Quand le salarié d’un fonds de commerce en location gérance se retourne contre le propriétaire du fonds de commerce alors que celui-ci n’est plus du tout exploitable, ledit propriétaire peut-il s’opposer au transfert de droit visé par l’article L. 1224-1 du Code du Travail ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en ce début d’année 2019 qui a trait à la problématique d’un fonds de commerce exploité en location gérance dont le locataire gérant se retrouve en liquidation judiciaire.

Dans cette affaire, Monsieur B avait été engagé en 1983 en qualité de mécanicien par Monsieur X exploitant un fonds de commerce de garage automobile.

En octobre 2000, le contrat de travail a été transféré à la société Garage X à laquelle Monsieur F a donné en location gérance le fonds de commerce.

Le 11 mars 2011, la société Garage X a été placée en liquidation judiciaire, Maître K étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.

Par lettre du 15 mars 2011, le liquidateur judiciaire a informé d’une part Monsieur X de la résiliation du contrat de location gérance et du transfert à sa personne, en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du Travail, des contrats de travail attachés au fonds de commerce d’autre part, les salariés de ce transfert.

Le mandataire liquidateur informant d’autre part le propriétaire du fonds de commerce de ses obligations au titre de la solidarité légale existant entre le propriétaire du fonds de commerce et son locataire gérant, et au titre du transfert de droit des contrats de travail.

Ne percevant plus de salaire, Monsieur B a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail et au paiement de diverses sommes au titre de la rupture de ce contrat.

A cette fin, il se retournait aussi bien contre le locataire gérant en liquidation judiciaire, et donc son mandataire liquidateur et l’AGS, tout comme il se retournait contre le propriétaire du fonds de commerce,

Il convient de rappeler que dans le cadre de la procédure judiciaire, la résiliation du contrat de travail est alors prononcée à la date où la juridiction statue dans l’hypothèse où le contrat de travail n’a pas été rompu entre temps.

L’AGS et le mandataire judiciaire considéraient que le contrat ne pouvait être considéré comme ayant été rompu avant que la juridiction ne statue, faute de licenciement prononcé, et que le contrat de location gérance avait été résilié par le mandataire qui avait ainsi régulièrement transféré le fonds de commerce, en ce compris les contrats de travail, au propriétaire du fonds, Monsieur X dans sa correspondance du 15 mars 2011.

La Cour de Cassation considère qu’il ne peut y avoir transfert du fonds de commerce ou restitution de celui-ci à son propriétaire bailleur par suite de la résiliation d’un contrat de location-gérance, qu’à la condition que ce fonds de commerce soit exploitable.

L’objet du débat était là.

La Cour s’intéresse d’abord à la motivation des juges de première instance qui ont d’abord rappelé que pour qu’il y ait application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du Travail, il fallait que le fonds de commerce soit exploitable et ont par la suite considérésé qu’en l’espèce ce n’était pas le cas puisqu’il n’existait plus aucun outillage dans le garage, que la clientèle n’existait presque plus et que l’âge avancé de Monsieur T ainsi que son état de santé ne permettaient pas l’exploitation.

La Haute juridiction reprenait pour elle cette motivation de première instance qui n’avait pas été reprise par la Cour d’Appel qui s’est contentée d’indiquer :

« que le jugement sera confirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur, la société Garage X à la date du 15 mars 2011, d’autant qu’à cette date la rupture de la relation de travail était formalisée par la lettre du mandataire liquidateur avisant le salarié qu’il n’existait plus de relation de travail entre lui et la société Garage X »

Il ressortait des pièces du dossier que le fonds de commerce générait un chiffre d’affaires quasiment équivalent aux charges du personnel à l’époque de la résiliation du contrat de location-gérance, soit CA HT en janvier 2011 de 8 412 euros, en février 2011 de 8 309 euros, pour une masse salariale mensuelle d’environ 8 200 euros.

Le chiffre d’affaires dégagé par l’activité d’entretien et de réparation de véhicules automobiles ne permettait donc pas de couvrir les autres charges, notamment celles relatives à l’outillage indispensable pour exercer cette activité.

Les résultats d’exploitation et les résultats nets de la société Garage X étaient déficitaires de façon importante depuis plusieurs exercices.

La disparition de l’outillage par suite de sa vente dans le cadre de la liquidation judiciaire, outillage indispensable à l’exercice d’une activité de garage, disparition non plus contestée par le mandataire liquidateur et l’AGS,

Fort de cette argumentation, la Cour de cassation considère que le contrat de travail de Monsieur B n’a pu être valablement transféré à Monsieur X.

Cette jurisprudence est intéressante car la Cour de Cassation considère qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le fonds de commerce n’avait pas fait retour dans le patrimoine de Monsieur X qu’aucun licenciement n’avait été prononcé dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation judiciaire et que la rupture du contrat de travail ne pouvait résulter du seul fait que le mandataire-liquidateur avait avisé le salarié du transfert de son contrat de travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

La question est de savoir si le point de départ de la prise en charge par les AGS de la rupture du contrat de travail devait se faire au 15 mars 2011 ou au jour de la résiliation prononcée par la juridiction saisie.

La Cour de Cassation reconnait l’idée suivant laquelle nonobstant la sacro-sainte notion de ruine du fonds que le fonds de commerce n’avait pas fait retour dans le patrimoine du propriétaire tout simplement parce que l’ensemble des actifs réalisés par le mandataire judiciaire n’avait pas été restitué.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

 

 

 

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