats de prêt.
Pour la Haute juridiction, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale.
De telle sorte que l’action des consorts E était recevable.
De l’autre côté de la barre, les consorts E faisaient, quant à eux, grief à l’arrêt de dire que la clause de remboursement en devise étrangère du prêt consenti le 13 août 2008 n’était pas abusive.
Ils considéraient que la clause définissant l’objet principal d’un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible doit être considérée comme étant abusive ;
La Cour d’Appel avait écarté le caractère abusif de la clause d’indexation déguisée, comme ne constituant pas la prestation essentielle du contrat.
La Cour de Cassation que le contrat et la notice exposaient de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme en cause ainsi que le risque de change, de sorte que les consommateurs avaient été en mesure d’évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques en découlant pour eux.
Les emprunteurs rappellent qu’il n’ont pas été en mesure de comprendre les incidences concrètes et d’évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, de l’évaluation de leur dette selon les fluctuations du franc suisse, en fonction de mécanismes macro-économiques, des différences structurelles entre les économies suisse et de la zone euro, et des évolutions possibles et probables risquant d’entraîner une hausse de cette devise considérée comme étant une valeur refuge sujette par cette raison à des variations particulières.
Il convient de rappeler que le prêt avait été prêt consenti pour une longue durée s’assujettissant ainsi sur une longue période aux fluctuations du taux de change, alors que les consorts E ne disposaient d’aucun revenu en francs suisses.
La Cour de Cassation ne partage pas cette analyse.
En premier lieu elle rappelle que l’appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de l’article L. 132-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016, ne concerne pas celles qui portent sur l’objet principal du contrat, pour autant qu’elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Elle constate ensuite que cette clause figure dans une offre précisant que le risque de change est intégralement supporté par les emprunteurs, qui reconnaissent avoir été informés du risque particulier lié à ce type de financement par une notice signée par eux, laquelle mentionne que les risques, réels et cumulatifs, de taux et de change, portent sur la totalité du crédit, et contient un paragraphe sur la variabilité du cours de change qui indique que, selon l’orientation de la devise sur le marché des changes par rapport à l’euro, la perte ou le gain éventuels sont intégralement à la charge ou au profit de l’emprunteur, sauf pour celui-ci à solliciter la couverture de ce risque moyennant un coût supplémentaire.
La cour de cassation ajoute que cette notice comporte un exemple chiffré décrivant de manière précise l’effet de l’appréciation de la devise sur la contre-valeur en euros du capital restant dû en francs suisses.
De telle sorte que la Cour de Cassation considère que la Cour d’Appel a légalement justifié sa décision d’exclure l’application du régime des clauses abusives au motif pris que la notice avait fait ressortir le caractère clair et compréhensible de la clause litigieuse.
Cet arrêt est aussi intéressant puisqu’il aborde également la problématique liée à la nullité du taux effectif global.
En effet, les consorts E faisaient grief à l’arrêt de la Cour d’Appel de substituer le taux de l’intérêt légal à celui de l’intérêt conventionnel pour chacun des prêts litigieux.
Ils considéraient que le juge ne peut substituer une disposition de droit national à caractère supplétif à une clause abusive que dans l’hypothèse où l’invalidation de la clause abusive entraînerait pour le consommateur des conséquences telles qu’il aurait été dissuadé de contracter.
La Cour d’Appel a donc exactement déduit qu’il y avait lieu de substituer le taux de l’intérêt légal à celui de l’intérêt conventionnel, en tant que disposition de droit national à caractère supplétif.
Cette argumentation est d’autant plus efficace que de toute façon, le même arrêt venait considérer qu’il n’y avait pas matière à prononcer la nullité de la clause litigieuse.
Les consorts E avaient également sollicité des dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde au motif pris notamment que le banquier doit mettre en garde l’emprunteur non averti lorsque l’opération qu’il propose présente des risques spécifiques avec un risque d’endettement excessif né de l’octroi du prêt, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la variabilité du cours du franc suisse.
La banque faisait quant à elle grief à la Cour d’Appel d’avoir déclarée abusive la clause stipulant l’intérêt conventionnel dans le prêt consenti le 13 août 2008 et qu’il ressortait de l’offre de prêt une contradiction des clauses de l’offre et l’absence de données précises.
La lecture du contrat accordait en réalité au seul professionnel le droit d’appliquer un taux fixe ou variable et de choisir, dans cette dernière hypothèse, l’indice de référence et la date, ainsi que l’heure du taux faisant évoluer la charge de remboursement des emprunteurs, sans contrepartie pour ces derniers.
La Cour de Cassation ne s’y trompe pas.
Elle relève que la clause stipulant l’intérêt conventionnel dans le prêt consenti le 13 août 2008 n’était pas rédigée de manière claire et compréhensible.
C’est donc à bon droit que la Cour d’Appel a retenu qu’une telle clause provoquait un déséquilibre significatif au détriment des emprunteurs, dès lors que les mentions de l’offre préalable permettaient au prêteur de décider unilatéralement et sans contrepartie de l’application d’un taux fixe ou variable et, dans cette dernière hypothèse, de l’indice de référence et de ses modalités de mise en œuvre.
Qu’il y a donc bien lieu de réputer non écrite la clause litigieuse.
La Cour de cassation considère également que les contrats de prêt litigieux ne déterminaient pas clairement le caractère variable ou fixe du taux, ni non plus n’indiquaient un indice objectif de référence, de telle sorte que cette l’imprécision du taux conventionnel, équivalait à une absence de mention et qu’il y avait lieu d’en déduire que, faute d’être conforme à l’article 1907 du Code Civil, la clause stipulant l’intérêt conventionnel devait être annulée.
Cette jurisprudence est dans la même ligne que l’arrêt rendu par la Cour de Justice Européenne de septembre 2018 qui vient rappeler que le caractère abusif d’une clause contractuelle non claire qui fait peser le risque de change sur l’emprunteur et qui ne découle pas des dispositions législatives peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.
En effet, dans cet arrêt la CJUE rappelle que les clauses contractuelles qui reflètent des dispositions législatives ou réglementaires impératives ne relèvent pas du champ d’application de la directive de 1993.
La justification de cette exclusion réside en la présomption que le législateur national a établi un équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties au contrat.
En revanche, la Cour de cassation souligne que cette règle ne signifie pas qu’une autre clause contractuelle non visée par des dispositions législatives est, dans son intégralité, également exclue du champ d’application de la directive de telle sorte que le caractère abusif de cette clause peut être apprécié par le juge national dans la mesure où celui-ci estime, après un examen au cas par cas, qu’elle n’est pas rédigée de façon claire et compréhensible.
Elle considère que les établissements financiers ont l’obligation de fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leur décision avec prudence et en toute connaissance de cause.
La clause relative au risque de change doit être comprise par le consommateur à la fois sur le plan formel, grammatical et quant à sa portée concrète.
La Cour de justice indique que le consommateur moyen doit avoir la conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à une monnaie étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi d’évaluer les conséquences économiques potentiellement significatives d’une telle clause sur ses obligations financières.
Le caractère clair et compréhensible s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et doit prendre en considération l’ensemble des circonstances qui entourent la clause.
De telle sorte que la banque engage clairement sa responsabilité.
A bon entendeur….
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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