En cas de condamnation pour fraude fiscale, une personne condamnée et la SCI dont elle est associée majoritaire reprochent au juge pénal d’avoir ordonné la confiscation de leurs biens immobiliers. Le juge doit-il apprécier le lien de causalité et le caractère proportionnel de l’atteinte portée au droit de propriété par ladite confiscation ? Le prévenu peut-il le demander ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu le 15 novembre 2023 par la Cour de cassation, pourvoi N°22-82.826, qui vient aborder sous couvert de la problématique du blanchiment de fraude fiscale et du préjudice moral qui aurait été causé à l’état, apport principal de cet arrêt, vient également aborder une autre problématique liée à la saisie pénale immobilière et à la confiscation d’un bien immobilier appartenant au prévenu ainsi qu’à sa SCI.
Fraude fiscale et préjudice moral causé à l’État
À titre principal, cette jurisprudence a été publiée au motif pris de ce que la Cour de cassation rappelait que la commission par un contribuable du délit de blanchiment de fraude fiscale n’est pas susceptible de causer à l’État un préjudice moral distinct de l’atteinte portée aux intérêts généraux de la société que l’action public a pour fonctionnement de réparer.
En effet, la Cour d’appel avait condamné le prévenu à payer à l’état Français la somme de 50 000.00 euros au titre de préjudice moral lié au fait de blanchiment.
La Cour d’appel fondait son raisonnement en se reposant sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment qui consiste à décourager toute forme de non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif applicable en France, comme affaiblissant par ailleurs l’autorité de l’Etat dans l’opinion publique,
La Cour d’appel considérait par ailleurs qu’il y avait matière à indemniser l’atteinte portée à l’égalité fiscale entre citoyen de situation comparable et à l’ordre public économique notamment par la mise en place de nombreux mécanisme de dissimulation de recettes et de transferts de fonds.
Pour autant, cette jurisprudence nous intéresse, non pas sur la problématique du prétendu préjudice moral causé à l’État à titre d’un blanchiment de fraude fiscale mais bel et bien quant à problématique liée à la confiscation des biens immobiliers appartenant au prévenu.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire et par jugement du 13 avril 2015, Madame Z avait été condamnée des chefs de fraudes fiscales d’une part par minoration de 2007 à 2010 des déclarations d’impôts sur le revenus et d’impôts de solidarité sur la fortune et d’autre part par organisation d’insolvabilité et de blanchiment.
La SCI, dont Madame Z était la représentante légale et l’actionnaire majoritaire, avait été également condamnée des chefs de complicité de fraudes fiscales par organisation d’insolvabilité et de blanchiment à la confiscation du bien immobilier dont elle est propriétaire.
Le Tribunal a par ailleurs déclaré recevable l’état Français en sa constitution de partie civile, condamnant ainsi Madame Z à lui verser la somme de 100 000.00 euros.
La confiscation des actifs de la SCI dont le prévenu est associé majoritaire
Or, dans cette décision, la juridiction de fond avait prononcé à l’encontre de la SCI, à titre de peine principale, la confiscation d’une maison d’habitation dont elle était propriétaire sur une première commune et, à l’encontre de la SCI dont elle était actionnaire majoritaire, la confiscation de différents biens immobiliers en contournant ces confiscations à hauteur de 1 000 000.00 euros chacune.
Pour autant, un pourvoi en cassation avait été formé car cette dernière SCI considérait que c’était à tort que les juridictions de fond avaient prononcés une peine de confiscation en valeur à l’encontre de Madame Z et de sa SCI en la cantonnant à la somme de 1 000 000.00 euros chacune d’entre elle alors que le montant de droits éludés et qui constituait le produit des infractions s’élève à la somme de 3 747 544.00 euros sur la mise en demeure communiquée par la défense au titre du recouvrement de l’impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2005 à 2010.
Or, la SCI considérait qu’au regard des faits commis pour partie antérieurement à la période de prévention concernant les SCI et pour lequel aucune déclaration de culpabilité n’avait été prononcé à l’encontre de cette société civile immobilière, la Cour d’appel avait violé l’article 131-21 du Code pénal.
En effet, Madame Z avait été déclarée coupable pour des faits commis entre 2007 et 2010 et la SCI pour des faits commis entre 2009 et 2010.
Il convient de rappeler que les règles de procédure pénale prévoient que lorsque plusieurs auteurs ou complices ont participés à l’ensemble de faits incriminés, soit en totalité, soit en partie, chacun d’eux encourent la confiscation du produit de la seule ou des seules infractions qui leur sont reprochées à la condition que la valeur totale des biens confisqués n’excède pas celle du produit total des infractions commises.
Une confiscation du bien immobilier en valeur
Étant précisé que tout laissait à penser que la confiscation des actifs de la SCI avait été faite sur des périodes antérieures aux périodes de prévention.
Il convient de rappeler qu’en matière correctionnelle le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du Code pénal sauf s’il s’agit d’une peine obligatoire ou de confiscation en nature du produit de l’objet de l’infraction.
Une confiscation en valeur en ce qu’elle conduit au versement d’une somme d’argent par l’intéressé s’assimile ainsi à une amende ne serait donc être en toute hypothèse porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’intéressé.
La confiscation, atteinte disproportionnée à la propriété
Pour autant, Madame Z, tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de sa SCI, considérait qu’en prononçant une peine de confiscation en valeur à l’encontre des sociétés civiles immobilières sans se poser la question de l’appréciation de la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits de propriété des intéressés était immanquablement attentatoire à une bonne et saine application des articles 131-21 et 132-1 du Code pénal mais également et aussi de l’article 1er du premier protocole additionnel de la convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
Madame Z considérait qu’il y avait bel et bien une atteinte disproportionnée aux actifs de la SCI puisque la société civile immobilière ne générait pas de revenus et disposait pour seul patrimoine les biens immobiliers qui avaient été confisqués.
De telle sorte qu’il en résultait que la société civile immobilière serait contrainte de céder la propriété du bien confisqué, ce qui causerait immanquablement une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, privant la SCI du seul élément d’actif que celle-ci possédait.
Telle était la question posée à la Cour de cassation.
Dans le cadre de sa réponse, la Haute juridiction rappelle que pour condamner la société civile immobilière à la confiscation du bien immobilier dont elle est propriétaire en la cantonant à la seule somme de 1 000 000.00 euros, la Cour d’appel, après avoir repris les faits de complicité de fraude fiscale par organisation d’insolvabilité pour lesquels la SCI avait été déclarée coupable, énonce que ces faits ont eu pour effet de rendre inefficace toute action de l’administration fiscale sur le patrimoine de Madame Z.
De telle sorte que la confiscation était justifiée.
Une confiscation sanctionnant l’organisation frauduleuse d’insolvabilité
Les Juges du fond ayant rappelés que la peine de confiscation est encouru par les personnes morales et que les dispositions de l’alinéa 9 de l’article 131-21 du Code pénal autorisent la confiscation à valeur de tous les biens, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi dont il a la libre disposition dès lors que la valeur des biens saisis n’excède pas le montant estimé du produit des infractions.
Dans pareil cas, la confiscation est possible à l’encontre du tiers saisi quand bien même il n’aurait pas de lien direct ou indirect avec l’infraction.
C’est dans ces circonstances que les Juges du fond ont retenu que le montant des droits éludés produits des infractions de fraudes fiscales produit par Madame Z s’élevait à la somme de 3 747 544.00 euros au titre du recouvrement de l’impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2005 à 2010 et que dès lors, la confiscation pouvait être ordonnée en valeur sur les biens saisi, propriétés de la société civile immobilière, dans la limite de ce montant sans qu’il soit nécessaire d’apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits de propriété de l’intéressé.
La peine de confiscation en valeur affectant ainsi le patrimoine de la personne condamnée, que ce patrimoine ait ou non un lien avec l’infraction commise, tout comme la peine d’amende et doit donc au même titre que cette dernière être apprécié au regard des circonstances de l’infraction de la personnalité de la situation personnelle de son auteur en tenant compte de ses ressources et de ses charges.
Une confiscation appréciée au regard de la situation personnelle du prévenu
Les Juges du fond ayant soulignés que le bien immobilier dont la confiscation est envisagée constituait le seul actif de la société dont il n’était d’ailleurs pas établi qu’elle générait des revenus.
La Cour d’appel en ayant déduit que si la confiscation en valeur de ce bien est adaptée en nature à l’infraction commise la confiscation du bien à hauteur du montant total du préjudice qui correspondrait pratiquement à l’entier patrimoine de la société pouvait apparaitre excessif à l’égard des peines prononcées à l’encontre de l’auteur principal.
Ainsi, dans le cadre de sa décision, la Cour de cassation a vérifié que les Juges qui ont prononcés la confiscation en valeur de l’immeuble appartenant à la société se sont bien assurés que la valeur de ce bien n’excédait pas le montant du produit du délit de complicité de fraude fiscale par organisation d’insolvabilité pour lequel elle avait été condamnée.
Une complicité de fraude fiscale par organisation d’insolvabilité
En effet, à bien y regarder, le produit de cette infraction était constitué par l’économie qu’elle a permis de réaliser dont le montant est équivalent à celui de la totalité des impôts au paiement desquels Madame Z s’est soustraite ou a tenté de se soustraire en sa qualité d’auteur principal de la fraude fiscale.
Dès lors, la Cour de cassation considère que c’est à tort que la Cour d’appel a confirmé qu’elle n’avait pas appréciée la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits de propriété de la société civile immobilière en sa qualité de complice.
L’enjeu de la proportionnalité de la confiscation
En effet, la Cour de cassation considère que, dès lors que les faits ont été commis par plusieurs auteurs ou complices, il appartient aux Juges du fond pour ordonner la saisie des immeubles appartenant à la société de rechercher si cette dernière avait bénéficiée en tout ou en partie du produit de l’infraction et le cas échéant cette garantie était invoquée devant eux d’apprécier le caractère proportionnel de l’atteinte portée à son droit de propriété s’agissant de la partie du produit de l’infraction dont elle n’aurait pas tiré profit.
Cette jurisprudence est effectivement intéressante puisqu’elle vient rappeler que, dans le cadre d’une procédure de confiscation ou de saisie pénale immobilière, le caractère proportionnel de l’atteinte portée aux droits de propriété doit être vérifié par les magistrats, surtout, s’agissant de la partie du produit de l’infraction dont elle n’aurait pas tirée profit.
Dès lors, cette notion de proportionnalité entre la confiscation et l’atteinte portée aux droits de la propriété s’impose.
La proportionnalité entre confiscation et l’atteinte portée au bien immobilier s’impose
Pour autant, très curieusement, la Cour de cassation considère que l’arrêt n’encourt pas la censure en retenant que la Cour d’appel, qui a néanmoins procédé audit contrôle, a souverainement appréciée le caractère proportionnel de l’atteinte portée aux droits de propriété de la demanderesse par la confiscation prononcée, qu’elle a en conséquence cantonnée.
Dès lors, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle impose un vrai contrôle de proportionnalité à l’atteinte portée aux droits de propriété en cas de confiscation et en cas de saisie pénale immobilière.
Elle rappelle que, lorsque les faits ont été commis par plusieurs auteurs ou complices, il appartient au Juge pour ordonner la saisie d’un immeuble de rechercher si cette dernière a bénéficiée en tout ou partie du produit de l’infraction.
Dès lors, cette notion de proportionnalité et de lien de causalité direct entre le bénéfice de l’infraction et la confiscation qui pourrait en découler par la suite a vocation à être analysé par les Juges du fond afin de s’assurer de la proportionnalité de l’atteinte portée aux droits de propriété en tant que tel.
Comment se défendre en cas de confiscation pénale immobilière ?
Cette jurisprudence est donc intéressante puisqu’elle vient rappeler qu’en cas de confiscation et en saisie pénale immobilière la notion de proportionnalité a vocation à être prise en considération par les juges du fond et que la notion de proportionnalité nécessite une analyse précise et in concreto des conséquences de la peine de confiscation en valeur.
Il appartient donc au juge de vérifier dans quelles conditions la confiscation affecte le patrimoine de la personne condamnée, et de vérifier si, oui ou non, le patrimoine affecté par cette confiscation ait un lien direct ou pas avec l’infraction reprochée.
Ce débat judiciaire ne doit pas être éludé par le prévenu et sa SCI.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël, Docteur en Droit,
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