Est-il possible d’annuler une liquidation d’une astreinte ordonnée par le tribunal correctionnel et assortissant une mesure de mise en conformité ? Surtout lorsque cette condamnation d’astreinte ne comprend ni point de départ ni de délai imparti pour, justement, permettre cette mise en conformité ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation ce 26 mars 2024, N°23-80.499, qui vient aborder la problématique spécifique des liquidations d’astreinte assortissant une mesure de mise en conformité.
Une astreinte assortissant une mesure de mise en conformité
En effet, il n’est pas rare, lorsqu’une infraction urbanistique a été constatée, que le Procureur de la République enclenche des poursuites et que la juridiction correctionnelle saisie rende une décision visant à condamner, le propriétaire, certes, à une peine principale, mais c’est souvent la peine complémentaire de remise en état ou de remise en conformité sous astreinte qui peut créer problèmes car, par la suite, l’administration fiscale va émettre un titre de perception au titre de la liquidation de cette astreinte qui peut représenter, dans certains cas, des sommes très importantes.
Il y a bien sûr une possibilité de procéder à une demande de main levée de cette astreinte devant la juridiction qui a condamné le propriétaire en infraction mais il y a également la possibilité dans certains cas d’en obtenir aussi l’annulation de cette liquidation d’astreinte.
C’est justement ce que vient apporter cette jurisprudence qui précise qu’est justifiée la décision d’annulation du titre de perception liquidant l’astreinte assortissant une mesure de mise en conformité décidée à la suite d’une condamnation pour infraction au Code de l’urbanisme.
Quels sont les faits ?
Dans cette affaire, et par décision en date du 17 mai 2013, le Tribunal correctionnel avait déclaré Monsieur O coupable d’infraction au Code de l’urbanisme et avait ordonné la mise en conformité des lieux assortie d’une astreinte à raison de 50.00 € par jour de retard.
Le 21 septembre 2015, un titre exécutoire en liquidation d’astreinte a été émis et, le 18 octobre 2017, le Procureur de la République a adressé à Monsieur O une lettre de mise en demeure valant commandement de payer la somme de 11 450.00 € au titre de cette astreinte.
C’est dans ces circonstances que Monsieur O a formé opposition à la mise en demeure et a adressé un recours gracieux à l’autorité administrative qui a rejeté ses demandes.
La saisine du Tribunal correctionnel en annulation de l’astreinte
Il a, par la suite, saisi le Tribunal correctionnel avec une requête en annulation du titre de perception liquidant l’astreinte et de décisions prise sur le fondement de cette dernière.
Or, le 07 juin 2019, le Tribunal correctionnel a déclaré la requête irrecevable et c’est dans ces circonstances que, à la fois Monsieur O, à la fois le Procureur de la République, ont relevés appel de ce jugement.
C’est finalement le préfet qui a effectivement formé un pourvoi contre l’arrêt qui a été rendu par la Cour d’appel d’Orléans puisque la Cour d’appel avait justement annulé le titre de perception liquidant l’astreinte.
Le préfet critiquait l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il avait annulé le titre de perception en liquidation d’astreinte de 11 450.00 € du 21 septembre 2015 ainsi que tous les actes subséquents.
Quel est le point de départ faisant courir l’astreinte ?
Le préfet considérait que l’astreinte court nécessairement du jour où la condamnation pénale devient définitive, peu importe que la décision la prononçant ne précise pas son point de départ, de telle sorte qu’en infirmant que l’astreinte fixée par le Tribunal correctionnel n’a jamais commencé à courir, faute pour le Tribunal d’avoir fixé le point de départ, la Cour d’appel a méconnue, selon lui, l’article L 480-7 du Code de l’urbanisme.
Le préfet considérant encore qu’il ne revient pas au Juge pénal, lorsqu’il statue sur un incident contentieux d’exécution, de supprimer l’astreinte préalablement ordonnée en application de l’article L 480-7 alinéa premier du Code de l’urbanisme, lequel article précise que :
« Le tribunal impartit au bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition, de mise en conformité ou de réaffectation ; il peut assortir son injonction d’une astreinte de 500 € au plus par jour de retard. L’exécution provisoire de l’injonction peut être ordonnée par le tribunal.
Au cas où le délai n’est pas observé, l’astreinte prononcée, qui ne peut être révisée que dans le cas prévu au troisième alinéa du présent article, court à partir de l’expiration dudit délai jusqu’au jour où l’ordre a été complètement exécuté.
Si l’exécution n’est pas intervenue dans l’année de l’expiration du délai, le tribunal peut, sur réquisition du ministère public, relever à une ou plusieurs reprises, le montant de l’astreinte, même au-delà du maximum prévu ci-dessus.
Le tribunal peut autoriser le reversement ou dispenser du paiement d’une partie des astreintes pour tenir compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. »
Le point de départ de l’astreinte liée à l’obligation de mise en conformité
Or, en modifiant le point de départ de l’astreinte prononcée par le Tribunal correctionnel le 17 mai 2013 à une date postérieure à l’exécution par le condamné de son obligation de mise en conformité, la Cour d’appel, qui a remis en cause cette mesure, avait, selon le préfet, excédé ses pouvoirs en méconnaissance des dispositions de l’article 710 du Code de procédure pénale.
Fort heureusement, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et précise que pour annuler le titre de perception liquidant l’astreinte à hauteur de 11 450.00 € les décisions subséquentes prises sur le fondement de cette dernière.
La Cour d’appel a énoncé qu’aux termes de l’article L 480-8 du Code de l’urbanisme le Juge répressif qui, après avoir condamné le bénéficiaire d’une construction irrégulièrement édifiée, le condamnait à procéder à des travaux de mise en conformité, de lui impartir un délai pour l’exécution de l’ordre de démolition et fixer en conséquence le point de départ de ce délai en assortissant, le cas échéant, sa décision d’une astreinte.
Une astreinte fixée sans point de départ et sans délai
Dès lors, pour la Cour de cassation, le Juge ajoute que le Tribunal correctionnel a ordonné à l’encontre de Monsieur O la mise en conformité des lieux ou des ouvrages sous astreinte d’un montant de 50.00 € par jour de retard, sans fixer, ni le point de départ, ni la durée du délai qui lui impartissait pour procéder aux travaux.
De telle sorte qu’il y a lieu d’en comprendre que l’astreinte fixée par le Tribunal correctionnel n’a donc jamais commencé à courir, faute pour ce dernier d’en avoir fixé le point de départ.
Il s’en déduit, pour la Haute juridiction, qu’il convient de faire droit aux demandes en annulation présentées par Monsieur O, en l’absence de support juridique fondant une créance de liquidation d’astreinte.
L’annulation inévitable de la liquidation d’astreinte
La Cour de cassation considérant que l’astreinte ayant été ordonnée sans fixer le délai imparti pour la mise en conformité des lieux exigé par les dispositions de l’article L 480-7 du Code de l’urbanisme pour décider d’une telle mesure, cette dernière ne pouvait pas être complétée par la fixation d’un tel délai sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale qui donne compétence à la juridiction pour connaitre des incidents relatifs à l’exécution d’une décision mais non pour y ajouter ou retrancher.
D’autre part, la Haute juridiction précise que :
« L’astreinte ne pouvant être exécutée en l’absence de fixation d’un tel délai, la Cour d’appel ne pouvait dès lors que constater que les mesures prises en application de celle-ci étaient dénuées de fondement juridique et prononçaient ainsi son annulation. »
Ainsi, à bien y comprendre, la Cour d’appel n’a pas supprimé l’astreinte mais a tout simplement constaté qu’elle n’était pas exécutable.
De telle sorte qu’elle devait être intégralement écartée.
Le tribunal correctionnel, statuant sur incident, peut-il corriger l’erreur ?
Le raisonnement juridique de la Cour de cassation est pertinent et rappelle dès lors que l’astreinte ayant été ordonnée sans fixer ni le point de départ, ni le délai imparti pour la mise en conformité des lieux, cette astreinte ne pouvait pas être complétée par la fixation d’un tel délai sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale qui donne compétence à la juridiction pour connaitre des incidents relatifs à l’exécution d’une décision mais non pour y ajouter ou retrancher.
C’est donc à juste titre que la Cour d’appel a considéré que l’astreinte ne pouvait être exécutée en l’absence de fixation d’un tel délai, la Cour d’appel ne pouvait que constater que les mesures prises en application de celle-ci étaient dénuées de fondement juridique et prononçaient par la même leur annulation.
Cette jurisprudence est importante puisqu’elle rappelle effectivement que la mise en place d’une astreinte décidée par une décision pénale, afin d’assortir une mesure de remise en conformité et de remise en état, doit être encadrée dans des délais, premièrement, dans un délai imparti pour permettre justement cette mise en conformité et, deuxièmement, en fixant le point de départ de cette d’astreinte qui pourrait être liquidée par la suite, et, faute de précisions de ces éléments, c’est donc à juste droit que la Cour de cassation a confirmé la décision de la Cour d’appel qui avait, du coup, annulé l’astreinte en conséquence.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,
Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,