Résidence principale, entre titre exécutoire et insaisissabilité

Laurent latapie avocat tribunal aix
Laurent latapie avocat tribunal aix

Un créancier non professionnel, la banque ayant financé la résidence principale faisant l’objet d’une déclaration d’insaisissabilité, peut-il saisir ladite résidence principale après la clôture pour insuffisance d’actif du débiteur en liquidation judiciaire ? A t’il besoin d’un titre exécutoire ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en ce mois de septembre 2018 relatif à l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que le créancier, auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable, bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur la résidence principale, qu’il doit être en mesure d’exercer en obtenant, s’il n’en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence, le montant et l’exigibilité de sa créance.

Dès lors, le principe établi, il appartient au débiteur de réfléchir à la stratégie dans laquelle ce dernier doit envisager le sort de sa résidence principale, à trois moments clés de la procédure collective: avant, pendant et après.

Mais reprenons d’abord les faits de l’espèce.

Dans cette affaire, par un acte notarié du 30 décembre 2010, Monsieur Y avait déclaré sa résidence principale insaisissable, avant d’être mis en liquidation judiciaire le 9 décembre 2011.

La banque, qui avait consenti au débiteur un prêt pour en faire l’acquisition, l’avait assigné aux fins de voir juger que, détenant une créance antérieure à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elle était en droit de poursuivre le recouvrement de cette créance seulement sur l’immeuble insaisissable et que la décision de justice à intervenir vaudrait titre exécutoire contre le débiteur, mais seulement aux fins de sûretés ou de voies d’exécution sur cet résidence principale ou tout bien subrogé.

La Cour d’Appel a rejeté les prétentions de la banque qui s’est pourvue en cassation et la Cour de Cassation a cassé et annulé l’arrêt en toutes ses dispositions.

En effet, avant toute chose la haute juridiction rappelle qu’il a été fourni dans les débats, à la fois la production du contrat de prêt en date du 24 novembre 2009, et à la fois la production de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble constituant la résidence principale de Monsieur Y laquelle déclaration est en date du 30 décembre 2010.

De telle sorte que les droits de la banque n’étaient pas nés postérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité à l’occasion de l’activité professionnelle de Monsieur Y, mais bien avant.

Ceci fait, il ressort également des circonstances de la cause que le mandataire liquidateur désigné avait informé la banque, par courrier du 9 avril 2014, que la liquidation judiciaire de Monsieur Y avait été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 29 janvier 2014.

L’article L. 643-11 du Code de Commerce rappelle, quant à lui, que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur ».

Cependant, ce texte prévoit diverses exceptions permettant aux créanciers de recouvrer le droit de poursuite individuelle qu’ils ne pouvaient cependant exercer sans avoir obtenu de titre exécutoire, que si leur créance avait été admise, ils pouvaient obtenir un titre exécutoire par le président du Tribunal de Commerce ou, s’ils en détenaient un de faire constater qu’ils remplissaient les conditions prévues par le texte et que si leur créance n’avait pas été vérifiée, ils devaient mettre en œuvre leur droit de poursuite dans les conditions de droit commun.

Le débiteur, quant à lui, considérait que la banque ne pouvait saisir la résidence principale car la créance est intégrée à la procédure collective et que le jugement de clôture pour insuffisance d’actif entrainait la purge du passif.

Ce qui eut payé ne paye plus…

Désormais, le créancier bénéficiant d’un droit sur un bien immobilier peut passer outre la déclaration d’insaisissabilité du bien pour le saisir.

La Cour de Cassation considère que le créancier dont la créance est née antérieurement à la publication d’une déclaration d’insaisissabilité d’un bien de son débiteur, ne peut se voir opposer cette déclaration d’insaisissabilité et a donc le droit de poursuivre individuellement la réalisation dudit bien, nonobstant l’éventuelle ouverture ultérieure d’une liquidation judiciaire à l’encontre du débiteur, et nonobstant sa clôture par la suite.

De telle sorte que la Cour d’Appel, qui a relevé l’antériorité de la créance de la banque à la publication de la déclaration d’insaisissabilité et a du reste expressément retenu l’inopposabilité consécutive de cette déclaration à la banque, mais qui a néanmoins retenu l’absence de droit de celle-ci de demander la réalisation du bien, a refusé de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L.526-1 du Code de Commerce.

La Cour de Cassation considère qu’en se déterminant de la sorte, la Cour d’Appel a entravé l’exercice, par un créancier antérieur à la publication de la déclaration d’insaisissabilité.

Elle estime qu’en retenant que l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité à la banque ne donnait pas à cette dernière le droit de saisir le bien si elle ne remplissait pas les conditions prévues par le régime légal de la liquidation judiciaire pour la poursuite de l’exécution forcée de sa créance, la Cour d’appel a violé l’article L643-11 du Code du commerce car lesdites conditions légales sont étrangères à la situation du créancier à qui la déclaration d’insaisissabilité n’est pas opposable.

La Cour de Cassation finit son raisonnement par un attendu de principe dans lequel elle précise qu’ il résulte des articles L. 526-1 du Code de Commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, et L. 111-2 du Code des Procédures Civiles d’Exécution que le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur cet immeuble, qu’il doit être en mesure d’exercer en obtenant, s’il n’en détient pas déjà un, un titre exécutoire par une action contre le débiteur tendant à voir constater l’existence de sa créance et son exigibilité.

Or, elle pose clairement la question du sens à donner au titre exécutoire.

Cette jurisprudence est intéressante car elle précise clairement que le créancier auquel la déclaration d’insaisissabilité est inopposable bénéficie, indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d’un droit de poursuite sur cet immeuble même lorsque le débiteur fait l’objet d’une liquidation judiciaire.

Mais surtout, cette jurisprudence précise que le créancier est en droit d’exercer un droit de poursuites par une action contre le débiteur cela signifie que si le créancier a déclaré sa créance au passif et que ce dernier n’a pas été vérifié ni déposé, celle-ci ne peut emporter droit à créance et qu’il lui appartient d’assigner en paiement afin de faire constater l’existence et le montant de l’exigibilité de la créance.


Car il est bien évident que la seule demande de reprise des poursuites devant le juge commissaire ne saurait suffire à emporter titre exécutoire,

Surtout, cela ne permettrait même pas au débiteur de contester la créance tant dans son montant que dans son principe, ce qui est d’autant plus regrettable quand on sait ô combien les créanciers, et plus particulièrement les banques, majorent leurs créanciers d’intérêts frais et pénalités diverses et variées,

Il apparait donc important dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire mais bien plus encore d’un redressement judiciaire de contester les créances pour envisager de remettre en question l’exigibilité et surtout le montant de la créance.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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Location-gérance, sort du salarié et liquidateur qui réalise les actifs

Exemple jurisprudentiel du transfert du droit du contrat de travail au profit du bailleur lorsque le locataire-gérant est en liquidation judiciaire et le contrat de location-gérance est résilié. Qu’en est il de la réalisation des actifs par le mandataire liquidateur ? Ce dernier engage t’il sa responsabilité ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en ce début d’année 2019 qui vient aborder la problématique spécifique du sort des salariés en présence d’un contrat de location-gérance, lorsque le locataire gérant fait l’objet d’une liquidation judiciaire et que le bailleur du fonds, au titre de la solidarité contractuelle, doit faire face aux salariés.

Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle met en exergue le comportement du mandataire liquidateur qui se retranche derrière la solidarité légale au profit du bailleur.

L’article L 1224-1 du Code du Travail dispose « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. »

La Cour de Cassation rappelle que la résiliation du contrat de location-gérance d’un fonds de commerce entraîne le retour du fonds à son propriétaire et le transfert des contrats de travail conclus précédemment avec le locataire, sauf à démontrer que le fonds était inexploitable ou en ruine au jour de cette résiliation.

Telle est la charge de la preuve qui peut peser sur les épaules du bailleur, qui se retrouve mis en difficulté, alors que le mandataire liquidateur en charge de la liquidation judiciaire du locataire gérant se refuse à licencier le salarié et le renvoie vers le bailleur,

Dans pareil cas, il n’est pas rare, devant la résistance naturelle du bailleur, de constater que le salarié engage une action prud’homale contre le bailleur, au contradictoire du mandataire liquidateur et de l’AGS.

Dans cette affaire, par contrat du 10 décembre 2009, Madame Z, bailleresse commerciale, a donné en location-gérance son fonds de commerce de café restaurant à la société PL.

Le 17 décembre 2009, cette société a engagé Madame B en qualité de plongeuse.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au bénéfice de la société PL le 14 décembre 2011, convertie en liquidation judiciaire le 25 avril 2012.

Le mandataire liquidateur a par lettre du 27 avril 2012, notifié à Madame Z, bailleresse, la résiliation du contrat de location gérance et l’a informée du transfert des contrats de travail.

Cette dernière a, par lettre du 1er mai 2012, notifié à Madame B son licenciement pour motif économique.

La salariée a finalement engagé une action en justice.

L’arrêt attaqué considérait que les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du Travail étaient inapplicables au bailleur lorsque les éléments corporels ou incorporels nécessaires à l’exploitation de son fonds ne lui étaient pas remis à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance.

Il convient de rappeler qu’en droit de l’entreprise en difficulté, le prononcé de la liquidation judiciaire du locataire gérant impose la réalisation de ses actifs par le mandataire liquidateur et exclut qu’ils soient remis au bailleur du fonds de commerce à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance.

Fort de ce droit de l’entreprise en difficulté, il paraissait assez logique au bailleur de venir opposer au mandataire liquidateur le fait qu’il avait procédé, dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire, à la vente aux enchères des meubles et équipements de la société PL qui exploitait ledit bail commercial.

Le bailleur considérait que ces meubles et équipements étaient indispensables à l’exploitation du fonds, auquel cas il était inexploitable pour avoir été vendus par le mandataire liquidateur, et que l’article L. 1224-1 du Code du Travail ne pouvait s’appliquer.

Ce point est important.

En effet, il importe de préciser qu’après avoir réalisé l’ensemble des actifs mobiliers du local, le mandataire a restitué les clés dudit fonds de commerce au bailleur six mois après la résiliation du contrat de location-gérance.

Dans cette décision, la Cour de Cassation a considéré que la résiliation d’un contrat de location-gérance entraînant le retour du fonds loué au bailleur, le contrat de travail qui lui est attaché se poursuit avec ce dernier.

Deux remarques s’imposent.

Le mandataire liquidateur a réalisé les actifs du fonds de commerce, meubles et équipements et il apparait évident pour le bailleur que l’exploitation du fonds de commerce était impossible sauf à investir des sommes importantes.

Le retard pris par le mandataire liquidateur pour rendre les clés pourrait impacter clairement la reprise d’activité et donc la reprise des salariés.

C’est donc par l’attitude désinvolte du mandataire liquidateur qui gère sa liquidation judiciaire sans se préoccuper des tenants et aboutissants du transfert de droit de la location-gérance au profit du bailleur que celui-ci se retrouve dans l’incapacité d’exploiter et peut considérer que le transfert n’est pas de droit.

L’attitude du mandataire liquidateur est d’autant plus affligeante que lorsque le bailleur récupère le salarié, il motive sa lettre de licenciement pour motif économique en date du 2  mai 2012 ainsi : « je suis dans le regret de vous informer que votre contrat de travail prend fin dès réception de cette lettre pour la raison suivante : liquidation judiciaire de la SARL PL, prononcée le 25 avril 2012 par le tribunal de grande instance ».

Pour autant la Cour de Cassation considère que le licenciement n’est pas motivé par des difficultés économiques objectivement justifiées est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Selon la Haute juridiction, le seul constat de la liquidation judiciaire de la SARL PL intervenue le 24 avril 2012, ne permet pas à lui seul de caractériser le motif économique justifiant le licenciement.

Et pourtant…,

Dans cette affaire l’attitude du mandataire liquidateur est critiquable car elle amène à tromper la religion du bailleur qui considère qu’il ne peut plus exploiter.

Il est bien évident que restituer les clés six mois après la liquidation judiciaire et avoir mis fin au contrat de location-gérance et profiter de ce laps de temps pour réaliser l’ensemble des actifs est à mon sens sujet à critique.

Si la Cour de Cassation considère que le bailleur est tenu de récupérer le salarié au titre de transfert de droit, cela n’exonère absolument pas le mandataire liquidateur de sa responsabilité personnelle et professionnelle pour avoir exposé le bailleur à une action prud’homale où il serait mis à défaut.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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Le sort de l’associé-caution d’une SCI en liquidation judiciaire

Un associé-caution d’une SCI en liquidation judiciaire est-il nécessairement qualifiée de caution avertie en raison de sa seule qualité d’associé de la société emprunteuse ? l’associé-caution peut-il opposer à la banque un manquement à son obligation de conseil et de mise en garde lorsque l’engagement de caution est disproportionné ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en novembre 2018 qui vient aborder la problématique du sort de l’associé-caution d’une S.C.I.

Dans cette affaire, le 4 mars 2009 Madame X associée d’une S.C.I s’est rendue caution du remboursement d’un emprunt d’un montant de 70 000 euros souscrit par cette dernière auprès d’une banque.

La S.C.I ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance auprés des organes de la procédure collective et a assigné en paiement Madame X en sa qualité d’associé-caution.

L’associé caution invoque la décharge de son engagement en raison de son caractère disproportionné et recherché la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde.

L’arrêt est intéressant sur ce point car il vient rappeler que l’associé-caution d’une S.C.I est parfaitement en droit de se défendre contre l’établissement bancaire et est parfaitement en mesure de lui opposer un certain nombre de griefs qui viennent caractériser sa responsabilité.

Tout laisse à penser, (car l’arrêt ne le précise pas), que la S.C.I était propriétaire d’un bien.

Il serait quand même intéressant de savoir dans quelles circonstances le bien aurait été vendu et de savoir si dans le cadre de la liquidation judiciaire, le gérant de la SCI, bien souvent associé et caution par ailleurs, a pris soin de contester les créances.

Il est toujours intéressant de savoir si dans le cadre de liquidation judiciaire l’actif a été vendu et dans quelles conditions.

La Cour de Cassation est venue casser l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Besançon qui avait été sévère à l’encontre du débiteur en exonérant la banque de toute responsabilité.

La Cour d’Appel avait condamné Madame X, en tant qu’associé-caution, à payer à la banque la somme de 66 162,25 euros, à titre principal, outre intérêts au taux contractuel de 7,65 % l’an à compter du 21 mars 2012, rejeté sa demande de dommages-intérêts dirigée contre cette dernière.

La Cour d’Appel a considéré qu’il appartenait à Madame X, associé-caution, de rapporter la preuve de la disproportion de son engagement de caution, le crédit litigieux ayant été souscrit en mars 2009,

Pour la Cour d’appel, Madame X se devait d’exposer sa situation financière et patrimoniale au jour de son engagement de caution et qu’à défaut, elle mettait la Cour d’Appel dans l’impossibilité d’apprécier le caractère disproportionné de son engagement de caution.

Pour autant Madame X, associé-caution, soutenait que son patrimoine n’avait pas évolué depuis la situation examinée par la cour d’appel dans son arrêt de 2014, son endettement antérieur s’étant seulement alourdi en raison du cautionnement litigieux.

L’associé-caution souligne le fait que consentir ce prêt alors que la situation de la société était déjà obérée et que le prêt proposé n’était pas forcément en adéquation avec la situation de la S.C.I qui avait déjà donné en garantie l’immeuble qu’elle possédait et qu’elle devait faire face au paiement de trois factures importantes ce que la banque n’ignorait pas.

La Cour souligne qu’au jour de l’octroi du prêt la S.C.I n’avait envers la banque qu’un seul engagement résultant d’un emprunt souscrit le 10 août 2007 pour un montant de 90 000 euros et garanti par une inscription hypothécaire.

Il s’évince d’un commandement de payer valant saisie en date du 6 avril 2012 que la première échéance impayée au titre de ce crédit remontait déjà au 6 mai 2011,

L’analyse des relevés du compte de la S.C.I produits aux débats révèlent qu’au jour de la souscription du crédit, le solde dudit compte n’était pas débiteur ;

Concernant les trois factures en litige, tout laissait à penser qu’elles n’étaient pas encore dues et qu’elles n’étaient même pas destinées à la société.

Pour autant Madame X, associé-caution, considère qu’elle est bien fondée à invoquer le bénéfice des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la Consommation aux termes duquel « un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation »

La Cour de Cassation considère que la disproportion de l’engagement de l’associé-caution s’apprécie en prenant en considération l’endettement global de la caution à la date de son engagement.

Que dès lors en se bornant à retenir, pour écarter le caractère manifestement disproportionné de l’engagement de caution de Madame X, associé-caution, et pour apprécier la situation financière et patrimoniale de cette dernière la Cour d’Appel de Besançon s’est placée dans son arrêt à la date de souscription des différents crédits, c’est-à-dire respectivement en 2006 et 2008 tandis que le crédit litigieux a été souscrit en mars 2009, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si effectivement la situation financière et patrimoniale n’avait pas évolué depuis 2006-2008, la Cour d’Appel n’avait pas tiré les conséquences légales des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la Consommation.

Enfin et surtout, il importe de préciser que Madame X, associé-caution, ajoutait que sa situation patrimoniale n’avait pas évolué par la suite et se trouvait donc identique lors du cautionnement litigieux.

Se posait la question de savoir si Madame X était associé-caution avertie ou non.

La Cour souligne que la caution avertie s’entend d’une personne qui a la compétence nécessaire, de par sa formation et l’expérience acquise, de par son activité passée, pour apprécier l’ampleur des engagements souscrits et en mesurer les risques ; que le seul statut d’associé de la société cautionnée ne suffit pas à établir la qualité de caution avertie.

Pour débouter Madame X, associé-caution, de sa demande tendant à voir condamnée la banque à lui verser des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de mise en garde, la cour d’appel a retenue qu’en sa qualité d’associé de la S.C.I elle ne pouvait sérieusement soutenir avoir méconnu la situation exacte de la société ou s’être engagée en qualité de caution profane,

La Haute juridiction sanctionne cette décision et considère que la Cour d’Appel s’est prononcée par des motifs insuffisants à caractériser la qualité de caution avertie de Madame X.

La décision est heureuse.

Cet arrêt est intéressant car il vient rappeler que l’associé-caution d’une S.C.I peut opposer à la banque un manquement à son obligation de conseil et de mise en garde,

Plus précisément, la haute juridiction précise qu’il y a matière à vérifier si l’engagement de l’associé-caution est ou non disproportionné par rapport à sa situation financière et patrimoniale au moment de la signature de l’engagement.

Il considère qu’un associé-caution ne peut être qualifiée d’avertie en raison de sa seule qualité d’associé de la société emprunteuse.

Cette jurisprudence est heureuse,

En premier lieu, elle met fin à l’amalgame trop fréquemment constaté devant les juridictions de fond entre gérant-caution et associé-caution quant à la caractérisation du critère juridique de caution avertie.

En deuxième lieu, elle rappelle à l’associé-caution qu’il dispose bien de nombreux moyens juridiques et judiciaires de se défendre contre la banque lorsque la SCI est en liquidation judiciaire.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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Action en report de la date de cessation des paiements

Comment combattre une action en report de la date de cessation des paiements ? surtout lorsque celle-ci annonce finalement une action en responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif. Entre vérification rigoureuse des créances, surtout lorsque le passif n’est ni vérifié ni déposé ni définitif, et analyse de la comptabilité. Analyse des différentes techniques.

Article :

Il convient de s’intéresser un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Amiens en décembre 2018 qui vient aborder la problématique spécifique de report de la date de cessation des paiements qui permet bien souvent au mandataire liquidateur, ensuite, d’exposer la responsabilité du dirigeant.

Par jugement du Tribunal de commerce d’Amiens en date du 21 juillet 2016 une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de la société F, et la date de cessation des paiements a été fixée au 30 mai 2016 pour dettes impayées à cette date.

Pour autant, par exploit d’huissier en date du 19 juillet 2017, La SELAS B désignée liquidateur judiciaire de la société a saisi le Tribunal de commerce aux fins de voir reporter la date de cessation des paiements à la date du 1er septembre 2015 soit quasiment plus d’un an avant l’ouverture de la procédure collective.

Néanmoins, la stratégie du mandataire liquidateur n’a pas été payante.

Par jugement du Tribunal de Commerce d’Amiens en date du 5 décembre 2017, la date de cessation des paiements a été reportée au 1er avril 2016, ce qui est extrêmement raisonnable,

Le Tribunal retenant essentiellement que la société n’était débitrice envers l’URSSAF Midi Pyrénées que d’une somme de 1 481,67 euros au quatrième trimestre 2015 et d’une somme de 11 466 euros au 1er trimestre 2016 pour s’élever au 28 février 2017 à plus de 42 000 euros alors que la créance de l’URSSAF de Picardie s’élevait en avril 2016 à la somme de 82 319 euros sur un total produit de 213 322 euros au regard d’un chiffre d’affaires de 1 900 000 euros.

C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur a interjeté appel de la décision en ce qu’il n’a pas été fait droit à sa demande de report de la date de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

Le mandataire liquidateur exposait que l’actif de la procédure était presque totalement inexistant et que la société avait laissé de longue date s’accumuler de nombreux impayés.

Le mandataire liquidateur faisait ainsi valoir que la Direction Générale des Finances publiques avait déclaré une créance de 3 991,50 euros au titre d’impayés du 27 mai 2015 et l’URSSAF de Toulouse une créance d’un montant de 42 049,67 euros dont 1 481,67 euros au 4ème trimestre 2015 et 11 466 euros au 1er trimestre 2016 et l’URSSAF d’Amiens une créance d’un montant de 213 322 euros dont des cotisations impayées à partir de septembre 2015.

Il faisait également fait observer que la date d’exigibilité des créances restées impayées était bien antérieure à la déclaration de cessation des paiements et de la date retenue par le Tribunal de Commerce,

De telle sorte qu’en première instance le tribunal ne pouvait se fonder sur la réalisation d’un chiffre d’affaires conséquent qui n’était pas un élément d’appréciation de la liquidité de l’entreprise, comme la réalisation d’un bénéfice n’était pas de nature à permettre la contestation d’un état de cessation des paiements.

Le gérant de l’entreprise pressent que derrière cette action en report de la date de cessation des paiements se cache une action en responsabilité dans laquelle celui-ci se retrouverait poursuivi pour insuffisances d’actifs et devrait supporter le passif de la liquidation judiciaire de la société.

Il a donc pris soin de réclamer un grand nombre de documents au mandataire car ce dernier avait cru bon fonder son action sur la seule base d’une liste du créancier sans fournir pour autant les décomptes des créances en tant que telles.

Avant dire droit la société F entendait solliciter les documents suivants :

  • Les réponses à contestation des deux créances de l’URSSAF d’Amiens
  • Le justificatif du dépôt de requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié
  • Le justificatif du dépôt de l’état des créances privilégiées
  • Le justificatif de la date d’audience des créances contestées de l’URSSAF devant le juge commissaire

Sur le fond, le dirigeant de la société F expose que le passif important de la société est constitué essentiellement de factures EDF qui sont des créances récentes et que les créances de l’URSSAF ne sont exigibles qu’en fin de trimestre et qu’elles sont au demeurant contestées et n’ont toujours pas été admises.

Il fait observer que s’il est argué d’un passif important, il n’est pas justifié du dépôt d’une requête aux fins de dépôt du seul passif privilégié et que les seules créances invoquées pour la période en litige sont des créances de faible importance qui ne sauraient justifier une cessation des paiements.

Et encore moins une action en report de la date de cessation des paiements.

Il soutient encore que le report de la date de cessation des paiements ne peut être justifié sur la seule base de créances équivalentes à 1% du chiffre d’affaires de l’entreprise qui était au 31 décembre 2015 de 1 900 000 euros.

Il est à noter par ailleurs que le Ministère Public avait été sollicité dans le cadre de cet appel et qu’il avait déclaré s’en rapporter à la justice.

C’est dire le pressenti de ce dernier qui ne voyait pas dans cette affaire une raison valable d’envisager une action en report de la date de cessation des paiements pour finalement envisager ensuite une action en responsabilité contre le dirigeant.

La Cour ne s’y trompe pas,

Elle rappelle que l’état de cessation des paiements est l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.

Elle rappelle par ailleurs la charge de la preuve de cet état de cessation des paiements repose sur l’organe de la procédure qui entend voir reporter la date de cessation des paiements.

Ainsi les demandes formées par le dirigeant relatives à la communication par le liquidateur d’éléments relatifs à la contestation des créances de l’URSSAF s’avèrent inutiles dans la discussion relative au report de la date de l’état de cessation des paiements dont la preuve incombe au mandataire qui doit établir notamment la réalité du passif exigible.

En l’espèce, les pièces versées aux débats par le liquidateur ne permettent aucunement de caractériser un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015 dès lors qu’à cette date il n’est justifié que d’une créance de la Direction générale des finances publiques d’un montant de 3 991,35 euros.

En effet les dettes des deux URSSAF ne concernent que des cotisations dues au plus tôt au titre du quatrième trimestre 2015 ou des cotisations dues au titre du mois de septembre 2015 pour la somme de 2 360 euros et dont l’exigibilité n’est pas établie faute pour le liquidateur de produire des contraintes ou de justifier de leur admission par le juge commissaire.

La Cour d’Appel fait observer que les éléments figurant au bilan de l’année 2015 ne présentent qu’une image de la situation de l’entreprise au 31 décembre 2015 et ne suffisent pas à avérer un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

De surcroît au regard du niveau d’activité de la société dont le chiffre d’affaires net s’est élevé en 2015 à 1 794 469 euros et l’actif circulant au titre des créances et disponibilités s’est élevé à la somme de 97 505 euros, la faible différence entre la seule dette fiscale et les disponibilités de la société s’élevant à la somme de 1 205 euros ne caractérise pas suffisamment un état de cessation des paiements au 1er septembre 2015.

La Cour d’Appel considère alors qu’il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a reporté la date de cessation des paiements au 1er avril 2016 alors même qu’à cette date le passif de la société s’élevait à plus de 100 000 euros alors que l’actif disponible était presque inexistant.

Cette décision est extrêmement intéressante car elle met clairement en lumière le fait que le mandataire judiciaire a envisagé cette action en report de la date de cessation des paiements téméraire avait finalement comme vrai seul but d’engager par la suite la responsabilité du dirigeant pour que celui-ci fasse face à l’insuffisances d’actifs de ladite société.

En tout état de cause, il appartient au dirigeant de se défendre, d’appréhender à sa juste mesure les risques inhérents à une telle action et de la combattre au travers d’une analyse précise et rigoureuse de l’ensemble des créances déclarées au passif et de l’ensemble des décomptes au sein même desdites créances.

Par ailleurs, le dirigeant a été débouté de sa demande de communication de pièces mais cela a quand même attiré l’attention de la Cour d’Appel sur les problématiques liées à une absence totale de justificatif créances par créances d’une cessation des paiements antérieures au 1er avril 2016.

Cela montre bien que la rigueur de la défense et les contestations qui vont de pair sont d’importance et visent à empêcher un report dangereux de la date de cessation des paiements et de limiter les risques d’une action en responsabilité contre le dirigeant.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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Faillite personnelle et interdiction de gérer du chef d’entreprise

Analyse d’une jurisprudence exposant le chef d’entreprise à une mesure de faillite personnelle au motif pris d’une absence de tenue de comptabilité, d’un retard dans la déclaration de cessation des paiements et finalement au motif pris d’un passif trop important. Quels sont les moyens de défense pour éviter une mesure de faillite personnelle ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en ce mois d’octobre 2018 qui vient aborder la problématique particulière de la faillite personnelle et interdiction de gérer du chef d’entreprise pour lequel le mandataire judiciaire, comme à son accoutumée ne manque pas de lui reprocher un certain nombre de fautes.

Dans cette affaire, Monsieur C avait exercé en nom propre une activité de gardiennage depuis le 16 avril 2003.

Par jugement en date du 8 juin 2015, le Tribunal de Commerce avait ouvert à son encontre une procédure de redressement judiciaire qui avait été convertie, le 8 juin 2015, en liquidation judiciaire.

Maître D avait établi un rapport dans lequel il indiquait que Monsieur C se serait abstenu de tenir une comptabilité, fait matérialisé par la déclaration de créances de l’URSSAF correspondant à la mise en œuvre de procédures de taxation d’office d’avril à mai 2015,

Le mandataire lui reprochait également de s’être abstenu de faire une déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45 jours, l’état de cessation des paiements datant du 8 décembre 2013 avec passif déclaré s’élevant au 6 mai 2016 à la somme de 2 214 800 euros,

C’est dans ces circonstances que le mandataire liquidateur soulignait, selon lui, la totale incurie, l’absence de sens de responsabilité et l’incapacité à gérer de Monsieur C.

Au vu de ces éléments, le Procureur de la République a cité à comparaître Monsieur C devant le Tribunal de Commerce afin de répondre des conséquences de l’absence de tenue de comptabilité ou tenue d’une comptabilité fictive ou incomplète, de la disparition des documents comptables et de l’abstention de déclaration de son état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.

Le Procureur de la République sollicitait dans le cadre de son action en sanction de voir infligé au chef d’entreprise une mesure de faillite personnelle ou, à défaut, d’une mesure d’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pendant dix ans.

Avant toute chose, il est loisible de souligner et de critiquer le fait suivant lequel le rapport du Procureur de la République est souvent identique, au mot pros à celui établi par le mandataire liquidateur.

C’est dans ces circonstances, que par jugement en date du 27 novembre 2017, le Tribunal de Commerce a :

Pour statuer de la sorte, le Tribunal de Commerce s’était fondé sur le montant du passif déclaré entre les mains du mandataire judiciaire, soit 2 214 800,41 euros, sur le défaut de tenue de comptabilité, y compris depuis le début de l’ouverture de la procédure collective, sur l’abstention de déclaration de l’état de cessation des paiements dans les 45 jours, ce qui caractérisait, pour la juridiction saisie, l’incurie et l’absence du sens des responsabilités du chef d’entreprise incapable de gérer sainement une entreprise.

C’est dans ces circonstances que Monsieur C a interjeté appel de la décision en litige et a réclamé la réformation du jugement en son entier.

Il entendait contester le prononcé de la faillite personnelle,

Selon lui, la faillite personnelle n’était pas caractérisée,

Monsieur C soutenait qu’il avait transmis aux organes de la procédure collective les éléments comptables relatifs aux années 2012, 2013 et 2014,

Or, le redressement judiciaire datant du 8 juin 2015, il est bien évident que la procédure collective intervenant en plein milieu de l’année civile il y aurait forcément un vide comptable à ce sujet.

Par voie de conséquence, il ne pouvait y avoir de faillite personnelle à cet égard,

Par ailleurs, en l’état des éléments comptables présentés, Monsieur C exposait que c’était l’aggravation de la masse salariale et des charges sociales qui étaient à l’origine de ses difficultés.

Celles-ci résultant des éléments comptables 2014 et 2015, il s’en suivait que l’ensemble de la comptabilité avait bien été communiquée, ce qui s’évinçait d’ailleurs d’un courrier du mandataire judiciaire en date 21 décembre 2016 dans lequel ce dernier reconnaissait avoir été destinataire des éléments comptables.

Monsieur C précisait que le passif était essentiellement composé de créances fiscales, outre un contrôle URSSAF pour 799 901 euros, créances qu’il contestait mais qu’il avait de toute façon souhaiter contester dans le cadre de la procédure collective dans le cadre de la vérification de créances.

Ainsi, l’appelant faisait valoir que la comptabilité a été tenue et que 90% de son passif était dans les délais de la date de cessation des paiements.

De telle sorte que là encore, les critères de la faillite personnelle n’étaient pas remplis.

En outre, Monsieur C indiquait que l’expert-comptable initial, ayant rencontré des impayés, avait cru bon de mettre un terme à sa mission au premier semestre 2015 et refusé d’établir le bilan 2014 et la situation du 1er trimestre 2015.

Un des arguments important soulevé par Monsieur C dans le cadre de la contestation de la sanction de faillite personnelle était plutôt d’ordre économique.

Il rappelait en effet que pendant plus de 12 ans il avait exercé son activité en tenant parfaitement sa comptabilité, en payant ses salariés, les caisses sociales et les organismes fiscaux ou sociaux sur la base de bilans bénéficiaires et démontrant qu’il n’était pas en état de cessation des paiements depuis 45 jours.

Nous sommes bien loin des critères de la faillite personnelle….

Sur le terrain purement personnel, Monsieur C affirmait ne s’être pas enrichi mais sacrifié et même appauvri en tentant de sauver l’entreprise.

Enfin, il soulignait que si le passif était important, il résultait essentiellement d’une importante créance de l’URSSAF qui correspondait à une taxation d’office qui avait vocation à être régularisée dès lors que la comptabilité aurait été reconstituée.

De telle sorte que si le passif déclaré était effectivement important il était essentiellement « virtuel ».

La Cour d’Appel va répondre sur la base de plusieurs arguments précis avant de réformer la décision de faillite personnelle.

Tout d’abord la Cour d’appel s’intéresse à la demande de remise de documents au mandataire liquidateur,

Puis elle s’intéresse aux fautes reprochées à Monsieur C en dissociant les fautes de gestion relative à l’absence d’une tenue de comptabilité régulière et complète et la faute de gestion relative à la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements.

In fine elle vient aborder la question de l’appréciation de la sanction de faillite personnelle autour de trois axes :

1 – Sur la demande tendant à la remise des documents par le mandataire judiciaire

Il importe de préciser que Monsieur C avait sollicité la remise des relevés bancaires des années 2014 et 2015 et des éléments comptables afin de permettre à un expert-comptable de reconstituer la comptabilité manquante notamment en 2015.

Pour autant la Cour d’Appel considère qu’en application des articles 132 et suivants du code de procédure civile, que la faculté de demander au juge d’enjoindre à la partie adverse de communiquer une pièce qu’elle détient est une faculté ouverte aux justiciables n’a pas pour but de substituer le juge aux parties dans la charge de la preuve.

La Cour considère qu’ il n’appartient pas au mandataire judiciaire de tenir la comptabilité du débiteur de sorte que, soit celui-ci a tenu une comptabilité, et qu’il a été en mesure de la transmettre aux organes de la procédure collective pour l’accomplissement de leur mission de telle sorte que le chef d’entreprise dispose en conséquence, lui-même ou son expert-comptable, de la faculté de produire directement lesdites pièces,

Soit, la Cour considère que le chef d’entreprise est défaillant dans la communication des documents comptables au mandataire judiciaire et celui-ci ne disposant d’autres pièces que celles transmises par le débiteur ou, à la demande de ce dernier, par son expert-comptable, n’est pas en mesure de communiquer des pièces que par définition il ne peut détenir.

En conséquence, la Cour rejette la demande de sursis à statuer formée par Monsieur C.

De prime abord, la Cour d’appel n’a pas compris la problématique posée par la remise des documents comptables.

En effet, il importe de préciser que lorsque la procédure collective est ouverte et que le débiteur se retrouve en liquidation judiciaire, il doit communiquer les éléments comptables au mandataire judiciaire de telle sorte qu’il se démunit de l’ensemble des originaux qu’il a en sa possession.

Par la suite, la banque refuse remettre les relevés bancaires au débiteur pour la simple et bonne raison que les comptes sont clôturés et que seul le mandataire liquidateur a vocation à représenter la société.

Dans l’hypothèse où le mandataire liquidateur se refuse de communiquer les pièces, le débiteur ne peut reconstituer la comptabilité.

Et s’expose alors à un risque de sanction de faillite personnelle, ce qui est un comble.

2 – Sur les fautes reprochées à Monsieur C

Il convient tout d’abord de s’intéresser à la faute de gestion relative à l’absence de tenue d’une comptabilité régulière et complète.

Il résulte de l’article L.653-5 du Code de Commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant s’il a fait disparaître des documents comptables, s’il n’a pas tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou s’il a tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

Si la Cour d’Appel souligne que le débiteur n’a pas remis sa comptabilité à l’ouverture de la procédure collective, il n’en demeure pas moins qu’elle reconnait que c’est dans le cadre de la vérification des créances déclarées que Monsieur C avait remis des éléments de comptabilité présentant un caractère parcellaire.

Bien plus, Monsieur C a tout fait pour procéder à la reconstitution de sa comptabilité, et ce, malgré la réticence du mandataire liquidateur a lui adresser copie des documents comptables et bancaires remis.

La Cour considère qu’en ne remettant aucun document comptable, Monsieur C est réputé ne pas avoir tenu de comptabilité, cette présomption étant d’ailleurs corroborée par les déclarations de l’intéressé par lesquelles il fait état de la décision de son expert-comptable de ne pas tenir sa comptabilité en raison du non-paiement de ses honoraires.

Pourtant la Cour souligne, et cela est spécieux, qu’il est constant que le fait pour un dirigeant de ne pas rémunérer l’expert- comptable auquel il confie la tenue de sa comptabilité ne saurait être une cause exonératoire de responsabilité pour ledit dirigeant en cas de cessation de sa mission par l’expert-comptable et qu’une telle attitude du dirigeant met au contraire l’accent sur son incurie et son incapacité à gérer de manière diligente son entreprise.

Elle souligne également que des déclarations de créances de l’URSSAF PACA ayant fait l’objet de taxations d’office d’avril 2014 à mai 2015, viennent caractériser le fait que les bordereaux afférents à l’organisme social ne lui ont pas été adressés et, en conséquence, n’ont pas été pris en comptabilité.

Cette approche peut là encore faire l’objet d’une analyse différente puisqu’il est bien évident que dans la mesure où le débiteur est en cessation de paiement ou en difficultés financières, il est assujetti au bon vouloir de l’expert-comptable qui peut, en cas d’impayés, refuser de poursuivre ses diligences et acculer encore plus le dirigeant.

Cela justifie t’il pour autant une sanction de faillite personnelle ?

Je ne le crois pas.

Concernant la faute de gestion relative à la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements, la cour rappelle les dispositions de l’article L.631-4 du Code de Commerce :

« l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »

L’article L.653-8 alinéa 2 du même code dispose également que l’interdiction de gérer peut-être infligée au dirigeant :

« qui aura omis de faire, dans le délai de quarante-cinq jours, la déclaration de cessation des paiements, sans avoir par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »

La procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation de l’URSSAF PACA en date du 26 novembre 2014 et par jugement d’ouverture de la procédure collective, la date de cessation des paiements a été fixée au 8 juin 2015.

Or le mandataire judiciaire n’avait pas manqué d’envisager une action en report de la date de cessation de paiement et le Tribunal de Commerce avait fait remonter la date de l’état de cessation des paiements au 8 décembre 2013.

Pour la Cour d’Appel, le jugement étant définitif le dirigeant s’était volontairement abstenu de déclarer dans le délai de 45 jours son état de cessation des paiements.

Ce point est important car lorsque le dirigeant est destinataire d’une demande en report de la date de cessation des paiements, ce dernier risque fort de voir sa responsabilité engagée tantôt en sanction sur la base d’une demande de faillite personnelle ou interdiction de gérer tantôt au titre d’une insuffisance d’actifs.

Dès lors, à ce seul stade, il est impératif que le chef d’entreprise se défende,

3 – Sur la sanction

La Cour d’Appel rappelle les dispositions de l’article L.653-5 du Code de Commerce qui prévoit à l’encontre du dirigeant qui s’est abstenu de tenir une comptabilité complète et régulière, une mesure de faillite personnelle et celles de L.653-8 du même Code qui prévoit que :

« dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. ”

Or, la Cour considère que si l’incurie manifestée par Monsieur C dans la gestion de son entreprise est constante mais qu’il convient d’observer qu’il ne s’est pas opposé à la liquidation judiciaire de son entreprise moyennant quoi, la Cour infirme la sanction prononcée de faillite personnelle pour 10 ans des premiers juges et sanctionne finalement Monsieur C d’une « simple mesure d’interdiction de gérer pour une durée de cinq ans.

La décision est dont extrêmement satisfaisante sur ce point car elle vient réduire sérieusement le champ de la sanction du dirigeant.

Surtout elle ne retient plus la sanction de faillite personnelle.

Cette jurisprudence est intéressante.

Elle rappelle que pour limiter sa responsabilité, et éviter une action en sanction aux fins de faillite personnelle en établissant sa comptabilité, en contestant les créances et en réagissant contre le mandataire liquidateur des lors que ce dernier envisage ne serait-ce qu’une action en report de la date de cessation des paiements.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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Reddition des comptes et responsabilité pour insuffisance d’actif

Un mandataire liquidateur peut-il engager une action en reddition des comptes contre le gérant d’une entreprise en liquidation judiciaire alors que le délai de 3 ans pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif est dépassé ?

Article :

Il convient de s’interresser à un arrêt rendu en novembre dernier qui vient aborder la question spécifique du choix du mandataire judiciaire entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en reddition des comptes telle que prévue par l’article 1993 du Code Civil.

Dans cette affaire la société A avait été placée en liquidation judiciaire le 11 juin 2009 et Maître X avait été désigné en qualité de liquidateur.

Ce dernier a, le 28 septembre 2012, (soit postérieurement au 3 ans requis pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif) et sur le fondement de l’obligation de reddition des comptes du mandataire social, assigné son gérant, Monsieur Y en paiement de la somme de 14 200 euros,

Dite somme pour lequel le mandataire liquidateur précisait que le gérant reconnaissait lui même avoir détourné au préjudice de la société.

La question qui se posait était de savoir si le mandataire judiciaire pouvait engager une action passé le délai de 3 ans en reddition des comptes alors qu’il ne pouvait plus faire une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Il convient de rappeler lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître, comme en l’espèce, une insuffisance d’actif, les dispositions de l’article L. 651-2 du Code de Commerce prévoient que :

« le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. »

Dans cette affaire la liquidation judiciaire avait été prononcée le 11 juin 2009 de telle sorte que l’action en comblement de passif était prescrite à partir du 12 juin 2012.

L’action en cause était lancée le 28 septembre 2012,

Dès lors la problématique de la faute de gestion interressait le gérant qui entendait considérer que cette nouvelle action en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil, était prescrite.

En effet, le gérant considérait que le mandataire judiciaire détournait l’action en reddition des comptes pour pouvoir rendre possible une action qui ne visait qu’à venir combler l’insuffisance d’actif de la procédure collective au titre de fautes de gestion.

Pour autant la Cour de Cassation fait la part des choses,

Elle considère que l’action en reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code Civil n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de Commerce de telle sorte que le mandataire judiciaire est parfaitement fondé à engager une action à cette fin.

La Cour considère que le mandataire liquidateur, sans faire référence à une insuffisance d’actif, ne réclamait que le remboursement d’une somme payée par un client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains de telle sorte qu’il y avait bel et bien un axe de responsabilité, en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil.

Cette jurisprudence est interressante puisqu’elle met en exergue le fait que le mandataire judiciaire peut cumuler les actions,

D’une part, l’action en responsabilité contre le gérant pour insuffisance d’actif au titre des fautes de gestion antérieures à l’ouverture de la procédure collective,

D’autre part, l’action en reddition des comptes au titre de fautes de gestion postérieures à l’ouverture de la procédure collective,

Il appartient donc au chef d’entreprise de s’organiser pour défendre ses intérets et être attentif à ses actes de gestion tant antérieurs que postérieurs à l’ouverture pour ne pas engager sa responsabilité personnelle tout au long des deux périodes en question.

Fort heureusement d’ailleurs, meme dans le cadre d’une action en reddition des comptes, les moyens de défense du gérant sont nombreux,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

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