Résumé :
Le juge des libertés et de la détention, le JLD, peut-il ordonner une saisie pénale immobilière, sur la base d’une saisine du Procureur de la République faite en cours d’enquête préliminaire, mais qui rend sa décision postérieurement à la convocation des mis en cause devant la juridiction correctionnelle, dite convocation qui a pour effet de clôturer la procédure d’enquête?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en avril 2021, et qui vient aborder la question spécifique des pouvoirs finalement octroyés au juge des libertés de la détention, pour ordonner une saisie pénale immobilière au seul stade des seules enquêtes de flagrance ou enquêtes préliminaires,
Saisie pénale et enquête préliminaire
La Cour de cassation précise dans cette jurisprudence, qu’au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, le JLD, saisi sur requête du Procureur de la République, peut ordonner la saisie de l’immeuble dont la confiscation a été encourue.
Cependant, dès lors que l’enquête est terminée, le juge des libertés de la détention n’est plus compétent pour ordonner ces mesures même s’il a été saisi par le procureur de la République pendant l’enquête.
Ce qui amène parfois « le tiers saisi de bonne foi » à se demander devant quelle juridiction il doit s’adresser s’il veut justement contester les réquisitions du parquet.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, il s’agit encore d’une saisie pénale immobilière en Corse dont on peut d’ailleurs s’interroger d’un engagement politique au travers cette recrudescence particulièrement marquée des procédures de saisie pénale immobilière.
Il ressort des circonstances de la cause que, Monsieur X intervenant auprès de la chambre d’agriculture de la Corse du sud ainsi que son épouse et plusieurs membres de sa famille, outre différents ouvriers agricoles, ont été mis en cause pour avoir trompé l’agence de service et de paiement, organisme de paiement des fonds européens au titre de la politique agricole commune, en employant des manœuvres frauduleuses et d’avoir ainsi amené cet organisme à remettre « la modique somme de 1 456 325.53€ » au titre des aides à l’hectare pour les années 2015 à 2018.
Force et de constater que pour le coup le montant du dit préjudice est relativement important.
Préjudice pénal, saisie pénale immobilière et sort de l’enquête pénale
Il ressortait des circonstances de la cause et de l’enquête pénale que ces aides auraient bénéficié notamment aux exploitations agricoles gérés par plusieurs antagonistes respectivement pour des sommes importantes tantôt de 447 000.00€ tantôt de 288 000.00€ tantôt de 301 000.00€ et encore de 96 000.00€.
Etant relevé en premier lieu que le directeur de la chambre d’agriculture interdisait à Monsieur X d’exercer la fonction des exploitants agricoles.
Cela ne m’avait pourtant pas empêché d’intervenir dans la gestion de fait de l’ensemble des exploitations, pour justement, permettre l’obtention de ces subventions .
Il en était de même de la gestion de la seconde exploitation par Madame N, son épouse, qui aurait, quant à elle perçu, la modique somme de 321 000.00€.
C’est dans ces circonstances que des poursuites pénales ont eu lieu.
Ainsi, le 21 novembre 2019 les mis en causes ont été convoqués devant la juridiction correctionnelle.
Pourtant dans le même laps de temps, les saisies pénales ont été ordonnées suivant 3 ordonnances du Juge des Libertés et de la Détention, le JLD, du 29 novembre 2019, sur requête du Procureur de la République du 18 novembre 2019,
Nous sommes en présence d’un calendrier particulier puisque l’on en comprend que la saisine du JLD par le Ministère Public a été faite avant la convocation devant le Tribunal correctionnel, alors que les ordonnances en litiges auraient été rendu après l’audience correctionnelle puisqu’elles ont eu lieu le 29 novembre 2019.
Saisie pénale immobilière du JLD après l’audience correctionnelle
Il ressort des circonstances de la cause que par 3 ordonnances du 29 novembre 2019, le juge des libertés de la détention a ordonné la saisie en valeur à titre de produit d’infraction poursuivie d’un appartement et de terrains agricoles d’une valeur totale de 680 000.00€ appartenant à Monsieur X.
C’est dans ces circonstances que le prévenu a interjeté appel de ces 3 décisions afin de contester la validité des saisies pénales qui ont été ordonnées.
Le prévenu entendait critiquer cette saisie pénale.
Une décision de saisie pénale immobilière du JLD irrégulière car tardive
Dans le cadre de ce pourvoi en cassation, Monsieur X considérait que le juge des libertés de la détention ne pouvait ordonner, après la convocation correctionnelle la saisie des biens immobilier pourtant préalablement confisqués en cours de l’enquête préliminaire.
Monsieur X oppose plusieurs moyens afin de mettre à mal ses saisies pénales immobilières.
En premier lieu, Monsieur X soulignait le fait que si le procureur de la République avait présenté sa demande dans les temps de l’enquête, il n’en demeurait pas moins que l’enquête préliminaire avait été close par la convocation par officier de police judiciaire effectuée en son nom en date du 21 novembre 2019,
De telle sorte, que le JLD, et à hauteur de Cour d’appel, la Chambre de l’instruction, avaient violés les articles 706-141-1, 706-150 et 591 du code de procédure pénale.
Le JLD pouvait il répondre à cette saisine du Procureur de la République alors que la procédure d’enquête avait été terminée ?
La réponse de la Haute juridiction est clairement non.
En effet, la Cour de cassation rappelle ,dans sa grande sagesse, et ce au visa de l’article 706-150 du code de procédure pénale, qu’il résulte de ce texte qu’au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, le juge des libertés de la détention saisi par requête du procureur de la République, peut ordonner par décision motivée la saisie aux frais avancés du trésor des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal, soulignant notamment que pour éloigner le moyen prix de la nullité des ordonnances de saisie tirées de ce qu’à la date où elles ont été rendues, l’enquête n’était plus en cours.
Ainsi, il appartenait au juge des libertés de la détention régulièrement saisi par le Parquet dans les temps de l’enquête, de statuer sur la demande qui lui a été faite.
La Cour d’Appel ajoutant que le fait que l’enquête ait été clôturée le 20 novembre 2019 ne peut dans ces conditions rendre les décisions irrégulières.
Une enquête terminée, une saisie pénale par le JLD impossible
Les possibilités de recours restant par ailleurs ouvertes aux intéressés dans un délai de dix jours à compter de leur notification.
Pour autant, la Cour de cassation ne suit pas l’analyse de la Chambre d’instruction et considère que celle-ci a méconnue la portée de l’article 706-150 du code de procédure pénale en constatant qu’à la date des ordonnances critiquées, l’enquête était terminée.
De sorte que le juge des libertés de la détention n’était plus compétent pour ordonner les mesures contestées peu important qu’il ait été saisi par le procureur de la République pendant le temps de l’enquête.
La cassation étant alors encourue.
Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle vient clairement rappeler le temps de compétence du juge des libertés de la détention et vient finalement mettre en exergue cette permanente interrogation.
Quel est le pouvoir du JLD en matière de saisie pénale immobilière ?
Le Tribunal correctionnel doit-il réitérer ou confirmer cette saisie pénale immobilière ? Et si oui, dans quelles conditions ?
La Cour de cassation rappele dans cette décision qu’il résulte de l’article 706-150 du code de procédure pénale qu’au cours de l’enquête de flagrance de l’enquête préliminaire, le juge des libertés de la détention saisi par requête du procureur de la République peut ordonner, par décision motivée, la saisie des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal.
Cependant dans l’hypothèse ou il y a eu la convocation des mis en causes devant le Tribunal correctionnel, l’enquête préliminaire ou l’enquête de flagrance est terminée de telle sorte que le Juge des libertés de la détention n’est plus compétent pour ordonner les saisies pénales immobilières, peu important qu’il ait été saisi par le procureur de la République pendant l’enquête.
Dès lors, cette décision est intéressante puisqu’elle rappelle les limites de la compétence du juge des libertés de la détention en pareille matière.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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