Entre procédure d’alerte, procédure de conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, quelles sont les mesures d’urgence particulières prises face à l’épidémie de COVID 19 ? A mon sens, la prorogation des délais de plans de sauvegarde ou de plans de redressement de 2 ans est la mesure la plus intéressante qui soit.
Article :
Il convient de s’intéresser à l’ordonnance n°2020-596 du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de COVID 19.
Il est vrai que la crise du COVID 19 a gravement impacté la vie économique avec une phase de confinement particulièrement lourde et une phase de dé-confinement difficile.
Cependant, le droit des entreprises en difficulté a plus que jamais sa place dans la vie économique.
L’ordonnance du 20 mai 2020 vient apporter des précisions pour permettre une meilleure adaptation de la crise aux entreprises qu’elle soient, ou non, déjà en difficulté.
Le premier article de l’ordonnance vient aborder la problématique de la procédure d’alerte prévue par les articles L. 234-1, L. 234-2 et L. 612-3 du Code de Commerce et donne des prérogatives intéressantes au commissaire aux comptes.
Le texte prévoit que lorsqu’il lui apparaît que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse ou propose des mesures que le commissaire aux comptes estime insuffisantes, ledit commissaire aux comptes peut en informer le Président du tribunal compétent dès la première information faite, selon le cas, au Président du conseil d’administration ou de surveillance ou au dirigeant.
Dans ce cas, le commissaire aux comptes informe par tout moyen et sans délai le Président du tribunal de ses constats et démarches en lui adressant la copie de tous les documents utiles à cette information ainsi que l’exposé des raisons qui l’ont conduit à constater l’insuffisance des décisions prises.
Le commissaire aux comptes peut, à son initiative ou à la demande du Président du tribunal, transmettre à ce dernier tout renseignement complémentaire de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière de l’entreprise.
Enfin le texte prévoit que le commissaire aux comptes peut également, et à tout moment, demander à être entendu par le Président du tribunal à l’égard duquel il est délié du secret professionnel à l’égard du Président du tribunal.
Ce texte est intéressant puisqu’il vient permettre au commissaire aux comptes de déclencher lui-même une procédure d’alerte s’il considère que le chef d’entreprise ne prend pas les mesures adaptées.
Cependant, cet article est à relativiser.
En effet, il laisse à penser que le chef d’entreprise pourrait être soit dépassé par les évènements soit dans l’incapacité de prendre des mesures adaptées à la situation.
Cela peut sembler spécieux d’autant plus que tout chef d’entreprise accompagné de son expert-comptable bénéfice d’un certain nombre de curseurs qui viennent attirer son attention sur les difficultés qu’il peut rencontrer.
Ceci est d’autant plus vrai que les marges de manœuvres, cumul des crises et augmentation des charges faisant, se réduisent comme peau de chagrin.
Il est en vrai qu’en l’état de l’épidémie du COVID 19, une des mesures de l’État d’urgence sanitaire était de mettre en place un prêt garanti par l’état, alors qu’au final, la pratique montre que certaines banques semblent se refuser d’octroyer ledit prêt jusqu’à son plafond qui est de 25% du chiffre d’affaires.
Ces établissements bancaires croient bon penser que le chef d’entreprise ne pourra pas y faire face.
C’est dire le sentiment de santé économique national….
Cela vient encore ajouter au fardeau puisque si l’entreprise ne règle pas ce prêt dans l’année, celui-ci sera converti en prêt conventionnel sur 5 ans et sera donc générateur d’intérêts bancaires.
Dès lors, cette procédure est rassurante.
Elle permet, dans l’hypothèse où le chef d’entreprise ne serait pas en mesure de prendre les bonnes décisions, au commissaire aux comptes d’y pallier.
Il convient quand même de rappeler que le chef d’entreprise est le seul responsable.
En tout cas, il est le seul à recevoir les coups.
Si une procédure collective devait être ouverte sur demande du commissaire aux comptes, la porte serait grande ouverte pour imaginer des prises de sanction à l’encontre du dirigeant tantôt par une action en responsabilité pour insuffisance d’actif tantôt en interdiction de gérer ou même en faillite personnelle.
Ce premier article demeure malgré tout délicat à aborder car il vient de manière très indirecte annoncer déjà que le commissaire aux comptes aurait d’ores et déjà les moyens d’exposer la responsabilité du dirigeant.
La question qui peut se poser est de savoir dans quelles conditions le commissaire aux comptes pourrait enclencher une alerte et ce en parfaite opposition avec le dirigeant.
Quelle responsabilité serait la sienne ?
Le deuxième article vient aborder la procédure de conciliation prévue par les articles L. 611-4 et L. 611-5 du Code de Commerce.
Il vient permettre au chef d’entreprise de demander au tribunal un certain nombres de mesures surtout si un créancier appelé à la conciliation n’accepte pas, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure.
Cela est intéressant car, dans l’hypothèse où l’entreprise aurait peu de créanciers, le chef d’entreprise pourrait envisager une procédure de conciliation quand bien même le, ou, les créanciers feraient preuve de résistance.
Cet article vient donner des pouvoirs élargis au Président du Tribunal de Commerce qui pourra rendre une ordonnance sur requête.
En effet, ce dernier pourra interrompre ou interdire toute action en justice de la part du créancier, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent.
Le Président du Tribunal pourra également arrêter ou d’interdire toute procédure d’exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n’ayant pas produit un effet attributif avant la demande.
Il peut également reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues, les observations du conciliateur devront être jointes à la requête.
Lorsqu’il est fait application de ces demandes, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont suspendus, et à défaut, les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Les mesures ordonnées par le Président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu’au terme de la mission confiée au conciliateur.
L’article 2 précise que par dérogation au cinquième alinéa de l’article L. 611-7 du Code de Commerce, le débiteur peut demander au juge, qui a ouvert la procédure de conciliation, de faire application de l’article 1343-5 du Code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l’égard d’un créancier qui n’a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance.
Il convient de rappeler que ce texte précise que « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d’aliment. »
Cet article est intéressant, puisqu’il vient compléter les textes antérieurs et permet au dirigeant de l’entreprise en difficulté de bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre en lui octroyant par décision du Tribunal de Commerce des délais empêchant le créancier d’obtenir une quelconque condamnation à l’égard du débiteur.
Cela permet également au chef d’entreprise d’obtenir l’arrêt de toute forme d’exécution tant sur les meubles que sur les immeubles et ainsi sauver son actif.
L’article 3 prévoit, quant à lui, que lorsque l’ouverture d’une procédure de sauvegarde accélérée prévue à l’article L. 628-1 ou à l’article L. 628-9 du Code de Commerce est demandée, les conditions de seuils mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 628-1 ne sont pas applicables à savoir « La circonstance que le débiteur soit en cessation des paiements ne fait pas obstacle à l’ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée si cette situation ne précède pas depuis plus de quarante-cinq jours la date de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation. »
A défaut de plan arrêté dans le délai prévu au premier alinéa de l’article L. 628-8 du même Code, le tribunal arrête le plan dans les conditions prévues à l’article L. 626-31 dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture.
A défaut d’arrêté de plan dans ce délai, le tribunal, à la demande du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, ou du ministère public, ouvre une procédure de redressement judiciaire, si les conditions de l’article L. 631-1 sont réunies, ou prononce la liquidation judiciaire, si les conditions de l’article L. 640-1 sont réunies.
Cette décision met fin à la procédure.
Cela est trop souvent oublié car en effet, rien n’empêche l’entreprise placée sous une procédure de sauvegarde d’envisager, par la suite, de partir sur une procédure de redressement judiciaire.
Cela permet de présenter un plan de redressement et d’éviter une liquidation judiciaire.
L’article 4, quant à lui, vient réduire à 15 jours les délais prévus concernant les propositions de règlement des dettes ainsi que les éventuelles réponses à ces propositions.
Cependant la pertinence de cet article reste à prouver puisqu’il fait que le facteur temporel en procédure collective est extrêmement important.
Dans la mesure où le chef d’entreprise bénéficie de l’arrêt des poursuites individuelles il n’est pas utile qu’il se précipite sur un plan de redressement mais profite des délais qui lui sont octroyés.
L’article 5 est en revanche très intéressant, puisqu’il précise que sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, le tribunal peut prolonger la durée du plan arrêté en application des dispositions de l’article L. 626-12 ou de l’article L. 631-19 du Code de Commerce pour une durée maximale de 2 ans.
Il convient de rappeler que le déroulement d’un plan est limité à une période de 10 ans pour les entreprises commerciales et 15 ans pour les agriculteurs.
L’idée de pouvoir réclamer 2 ans de plus vient offrir du temps à l’entreprise, ce qui n’est pas rien, étant rappelé que cela peut lui permettre de faire face à de nouvelles obligations financières notamment le remboursement du prêt garanti par l’État.
Le texte précise également que lorsque le plan fait l’objet d’une prolongation en application de l’alinéa précédent ou de l’ordonnance susvisée, le Président du tribunal ou le tribunal, selon les cas, adapte les délais des paiements initialement fixés par le tribunal à la durée du plan qu’il prolonge ou a prolongée, en dérogeant le cas échéant aux dispositions de l’article L. 626-18 du même Code.
Le texte précise :
« Le tribunal donne acte des délais et remises acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 626-5 et à l’article L. 626-6. Ces délais et remises peuvent, le cas échéant, être réduits par le tribunal.
Le tribunal homologue les accords de conversion en titres acceptés par les créanciers dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article L. 626-5, sauf s’ils portent atteinte aux intérêts des autres créanciers. Il s’assure également, s’il y a lieu, de l’approbation des assemblées mentionnées à l’article L. 626-3.
Pour les créanciers autres que ceux visés aux premier et deuxième alinéas du présent article, lorsque les délais de paiement stipulés par les parties avant l’ouverture de la procédure sont supérieurs à la durée du plan, le tribunal ordonne le maintien de ces délais.
Dans les autres cas, le tribunal impose des délais uniformes de paiement, sous réserve du cinquième alinéa du présent article. Le premier paiement ne peut intervenir au-delà d’un délai d’un an. Le montant de chacune des annuités prévues par le plan, à compter de la troisième, ne peut être inférieur à 5 % de chacune des créances admises, sauf dans le cas d’une exploitation agricole.
Lorsque le principal d’une créance reste à échoir en totalité au jour du premier paiement prévu par le plan, son remboursement commence à la date de l’annuité prévue par le plan qui suit l’échéance stipulée par les parties avant l’ouverture de la procédure.
A cette date, le principal est payé à concurrence du montant qui aurait été perçu par le créancier s’il avait été soumis depuis le début du plan aux délais uniformes de paiement imposés par le tribunal aux autres créanciers. Le montant versé au titre des annuités suivantes est déterminé conformément aux délais uniformes de paiement imposés aux autres créanciers. Si aucun créancier n’a été soumis à des délais uniformes de paiement, le montant versé au titre des annuités suivantes correspond à des fractions annuelles égales du montant du principal restant dû.
Les délais de paiement imposés en application des quatrième et cinquième alinéas ne peuvent excéder la durée du plan.
Le crédit preneur peut, à l’échéance, lever l’option d’achat avant l’expiration des délais prévus au présent article. Il doit alors payer l’intégralité des sommes dues dans la limite de la réduction dont elles font l’objet dans le plan sous forme de remises. »
Ce texte est très clair, la durée maximale du plan arrêté par le tribunal conformément à l’article L. 626-12 ou L. 631-19 du Code de Commerce est portée, en cas de modification substantielle, à douze ans ou, lorsque le débiteur est une personne exerçant une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime, dix-sept ans.
Cela est extrêmement intéressant.
Par ailleurs, lorsque la demande de modification substantielle du plan, prévue par l’article L. 626-26 du même Code porte sur les modalités d’apurement du passif, le défaut de réponse des créanciers intéressés à la lettre recommandée prévue par le troisième alinéa de l’article R. 626-45 vaut acceptation des modifications proposées, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital.
Cela est encore intéressant, puisque le texte vient consacrer ce que la jurisprudence avait déjà décidé à savoir que le défaut de réponse emportait clairement acceptation des modifications proposées.
L’ordonnance prévoit encore que les personnes qui consentent un nouvel apport de trésorerie au débiteur pendant la période d’observation en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité bénéficient du privilège de sauvegarde ou de redressement dans la limite de cet apport.
Le texte prévoyait déjà cette mesure mais cela vient clairement protéger le prêt garanti par l’État, car il précise que les créanciers bénéficiant du privilège de sauvegarde ou de redressement prévu au premier alinéa sont payés, pour le montant de leur apport, par privilège avant toutes les autres créances, dans l’ordre prévu au III de l’article L. 622-17 et au III de l’article L. 641-13 du même Code.
L’article 6 de l’ordonnance vient aborder la problématique de la liquidation judiciaire simplifiée et rappelle que celle-ci est ouverte à l’égard de toute personne physique dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers et que La valeur de l’actif mentionnée au premier alinéa de l’article L. 645-1 du Code de Commerce est fixée à 15 000 euros.
Immanquablement le droit de l’entreprise en difficulté bénéficie aussi de dispositions spécifiques, propres à l’épidémie du COVID 19,
Ce texte offre quelques perspectives intéressantes notamment en matière de conciliation et de plan puisqu’il permet au chef d’entreprise d’obtenir tantôt la suspension des mesures d’exécution, tantôt d’obtenir plus de deux ans de délais ?
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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