Si la créance née d’une prestation compensatoire, présente, pour partie, un caractère alimentaire, échappe-t-elle à la règle de l’interdiction des paiements ? Demeure t’elle soumise au principe de l’interdiction des poursuites ? Dans quelles conditions cette créance de prestation compensatoire peut-elle participer à la répartition des fonds découlant de la réalisation d’un actif ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en juin 2019 qui vient aborder le sort d’une créance née d’une prestation compensatoire alors que le débiteur est en liquidation judiciaire.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation considère que la créance née d’une prestation compensatoire, qui présente, pour partie, un caractère alimentaire, si elle échappe à la règle de l’interdiction des paiements, demeure soumise à celle de l’interdiction des poursuites.
Dès lors, en cas de liquidation judiciaire de son débiteur, ladite créance de prestation compensatoire doit, en principe, être payée hors procédure collective, c’est-à-dire sur les revenus dont le débiteur conserve la libre disposition sans que son règlement puisse intervenir sur les fonds disponibles dans la procédure.
Le créancier d’une prestation compensatoire peut cependant, et en outre, être admis aux répartitions, mais à la condition qu’il ait déclaré sa créance,
C’est l’apport de cet arrêt,
Dans cette affaire, un jugement du 6 juillet 2009 a prononcé le divorce de Monsieur T et Madame Y.
Le 31 octobre 2013, Monsieur T a été placé en liquidation judiciaire et un mandataire liquidateur a été désigné.
Après avoir déclaré au passif une créance de prestation compensatoire, Madame Y s’est désistée de sa déclaration de créance de prestation compensatoire et a saisi le juge-commissaire d’une requête afin d’obtenir, sur les fonds détenus par le liquidateur, le paiement d’une provision à valoir sur cette créance.
Le mandataire liquidateur a sollicité le rejet de ces demandes et la Cour d’Appel a considéré que la créance alimentaire de Madame Y ne pouvait pas être recouvrée sur les sommes et actifs soumis au dessaisissement propre à la liquidation judiciaire.
Il convient de rappeler que la créance née d’une prestation compensatoire, qui présente, pour partie, un caractère alimentaire, si elle échappe à la règle de l’interdiction des paiements, demeure cependant soumise à celle de l’interdiction des poursuites.
Rappelons que l’article L 622-7 dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 dispose que «le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation des créances connexes.
Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires ».
Madame Y soutenait que la prestation compensatoire est de nature alimentaire et qu’elle entrait donc dans les prévisions de cet article.
De telle sorte que le mandataire liquidateur ne pouvait lui opposer l’arrêt des poursuites individuelles.
Madame Y faisait valoir que si l’article L 622-7 du Code de Commerce écarte le principe de l’interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, il n’en demeure pas moins, qu’en ce qui concerne les créances alimentaires, celles-ci peuvent et doivent même être payées, sous peine de sanctions pénales.
Madame Y soutenait également que l’ordonnance du 18 décembre 2008, laquelle a instauré le primat des créances alimentaires en les soustrayant à la procédure de déclaration et de vérification de créances, n’aurait aucun sens juridique, si ce paiement ne pouvait lui-même être prioritaire et sans distinction d’assiette sur les biens du débiteur.
Pour fonder son argumentation, Madame Y se reposait sur deux arrêts rendus le 8 octobre 2003 par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation dans lesquels celle a admis que « la créance née de la prestation compensatoire, qui présente pour partie un caractère alimentaire, n’a pas à être déclarée au passif du débiteur soumis à la procédure collective et échappe ainsi à l’extinction faute de déclaration. »
Pour autant, dans cette deuxième jurisprudence, la Cour de Cassation rappelle que la créance née de la pension alimentaire peut être payée sans avoir été déclarée au passif du débiteur soumis à la procédure collective, jugeant ainsi que « la créance d’aliments, qui est une dette personnelle du débiteur soumis à une procédure collective, doit être payée sur les revenus dont il conserve la disposition ou bien être recouvrée par la voie de la procédure de paiement direct ou de recouvrement public des pensions alimentaires. »
La vraie de question est alors de savoir quelles seraient les conditions requises pour qu’un paiement préférentiel et prioritaire soit réalisé sur les fonds du débiteur ?
La Cour de Cassation ne s’y trompe pas.
Elle rappelle que créance de prestation compensatoire, qui est une créance à caractère alimentaire, peut, en cas de liquidation judiciaire de son débiteur, être payée hors procédure collective, c’est-à-dire sur les revenus dont celui-ci conserve la libre disposition,
Ou être recouvrée par la voie de la procédure de paiement direct ou de recouvrement public des pensions alimentaires, sans que son règlement puisse intervenir sur les fonds disponibles dans la procédure collective.
Pour autant, la Cour de cassation rappelle que si le créancier d’une prestation compensatoire peut être admis aux répartitions, c’est à la seule et unique condition qu’il ait déclaré sa créance.
Ainsi soit-il…
En effet, la participation d’un créancier à la distribution de sommes par le liquidateur est subordonnée à la déclaration de sa créance et sauf dérogation légale expresse, laquelle ne résulte pas de la simple absence de soumission des créances alimentaires aux dispositions de l’article L. 622-24 du code de commerce prévue par le dernier alinéa de ce texte, ce dernier n’ayant ni pour objet ni pour effet de permettre à leur titulaire de concourir aux répartitions sans déclaration de créance.
La position de la Cour de Cassation est finalement assez claire.
Les interdictions de payer qui concernent les créances antérieures à l’ouverture de la procédure collective ne sont pas applicables aux créances alimentaires, qui doivent être payées sans devoir être déclarées au passif du débiteur et que ce paiement peut être réalisé sur l’ensemble des fonds du débiteur, même sur ceux affectés à la procédure collective à la seule et unique condition que la créance ait été déclarée.
Des lors, il appartient au fin juriste d’être également bon stratège économique pour présumer du recouvrement de la créance en question.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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