Le demandeur à l’exéquatur en France d’une décision de justice étrangère est-elle soumise à l’exigence de la détention sur le territoire français, par le débiteur de nationalité étrangère, non domicilié en France, d’actifs pouvant faire l’objet de mesures d’exécution forcée ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation qui vient aborder la problématique de l’exéquatur d’une décision étrangère sur le territoire français.
Cette jurisprudence est intéressante car elle vient s’interroger sur l’intérêt à agir du demandeur à l’exequatur partie au procès et au profit duquel la décision étrangère a été rendue.
Dans cette affaire, Monsieur E de nationalité danoise, a, par l’intermédiaire d’un courtier, vendu un navire de plaisance à Monsieur S de nationalité américaine.
Un différend ayant opposé les parties, le vendeur a saisi la Circuit Court du 17e circuit judiciaire du comté de Broward, (Etat de Floride) afin d’obtenir le paiement des sommes séquestrées entre les mains du courtier.
Les parties ayant accepté de recourir à un arbitrage non contraignant, deux sentences ont été rendues condamnant le vendeur au paiement de différentes sommes.
Par jugement du 11 février 2010, la juridiction américaine a homologué les sentences, y ajoutant les intérêts jusqu’à l’exécution du jugement et le coût de celui-ci.
C’est dans ces circonstances que Monsieur S a saisi la juridiction française aux fins d’obtenir l’exequatur de la décision de la juridiction américaine, à l’exception de la condamnation au paiement de dommages-intérêts punitifs qui ne sont pas reconnus en droit français.
Monsieur E soulevait un certain nombre de moyens afin d’empêcher l’exéquatur en France.
Il soutenait que le demandeur à l’exequatur devait justifier d’un intérêt né et actuel à solliciter la reconnaissance en France d’un jugement étranger.
Monsieur E faisait valoir qu’étant ressortissant et résident danois, son patrimoine se situait au Danemark et qu’il ne disposait d’aucun actif en France, de sorte que le jugement de la « Circuit Court » du 17e circuit judiciaire, Comté de Broward en Floride, en date du 11 février 2010, dont il était demandé l’exequatur, qui le condamnait au paiement de diverses sommes au profit de Monsieur S ne pouvait faire l’objet d’aucune exécution en France.
Il soutenait également que l’exequatur d’une décision étrangère devait être refusé en cas de contrariété à l’ordre public international de procédure, c’est-à-dire lorsque les intérêts d’une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure, tel que le principe du contradictoire.
Monsieur E faisait valoir que le jugement dont il était demandé l’exequatur avait pour objet d’homologuer deux sentences rendues, après son retrait de la procédure, sur la base de seuls éléments fournis par Monsieur S sans tenir compte des moyens et preuves qu’il avait lui-même développé, avant de se retirer de la procédure, en violation du principe du contradictoire.
Il soulevait enfin que l’exequatur d’une décision étrangère devait être refusé en cas de contrariété à l’ordre public international de procédure, c’est-à-dire lorsque les intérêts d’une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure, tel que le droit à un recours juridictionnel effectif.
Monsieur E faisait valoir que le jugement de la « Circuit Court » du 17e circuit judiciaire, Comté de Broward en Floride, en date du 11 février 2010 dont il était demandé l’exequatur avait pour objet d’homologuer deux sentences rendues, après son retrait de la procédure, sur la base de seuls éléments fournis par Monsieur S donc de manière non contradictoire, et qu’il n’avait pu empêcher cette homologation et demander la tenue de nouveaux débats contradictoires, faute de s’être vu notifié ces sentences dans des conditions régulières.
Il convient de rappeler qu’à défaut de convention de coopération en matière judiciaire entre la République française et les Etats-Unis d’Amérique, le juge français saisi d’une demande d’exequatur doit s’assurer que trois conditions sont remplies, tenant à la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, à la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et à l’absence de fraude à la loi.
La Cour de Cassation retient que la compétence du juge de Floride n’est pas contestée.
La haute juridiction rappelle que Monsieur E a accepté de participer à la procédure d’arbitrage non contraignant, et qu’il s’est effectivement défendu avant de se retirer.
La Cour de cassation souligne que si Monsieur E produit deux certificats de son médecin traitant datant de novembre 2008 et de février 2009 mentionnant un état de stress et d’anxiété affectant son sommeil et ses fonctions cognitives et contre-indiquant les voyages, il a déclaré devant la Haute Cour de l’Ouest, saisie de la procédure de liquidation judiciaire engagée contre lui au Danemark par Monsieur S qu’il « voulait clore l’arbitrage parce qu‘il pensait que c’était un gaspillage de temps et d‘argent ; qu’il s‘agissait d’un arbitrage non contraignant et il était certain que Monsieur S voulait seulement retarder l‘arbitrage » ;
Il était donc parfaitement capable de poursuivre cette procédure s’il l’avait souhaité, que c’était une question de priorité et c’est donc par l’effet du choix de Monsieur E que les sentences avaient été rendues en son absence.
La Cour de Cassation considére que Monsieur E était donc suffisamment informé des voies de droit qui lui étaient ouvertes ceci d’autant plus que les décisions ont été régulièrement signifiées à ce dernier.
C’était donc à bon droit que la Cour d’Appel avait considéré que Monsieur S était recevable à demander l’exequatur de ce jugement en France dès lors et pour ce seul motif que cette décision est susceptible de recevoir application sur le territoire français, sans que soit exigée la démonstration de l’existence actuelle de biens saisissables en France sans caractériser autrement l’intérêt du demandeur.
La Cour de Cassation rappelle que l’intérêt à agir existe dès lors que le demandeur à l’exequatur est la partie au procès au profit de laquelle la décision étrangère a été rendue.
Elle précise que la demande de reconnaissance en France d’une décision étrangère n’est pas soumise à l’exigence de la détention sur le territoire français, par le débiteur de nationalité étrangère, non domicilié en France, d’actifs pouvant faire l’objet de mesures d’exécution forcée.
Elle considère que Monsieur E ayant été destinataire des éléments de la procédure et ayant fait le choix personnel de ne plus poursuivre, ce dernier ne peut plus évoquer utilement la présence d’une contrariété à l’ordre public international de procédure.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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