Lorsqu’une SARL est assujettie non pas au traditionnel import sur les sociétés mais plutôt à l’impôt sur le revenu, l’existence d’un compte courant associé débiteur représentant le déficit de l’entreprise au moment de sa liquidation judiciaire, peut-elle constituer une faute de gestion justifiant une action en responsabilité pour insuffisance d’actif ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en janvier 2020 qui aborde la question du sort du compte courant débiteur de l’unique associé gérant d’une SARL assujetti non pas à l’impôt sur les sociétés mais, une fois n’est pas coutume à l’impôt sur le revenu, et des conséquences que cela peut avoir dans le cadre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, autrement appelée l’action en comblement du passif initiée par le mandataire liquidateur alors que la société, la Sarl, est en liquidation judiciaire.
Mais reprenons d’abord les faits.
Dans cette affaire, la société AE avait été constituée le 10 février 1990.
Le capital social avait été fixé à la somme de 25 145 euros, divisé en 1 650 parts égales de 15,24 euros, chacune intégralement libérée et attribuée comme au profit de Monsieur P, unique associé et gérant, pour 1 650 parts.
Cette société exploitait une entreprise dont l’activité était l’étude, la réalisation, la maintenance et le dépannage de tout matériel électrique, électromécanique, électronique et frigorifique.
Le chef d’entreprise avait fait le choix d’assujettir sa société, non pas à l’impôt sur les sociétés qui demeure le « grand classique » en la matière, mais avait plutôt opté pour un assujettissement à l’impôt sur le revenu qui est parfaitement possible mais moins fréquent en pratique.
Le 20 avril 2015, à la demande du chef d’entreprise, soit, sur déclaration de cessation des paiements, le redressement judiciaire de la société a été prononcé par le Tribunal de Commerce et la date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 17 avril 2015.
Maître G a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Il importe de préciser qu’à ce stade, aucune action n’avait été engagée aux fins de solliciter le report de la date de cessation des paiements.
Par jugement du 22 juin 2015, le Tribunal de Commerce a converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur, au vu du passif déclaré relativement important et d’une insuffisance d’actifs totale de près de 559 506, 48 euros, a cru bon saisir le Tribunal de Commerce d’une action aux fins de sanctionner le dirigeant sur la base de l’article L651-2 du Code du Commerce.
Il venait reprocher au chef d’entreprise un certain nombre de griefs.
Tout d’abord, il prenait soin de procéder à l’analyse des éléments comptables pour considérer que le délai moyen d’encaissement en nombre de jour s’était aggravé et que cette aggravation était source de responsabilités.
Il soulignait ensuite les délais d’encaissement des créances clients n’avaient eu de cesse de s’allonger au fil du temps en mettant en péril la trésorerie de l’entreprise.
Il considérait également qu’il y avait une absence de tenue de comptabilité car le dirigeant n’avait remis aucune comptabilité au concluant au titre de l’année 2014.
Il soutenait dès lors que l’absence de tenue de comptabilité apparaissait particulièrement fautive et inexcusable au vu de la situation financière obérée de la société pour les exercices de 2011 à 2013.
Mais surtout Maître G, es qualité de mandataire liquidateur, considérait que le solde débiteur du compte courant associés de Monsieur P au sein de la société AE était de :
- Exercice 2012 : – 72 062 euros
- Exercice 2013 : – 42 527 euros
- Exercice 2014 : – 81 797 euros
- Exercice 2015 : – 133 968 euros
Maître G es qualité évoquait la portée des dispositions de l’article L. 223-21 du Code de Commerce qui dispose :
« A peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.
Cette interdiction s’applique aux représentants légaux des personnes morales associées »
L’interdiction du compte-courant d’associé débiteur résulte encore de l’article L.241-3 du Code de Commerce qui dispose :
« Est puni d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 375 000 euros :
…
4° Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ; »
Dès lors, pour le mandataire liquidateur, le fonctionnement d’un compte-courant d’associé débiteur, alors que la société connaissait de graves difficultés financières, était constitutif d’une faute de gestion.
Pour autant le chef d’entreprise ne partageait pas cette analyse.
Il avait pris soin de se défendre sur la problématique de la comptabilité, sur la cessation de paiement de la société AE, sur la gestion de ses salariés, sur les ratios de marge qu’il avait afin d’être compétitif sur un marché particulièrement concurrentiel.
Concernant le compte courant associé, il importe d’apporter un certain nombre de précisions.
Tout d’abord, il convient de préciser que l’expert-comptable avait écrit au mandataire judiciaire.
« Concernant le compte courant débiteur, veuillez trouver ci-joint pour les années 2012,2013, 2014 et 2015 jusqu’au 22 juin 2016 les extraits de compte.
Le montant débiteur s’explique en grande partie par les affectations des résultats déficitaires et par une affectation en janvier2014, par OD, d’une écriture de 53 145,80 euros concernant une problématique d’assurance personnelle ».
Toute la problématique était liée à l’affectation des bénéfices et des pertes lorsque la SARL est assujettie non pas à l’impôt sur les sociétés mais bel et bien sur l’impôt sur le revenu.
En effet, rappelons-le, la société AP avait opté pour être assujettie non pas à l’impôt sur les sociétés mais à l’impôt sur le revenu.
Or, dans le cadre d’une société soumise à l’IS les bénéfices ou pertes entrent dans la réserve légale et est affecté par la suite au report à nouveau.
Cependant, dans le cadre d’une société soumise à l’IR, le bénéfice peut être affecté en crédit au compte courant et devient disponible pour les associés.
La perte peut également être affectée de la même manière en compte courant associés qui vient s’imputer sur les éventuels bénéfices précédents.
Il peut arriver que le solde du compte courant soit débiteur ce qui est le cas en l’espèce mais que ce compte courant débiteur n’est que la résultante de l’affectation des déficits à ce stade.
Il n’échappera d’ailleurs pas au bilan établi que ceux-ci ne sont absolument pas affectés au report à nouveau.
Cette affectation du résultat au compte courant associés est parfaitement légitime.
Le compte courant s’est retrouvé débiteur par l’affectation du résultat négatif.
Il est vrai qu’il n’est pas de bon aloi de laisser le compte courant associé en débit et en 2015, lorsque la difficulté est apparue, la société a opté pour un passage à l’impôt sur les sociétés, ce qui aurait fait sortir le débit du compte courant associé pour le faire passer tout simplement en déficit,
Cependant l’ouverture de la procédure collective s’est imposée au dirigeant de telle sorte que le bilan n’a pas pu être établi, ce qui n’a pas permis de réaffecter le déficit du compte courant débiteur à un report à nouveau.
La Cour d’Appel a été sensible à cette argumentation.
Elle considère qu’il n’est pas contesté que suite à la vérification des créances par le liquidateur, l’insuffisance d’actif s’élève à 559 506, 48 euros,
Que la cessation des paiements a été fixée par le tribunal au 17 avril 2015, sans que cette date n’ait été modifiée.
Elle considère que le mandataire liquidateur n’établit pas qu’il y ait eu une poursuite d’une activité déficitaire depuis 2013 ne pouvant conduire qu’à la déclaration de cessation des paiements alors que Monsieur P démontre avoir réduit le nombre des salariés de 23 à 11 salariés au moment du prononcé de l’ouverture du redressement judiciaire le 25 avril 2015.
La Cour d’appel souligne que, conscient des difficultés que l’entreprise rencontrait, le chef d’entreprise a sollicité un entretien avec le Président du Tribunal de Commerce en février 2015 et que la baisse de ratios de marge et les délais de paiement des factures des débiteurs peuvent s’expliquer par le domaine concurrentiel dans lequel évoluait la société AE.
La Cour souligne aussi que des négociations ont été entamées par le dirigeant afin d’obtenir des délais de paiement auprès des créanciers tels que l’URSSAF ainsi que la PROBTP et la CI-BTP.
Qu’enfin, l’expert-comptable atteste que les ratios clients critiqués par le liquidateur semblaient cohérents économiquement, l’encours étant important en raison de chantiers non terminés et des contestations des clients pour malfaçons.
Qu’en conséquence, c’est à juste titre que les premiers juges n’ont pas retenu les différentes fautes de gestion reprochées si facilement par le mandataire liquidateur,
Ne restait plus que la délicate question du compte courant d’associé débiteur.
Sur ce point, la Cour d’Appel reprend les termes de l’article L 223-21 du Code de Commerce qui dispose :
« A peine de nullité du contrat, il est interdit aux gérants ou associés autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. »
Il était en effet reproché à Monsieur P une faute de gestion concernant le compte associé qui était débiteur d’un montant de 133 968 euros en violation des articles L 223-21 du Code de Commerce et L 241-3 du même Code,
Pour autant, la juridiction ne suit pas le mandataire judiciaire dans son argumentation,
En effet, la Cour d’Appel commence en reprenant stricto sensu l’attestation de l’expert dans lequel ce dernier finit son analyse :
« Comme vous pouvez le constater il ne s’agit nullement et en grande partie de prélèvements financiers de la part du gérant. »
En conséquence, la Cour d’Appel considère le compte débiteur résulte de l’affectation des résultats déficitaires et de l’inscription d’une écriture dans l’attente d’une meilleure affectation.
Ceci d’autant plus que le chef d’entreprise explique en outre pour sa défense que la société AE avait opté pour l’assujettissement à l’impôt sur le revenu et non à l’impôt sur les sociétés.
De telle sorte que le bénéfice et les pertes pouvait être affectés au compte courant associés venant s’imputer sur les éventuels bénéfices précédents, qu’il ne peut donc être reproché à Monsieur P de ne pas avoir communiqué des informations à l’expert-comptable sur le compte-courant et qu’il n’est pas démontré que Monsieur P ait agi dans une intention frauduleuse ou un usage qu’il savait contraire aux intérêts de la société ou à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle il serait intéressé.
A bien y comprendre le raisonnement de la Cour d’appel, aucune faute de gestion n’étant pas constituée, il convient d’infirmer le jugement de ce chef qui l’a retenue et a condamné Monsieur P à supporter personnellement les dettes de la société AE et à payer la somme de 133 968 euros.
Cette jurisprudence est intéressante car elle vient aborder le sort de l’affectation d’un déficit dans le cadre d’une société à l’IR et non pas à l’IS et des conséquences que cela peut avoir sur le compte courant associé lorsque ce dernier se retrouve débiteur.
Surtout lorsqu’en cas de liquidation judiciaire le mandataire liquidateur vient chercher le chef d’entreprise en responsabilité pour insuffisance d’actifs….
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
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