
A l’ouverture d’une procédure collective, le chef d’entreprise une liste des créanciers. Cela emporte t’il reconnaissance de dette ou simple présomption de créance ? Le chef d’entreprise peut-il quand même contester la créance ? Le créancier doit-il rapporter la preuve de sa créance ? Une vérification efficace des créances permet-elle de sauver le chef d’entreprise ?
Article :
Il convient de s’intéresser à deux jurisprudences qui ont été rendues ce 23 mai 2024 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et qui viennent aborder la problématique des listes des créanciers remise obligatoirement par le Chef d’entreprise en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.
Étant rappelé que si celui-ci ne remet pas justement cette liste des créanciers, celui-ci peut se retrouver sanctionné au titre des fautes de gestion que l’on peut lui reprocher comme ne participant pas activement au destin de la procédure collective.
Dans ces deux jurisprudences, la Cour de cassation rappelant quand même que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire constituant seulement une présomption de déclaration en faveur du créancier, de telle sorte qu’elle ne constitue qu’une reconnaissance de dette et ne saurait dispenser le créancier de la preuve de sa créance.
La liste des créanciers, reconnaissance de dette ?
Ainsi, la Cour de cassation rappelle que cette liste des créanciers n’est pas une reconnaissance de dette et que, dès lors, le débiteur a la possibilité de déclarer les sommes qui lui semblent correctes ou pas, tout comme il appartient au créancier de justifier du bienfondé de ses créances.
Quels sont les faits ?
Dans la première affaire, la société D avait été mise en procédure de sauvegarde judiciaire.
Elle avait mentionné sur la liste remise au mandataire judiciaire une créance de la société I pour un montant de 1 626 170.11 €.
La société I, quant à elle, ayant déclaré sa créance dans la même foulée pour la somme de 1 831 057.41 €, créance qui avait été admise par une ordonnance du Juge commissaire du 01er décembre 2020.
Pour autant, il ressort des circonstances de la cause que la société D, en sauvegarde judiciaire, a quand même pris soin de contester cette créance.
Le chef d’entreprise peut-il ensuite contester la créance ?
Dans la deuxième affaire, c’était la société B qui avait demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde en mentionnant une créance de la même société I pour un montant de 96 375.00 €.
Cette procédure avait été ouverte le 11 avril 2018 et la société I avait déclaré sa créance pour un montant de 141 771.41 €, laquelle créance avait été admise par ordonnance du 01er décembre 2020.
Pour autant, la société B, faisant valoir que la créance n’était pas justifiée, a contesté cette créance.
Finalement, dans les deux cas, la Cour de cassation venait répondre à cette même question qui consistait notamment à déterminer la valeur juridique exacte de la liste des créances remise par le débiteur.
Une créance contestée par le débiteur qu’importe la liste des créanciers ?
Or, dans ses pourvois, la société I faisait griefs à l’arrêt d’avoir rejeté la créance déclarée par cette dernière, tantôt dans l’une des sociétés pour 1 831 057.41 € à titre chirographaire au titre de factures impayés et, de l’autre, à hauteur de 141 771.41 € également à titre chirographaire en vertu des factures impayés.
La société I soutenait que lorsque le débiteur apportait une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé sa déclaration de créance.
La créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur faisant présumer de sa déclaration de créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire judiciaire.
Pour la société I, une telle démarche vaut reconnaissance de la créance ainsi déclarée peu importe une éventuelle déclaration de créance ultérieure par le titulaire de celle-ci.
Liste des créanciers et reconnaissance de dette ?
Ainsi, pour la société I, en tout état de cause, lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire liquidateur, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé sa déclaration de créance.
La créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur faisant présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire judiciaire.
Liste des créanciers et présomption de créance ?
Pour la société, une telle démarche du débiteur dans l’hypothèse d’une déclaration de créance ultérieure par le titulaire de celle-ci vaut reconnaissance de la créance dans la mesure ainsi déclarée.
Que dès lors, il appartenait à la Cour d’appel de retenir que la mention sur la liste remise au mandataire judiciaire par la société I d’un côté et la société B de l’autre valait reconnaissance de la créance de cette dernière dans la mesure ainsi déclarée.
De telle sorte que, selon elle, la Cour d’appel avait violé l’article L 122-24 du Code du commerce et qu’il convenait de prendre acte de cette reconnaissance de dette par le débiteur pour faire admettre la créance.
Pour autant la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et dans ses deux jurisprudences va finalement répondre la même chose.
Celle-ci rappelle qu’il résulte des articles L 622-24 et R 622-23 du Code du commerce que la créance portée par le débiteur conformément à l’obligation que lui fait l’article L 622-6 du Code du commerce à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l’article R 622-24 du même Code, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information donnée au mandataire judiciaire ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bienfondé de cette créance.
Déclaration de créance contestée par le chef d’entreprise
De sorte qu’il peut ultérieurement la contester dans les conditions des articles L 124-1 et R 124-1 du Code précité.
Qu’ainsi, ayant retenu que la liste des créanciers est d’être mise tantôt par la société B, tantôt par la société D, lors du dépôt de sa demande de sauvegarde, mentionnant notamment une créance à échoir de la société I constituait seulement une présomption de déclaration en faveur du créancier.
De telle sorte que c’est à bon droit que la Cour d’appel en a déduit qu’elle ne s’analysait pas dans une reconnaissance de dette et ne saurait dispenser le créancier de la preuve de sa créance.
Le créancier doit rapporter la preuve de sa créance, qu’importe la liste des créanciers
Ces deux jurisprudences sont intéressantes puisqu’elles rappellent que l’obligation qui pèse sur le Chef d’entreprise en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire qui consiste à remettre une liste des créanciers n’emporte pas reconnaissance de dette de ces créances qu’il peut, par la suite, contester.
Il n’est d’ailleurs pas tenu de déclarer le juste montant en l’état des contestations qui peuvent exister entre le débiteur et son créancier.
Bien plus, la phase de vérification des créances par la suite offre des phases de vérification et de contestation de créances qui permettent de réduire le passif comme peau de chagrin.
Le rôle et les enjeux de la vérification des créances par le chef d’entreprise
Il convient de ne pas oublier que le nerf de la guerre en droit de l’entreprise en difficulté demeure, malgré tout, la fixation du passif.
Plus le passif sera important et plus il sera générateur de problématiques afin, tantôt d’obtenir un plan de sauvegarde ou de redressement, tantôt afin d’éviter une responsabilité pour insuffisance d’actif car le montant du passif va déterminer, tantôt la capacité de l’entreprise à y faire face, tantôt l’insuffisance d’actif dans laquelle les créanciers seront plongés.
Ce qui est toujours source de responsabilité par la suite.
Dès lors, la phase de vérification des créances est une étape extrêmement importante en droit de l’entreprise en difficulté puisqu’elle va déterminer par la suite le bon déroulement de la procédure, tantôt pour sauvegarder ou redresser l’entreprise, tantôt pour permettre une liquidation judiciaire dans les meilleures conditions possibles sans exposer autant que faire se peut la responsabilité de son dirigeant.
La participation active du chef d’entreprise dans sa procédure collective
Dès lors, ces deux jurisprudences rappellent que, premièrement, le Chef d’entreprise est tenu de participer activement au bon déroulement de la procédure collective notamment en remettant une liste des créanciers mais que, surtout, ces deux jurisprudences rappellent qu’il n’est pas engagé par cette liste des créances qu’il doit remettre et qu’il peut, par la suite, contester ou qu’il peut même au démarrage, ab initio, contester en ne retenant que les montants que ce dernier reconnait lui-même.
Offrant ainsi par la suite des perspectives de contestation qui peuvent être complètement salutaires, tantôt pour sauver l’entreprise à travers un plan de sauvegarde ou un plan de redressement judiciaire car, plus le passif sera diminué, plus celui-ci sera facile à régler, tantôt en cas de liquidation judiciaire afin de limiter autant que faire se peut la responsabilité personnelle.
Une vérification efficace des créances permet-elle de sauver le chef d’entreprise ?
Dès lors, comprendre que la phase de vérification des créances est une étape importante, voir, décisive de la procédure collective, est cruciale dans l’appréhension du bon déroulement de cette procédure collective.
Bon nombre de consultations faites par mon cabinet découlent d’ailleurs d’une absence totale de stratégie par les Confrères n’étant pas spécialiste de la matière et, in fine, de se retrouver face à un Chef d’entreprise en difficultés qui a raté la phase de vérification des créances et qui, par la même, est bloqué par un passif très important pour lequel immanquablement celui-ci verra sa responsabilité engagée.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,
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