La nullité d’une procédure de saisie immobilière pour des problématiques non pas de fond mais de signification irrégulière est-elle génératrice de prescription lorsque le débiteur se retrouve par la suite en liquidation judiciaire et oppose ladite prescription biennale à la banque qui a cru bon de déclarer sa créance entre les mains du mandataire liquidateur ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en ce mois de juin 2019 qui vient aborder la problématique de la prescription entre saisie immobilière et ouverture d’une procédure collective.
Dans cette affaire, et par un acte notarié du 26 octobre 2005, la banque avait consenti à Monsieur R et à Madame T un prêt immobilier dont la déchéance du terme a été prononcée le 30 septembre 2009, en raison d’incidents de paiement.
Par un acte du 25 novembre 2010, publié le 17 janvier 2011, la banque a fait délivrer aux emprunteurs un commandement de payer valant saisie de l’immeuble, puis les a assignés, le 21 février 2011, à l’audience d’orientation du juge de l’exécution.
De renvois en renvois et de conclusions en conclusions, un jugement a été rendu le 13 septembre 2013, et a fixé la créance de la banque et ordonné la vente forcée de l’immeuble.
Par la suite, la Cour d’Appel, dans un arrêt du 26 juin 2014, a prononcé la nullité de la signification de l’assignation du 21 février 2011 et a, en conséquence, constaté la nullité de tous les actes subséquents en ce compris le jugement d’orientation du 13 septembre 2013.
Par la suite encore, le 26 novembre 2015, Madame T a été mise en redressement judiciaire, Maître H a été nommé mandataire judiciaire.
Dans le cadre de cette procédure collective, la banque a déclaré, au titre du prêt en cause, une créance qui a été contestée par le mandataire judiciaire, dans les intérêts du débiteur, au motif qu’elle était prescrite.
La Cour de Cassation ne partage pas l’analyse du mandataire judiciaire et considère qu’il résulte de l’article 2241, alinéa 2, du Code Civil que l’acte de saisine de la juridiction, même entaché d’un vice de procédure, interrompt le délai de prescription.
La Cour relève que dans son arrêt du 26 juin 2014, la Cour d’appel a annulé la signification de l’assignation délivrée le 21 février 2011 par procès-verbal de recherches infructueuses, ainsi que le jugement subséquent,
Or, la Cour d’Appel qui venait quand même statuer sur l’admission de la créance en a déduit que les demandes de la banque ayant été rejetées en raison de l’annulation de la signification de l’acte de saisine de la juridiction pour vice de forme, seul le texte de l’article 2241 devait recevoir application.
La question qui se posait était de savoir quelle était la portée dudit article.
Le débiteur et le mandataire faisaient grief à l’arrêt d’admettre la créance de la banque,
A ce titre le mandataire judiciaire et le débiteur soutenaient que selon l’article 2243 du Code Civil, l’interruption de la prescription résultant de la demande en justice est non avenue si la demande est définitivement rejetée par le juge saisi,
Ceci d’autant plus que cet article ne comporte aucune distinction selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond, par un moyen de forme ou par une fin de non-recevoir.
Maître H, mandataire liquidateur de Madame T, faisait également grief à la Cour d’appel, statuant sur appel de l’ordonnance du juge commissaire qui avait rejeté la créance, d’avoir finalement admis la créance de la banque au passif de Madame T, à titre privilégié hypothécaire à hauteur de la somme de 359.987,25 euros arrêtée au 26 novembre 2015, outre intérêts au taux de 4,40 % sur la somme de 266.737,82 € euros du 27 novembre 2015 jusqu’à parfait paiement.
Pour le mandataire liquidateur et le débiteur, c’est à juste titre le juge-commissaire a retenu qu’n suite de l’ arrêt du 26 juin 2014, par lequel la Cour d’Appel de Montpellier avait définitivement rejeté la demande en justice formée par la banque par assignation du 21 février 2011 tendant à voir ordonner la vente forcée de l’immeuble appartenant à la débitrice sur la base du commandement de payer délivré le 25 novembre 2010, ce en prononçant l’annulation de l’ensemble de la procédure de saisie immobilière et notamment dudit commandement de payer, désormais radié,
Le juge commissaire motivait cette décision en retenant que la banque ne pouvait plus saisir le Juge de l’Exécution d’une demande de vente forcée formée sur le même commandement.
Que dès lors, la banque était prescrite à déclarer à la procédure collective.
Pour autant, statuant sur appel de l’ordonnance du juge commissaire rejetant la créance, la Cour d’Appel a inversement considéré que « les demandes de la banque n’ont pas été rejetées par un moyen de fond ni en conséquence d’une fin de non-recevoir mais en raison de l’annulation de la signification de l’acte de saisine du Tribunal de Grande Instance de sorte que la référence à l’article 2243 est inopérante et que l’article 2241 précité doit recevoir pleine application en présence d’une annulation de l’assignation pour vice de forme ».
Il convient de rappeler que le deuxième alinéa de l’article 2241 dispose par contre que l’interruption du délai de prescription produit son effet lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.
En l’espèce la signification de l’assignation présidant à la saisine du juge de l’exécution a été annulée pour un vice de forme au visa de l’article 659 du Code de Procédure Civile.
Il s’agit sans discussion d’un vice de procédure au sens du deuxième alinéa de l’article 2241 et il s’en déduit donc que l’assignation en date du 21 février 2011 est restée interruptive de prescription jusqu’à la date du 20 juin 2014.
Il convient de rappeler que s’évince d’un précédent arrêt de la Cour de cassation en date du 26 janvier 2016 n° 14-17952 :
- que dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, cet article ne distingue pas selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir de sorte l’effet interruptif de prescription de la demande en justice est non avenu si celle-ci est déclarée irrecevable,
- que l’article 2241, alinéa 2, du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, ne s’applique qu’aux deux hypothèses, qu’il énumère, de saisine d’une juridiction incompétente ou d’annulation de l’acte de saisine par l’effet d’un vice de procédure.
A bien y comprendre, les demandes de la banque n’ont pas été rejetées par un moyen de fond ni en conséquence d’une fin de non-recevoir,
Mais bel et bien en raison de l’annulation de la signification de l’acte de saisine du Tribunal de Grande Instance,
De telle sorte que la référence à l’article 2243 est inopérante et que l’article 2241 précité doit recevoir pleine application en présence d’une annulation de l’assignation pour vice de forme.
Dans le même sens, la Cour de Cassation rejette le pourvoi de Maître H au motif pris qu’il résulte de l’article 2241, alinéa 2, du code civil que l’acte de saisine de la juridiction, même entaché d’un vice de procédure, interrompt le délai de prescription
La Haute juridiction relève que l’arrêt de la Cour d’appel statuant dans le cadre de l’appel de la décision du juge de l’orientation, en date du 26 juin 2014 avait annulé la signification de l’assignation délivrée le 21 février 2011 par procès-verbal de recherches infructueuses, ainsi que le jugement subséquent,
De telle sorte que la Cour d’Appel en a donc exactement déduit que les demandes de la banque ayant été rejetées en raison de l’annulation de la signification de l’acte de saisine de la juridiction pour vice de forme, et que seul le texte précité devait recevoir application.
Cette jurisprudence est encore une fois sévère à l’encontre du débiteur et largement profitable aux établissements bancaires et qu’il faut contester les demandes de la banque tant sur la forme que sur le fond et explorer toutes les fins de non-recevoir pour aborder par la suite l’intégralité de effets prescriptifs.
Il est regrettable de remarquer que ces jurisprudences distinctives sont toujours favorables aux établissements bancaires qui ont toujours une issue de secours pour poursuivre le débiteur.
L’inverse est beaucoup moins vrai,
Mon cabinet pratiquant à bien des égards le droit de la saisie immobilière, rappelle qu’il appartient au débiteur de faire feu de tout bois pour se défendre sachant que bon nombre de moyen sont à sa disposition.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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