A la suite de la vente d’un immeuble, le mandataire liquidateur établit un état de collocation. Cependant il omet l’UNEDIC AGS et désintéresse en premier lieu le créancier hypothécaire. Le mandataire liquidateur s’aperçoit de cette omission et sollicite la répétition de l’indu d’une partie de la somme perçue à tort. Le créancier hypothécaire peut-il s’y opposer ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 04 octobre 2023, N°22/15.456, et qui vient aborder la problématique de fonds versés par le mandataire liquidateur sur la base d’un état de collocation alors qu’un des créanciers aurait été omis et n’aurait pas été réglé alors qu’il aurait dû l’être, de telle sorte que le créancier ayant perçu les fonds n’aurait pas dû les recevoir et a donc vocation à les restituer.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, le 23 mai 2012, le Tribunal de commerce avait ouvert le redressement d’une société AI qui a été converti en liquidation judiciaire le 18 juillet suivant et un mandataire liquidateur a été désigné.
Le 02 août 2018, à la suite de la vente d’un immeuble et en vue de la distribution du prix, le mandataire liquidateur a établi l’état de collocation des créanciers en vertu duquel il a adressé à la société AF, créancier hypothécaire, un dividende de 268 955.52 €.
A la suite de la vente d’un immeuble le mandataire liquidateur établit un état de collocation
Le mandataire liquidateur a assigné la société AI en restitution d’une somme de 24 224.49 € qui aurait dû être réglée, selon lui, prioritairement à l’AGS.
Le mandataire liquidateur se pourvoyant en cassation, en suite de l’arrêt qui avait été rendu par la Cour d’appel de Grenoble, en considérant que le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées.
Le mandataire liquidateur reprochait justement à la Cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande de restitution de l’indu malgré l’admission définitive au passif de la créance de l’UNEDIC CGEA au titre de l’AGS pour une somme de 24 224.49 € et son inscription sur l’état des créances privilégiées.
Le mandataire liquidateur soutient que ce créancier n’avait effectivement pas été appelé à la distribution du prix de vente du bien immobilier par l’état de collocation dressé le 02 août 2018, pour le mandataire liquidateur, l’état de collocation n’avait pas été dressé en conformité avec l’état des créances privilégiées admises, qui aurait dû donc inclure l’UNEDIC CGEA.
Ainsi, la discussion était portée de savoir si oui ou non il était question d’une contestation d’un état de collocation au motif pris de ce qu’un paiement a été fait au détriment d’un créancier inscrit ou est-ce qu’il ne s’agissait non pas d’une erreur mais qu’il s’agissait plutôt d’une omission ?
En effet, la demande de restitution trouve son origine non pas dans l’erreur commise dans l’acte de collocation sur le classement légal des droits de préférence mais dans le défaut d’un créancier au sein de l’état de collocation qui disposait donc du droit d’y participer.
Oubli d’un créancier dans l’état de collocation, erreur ou omission ?
Ce qui constitue en réalité une contestation de l’état de collocation alors que l’omission d’appeler un créancier privilégie la distribution du prix de vente ayant entrainé un indu au profit d’un autre créancier constitue plutôt une erreur sur l’ordre des privilèges.
Dans tous les cas de figure, pour le mandataire liquidateur, force est de constater que le créancier hypothécaire a bénéficié d’un dividende de 268 955.52 € alors qu’il aurait dû, en tout cas pour la seule somme de 24 224.49 €, ne pas percevoir cette somme qui aurait dû revenir prioritairement à l’AGS.
Le super privilège des salaires primant le créancier hypothécaire
Cependant, le créancier refusant de restituer cette somme en considérant, premièrement, qu’il en était de la responsabilité du mandataire liquidateur qui aurait mal rédigé son état de collocation et qu’en tout état de cause, le créancier hypothécaire désintéressé n’avait pas à pâtir d’un oubli d’un créancier sur l’état de collocation du mandataire liquidateur.
Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et tient à préciser que, selon l’article L 643-7-1 du Code du commerce, le créancier qui a reçu un paiement à la suite d’une erreur sur des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées.
Une obligation de restitution pour le créancier trop payé
Il en résulte que lorsque le paiement à un créancier privilégié a été effectué à la suite de l’omission sur l’état de collocation d’un créancier de meilleur rang, le liquidateur peut agir en restitution des sommes versées au créancier qui a reçu ce paiement.
Or, pour rejeter la demande de restitution, la Cour d’appel, après avoir énoncé qu’il résultait de la combinaison des articles R 643-6 et R 643-7 du Code du commerce, que le liquidateur procède aux règlements des créanciers sur le fondement de l’état de collocation dressé en conformité avec l’état des créances définitivement admises, relève que malgré l’admission définitive au passif de la créance de l’UNEDIC CGEA au titre de l’AGS pour une somme de 24 224.49 € et son inscription sur l’état des créances privilégiées, ce créancier n’a pas été appelé à la distribution du prix de vente du bien immobilier par l’état de collocation dressé le 02 août 2018 et que le paiement adressé par le liquidateur à la société AI est intervenu dans le respect de l’ordre réglé par lui.
Le défaut de collocation d’un créancier,
Pour autant, la Cour d’appel en déduit que la demande de la restitution au liquidateur ne trouve pas son origine dans une erreur commise dans l’acte de collocation sur le classement légal des droits de préférence mais bien dans le défaut de collocation d’un créancier qui disposait du droit d’y participer.
De telle sorte que la demande en restitution des fonds constitue en réalité une contestation de l’état de collocation qui doit intervenir dans le mois de la publicité de son dépôt devant le Juge de l’exécution du Tribunal judiciaire et que le paiement intervenu en vertu de l’état de collocation d’août 2018, dont il n’est pas justifié qu’il ait fait l’objet de contestation, n’est donc entaché d’aucune erreur dans l’ordre des privilèges qu’il a réglé.
Pour autant, la Cour de cassation ne s’y trompe pas puisqu’elle considère qu’en statuant ainsi alors que la somme dont la restitution était demandée par le mandataire liquidateur à la société AI lui avait été versée à la suite de l’omission d’un créancier de meilleur rang, la Cour d’appel a violé le texte susvisé.
La Cour de cassation cassant ainsi l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble et renvoyant les parties devant cette même juridiction autrement composée.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle met en exergue le fait que si le mandataire liquidateur a commis une faute dans l’établissement de son état de collocation en omettant un créancier et, pour le coup, l’UNEDIC AGS.
Il n’en demeure pas moins que le créancier, qui aurait indûment perçu un dividende dans le cadre de l’établissement de l’état de collocation, ne peut se retrancher derrière le fait que l’état de collocation n’a pas été contesté et ne peut non plus se retrancher derrière le fait que le mandataire liquidateur aurait commis une erreur, bien que la jurisprudence est déjà venue sanctionner à plusieurs reprises la responsabilité du mandataire liquidateur qui aurait, à tort, réglé un créancier au détriment d’un autre.
Pour autant, cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle rappelle que, en cas d’oubli d’un créancier dans l’état de collocation qui primerait celui qui aurait été désintéressé, le mandataire liquidateur est bienfondé à se retourner contre le créancier ayant trop perçu afin que celui-ci restitue les fonds au profit du mandataire liquidateur, afin que celui-ci puisse payer le créancier ayant un meilleur rang sans que ce dernier ne puisse opposer le fait que l’état de collocation n’a pas été contesté dans les délais légaux.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,
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