Analyse d’une jurisprudence exposant le chef
d’entreprise à une mesure de faillite personnelle au motif pris d’une absence
de tenue de comptabilité, d’un retard dans la déclaration de cessation des
paiements et finalement au motif pris d’un passif trop important. Quels sont
les moyens de défense pour éviter une mesure de faillite personnelle ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par
la Cour d’Appel d’Aix en Provence en ce mois d’octobre 2018 qui vient aborder
la problématique particulière de la faillite
personnelle et interdiction de gérer du chef d’entreprise pour lequel le
mandataire judiciaire, comme à son accoutumée ne manque pas de lui reprocher un
certain nombre de fautes.
Dans cette affaire, Monsieur C avait exercé en
nom propre une activité de gardiennage depuis le 16 avril 2003.
Par jugement en date du 8 juin 2015, le Tribunal
de Commerce avait ouvert à son encontre une procédure de redressement
judiciaire qui avait été convertie, le 8 juin 2015, en liquidation judiciaire.
Maître D avait établi un rapport dans lequel il
indiquait que Monsieur C se serait abstenu de tenir une comptabilité, fait
matérialisé par la déclaration de créances de l’URSSAF correspondant à la mise
en œuvre de procédures de taxation d’office d’avril à mai 2015,
Le mandataire lui reprochait également de s’être
abstenu de faire une déclaration de cessation des paiements dans le délai de 45
jours, l’état de cessation des paiements datant du 8 décembre 2013 avec passif déclaré
s’élevant au 6 mai 2016 à la somme de 2 214 800 euros,
C’est dans ces circonstances que le mandataire
liquidateur soulignait, selon lui, la totale incurie, l’absence de sens de
responsabilité et l’incapacité à gérer de Monsieur C.
Au vu de ces éléments, le Procureur de la
République a cité à comparaître Monsieur C devant le Tribunal de Commerce afin
de répondre des conséquences de l’absence de tenue de comptabilité ou tenue
d’une comptabilité fictive ou incomplète, de la disparition des documents
comptables et de l’abstention de déclaration de son état de cessation des
paiements dans le délai de 45 jours.
Le Procureur de la République sollicitait dans
le cadre de son action en sanction de voir infligé au chef d’entreprise une
mesure de faillite personnelle ou, à défaut, d’une mesure d’interdiction de
diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute
entreprise commerciale ou artisanale et toute personne morale pendant dix ans.
Avant toute chose, il est loisible de souligner
et de critiquer le fait suivant lequel le rapport du Procureur de la République
est souvent identique, au mot pros à celui établi par le mandataire
liquidateur.
C’est dans ces circonstances, que par jugement
en date du 27 novembre 2017, le Tribunal de Commerce a :
Pour statuer de la sorte, le Tribunal de
Commerce s’était fondé sur le montant du passif déclaré entre les mains du
mandataire judiciaire, soit 2 214 800,41 euros, sur le défaut de tenue de
comptabilité, y compris depuis le début de l’ouverture de la procédure collective,
sur l’abstention de déclaration de l’état de cessation des paiements dans les 45
jours, ce qui caractérisait, pour la juridiction saisie, l’incurie et l’absence
du sens des responsabilités du chef d’entreprise incapable de gérer sainement
une entreprise.
C’est dans ces circonstances que Monsieur C a
interjeté appel de la décision en litige et a réclamé la réformation du jugement
en son entier.
Il entendait contester le prononcé de la faillite personnelle,
Selon lui, la faillite personnelle n’était pas caractérisée,
Monsieur
C soutenait qu’il avait transmis aux organes de la procédure collective les éléments
comptables relatifs aux années 2012, 2013 et 2014,
Or, le
redressement judiciaire datant du 8 juin 2015, il est bien évident que la
procédure collective intervenant en plein milieu de l’année civile il y aurait
forcément un vide comptable à ce sujet.
Par
voie de conséquence, il ne pouvait y avoir de faillite personnelle à cet égard,
Par
ailleurs, en l’état des éléments comptables présentés, Monsieur C exposait que
c’était l’aggravation de la masse salariale et des charges sociales qui étaient
à l’origine de ses difficultés.
Celles-ci
résultant des éléments comptables 2014 et 2015, il s’en suivait que l’ensemble
de la comptabilité avait bien été communiquée, ce qui s’évinçait d’ailleurs
d’un courrier du mandataire judiciaire en date 21 décembre 2016 dans lequel ce
dernier reconnaissait avoir été destinataire des éléments comptables.
Monsieur C précisait que le passif était
essentiellement composé de créances fiscales, outre un contrôle URSSAF pour 799
901 euros, créances qu’il contestait mais qu’il avait de toute façon souhaiter
contester dans le cadre de la procédure collective dans le cadre de la
vérification de créances.
Ainsi,
l’appelant faisait valoir que la comptabilité a été tenue et que 90% de son
passif était dans les délais de la date de cessation des paiements.
De
telle sorte que là encore, les critères de la faillite personnelle n’étaient pas remplis.
En
outre, Monsieur C indiquait que l’expert-comptable initial, ayant rencontré des
impayés, avait cru bon de mettre un terme à sa mission au premier semestre 2015
et refusé d’établir le bilan 2014 et la situation du 1er trimestre
2015.
Un des
arguments important soulevé par Monsieur C dans le cadre de la contestation de
la sanction de faillite personnelle
était plutôt d’ordre économique.
Il
rappelait en effet que pendant plus de 12 ans il avait exercé son activité en
tenant parfaitement sa comptabilité, en payant ses salariés, les caisses
sociales et les organismes fiscaux ou sociaux sur la base de bilans
bénéficiaires et démontrant qu’il n’était pas en état de cessation des
paiements depuis 45 jours.
Nous
sommes bien loin des critères de la faillite
personnelle….
Sur le
terrain purement personnel, Monsieur C affirmait ne s’être pas enrichi mais
sacrifié et même appauvri en tentant de sauver l’entreprise.
Enfin,
il soulignait que si le passif était important, il résultait essentiellement
d’une importante créance de l’URSSAF qui correspondait à une taxation d’office
qui avait vocation à être régularisée dès lors que la comptabilité aurait été
reconstituée.
De
telle sorte que si le passif déclaré était effectivement important il était
essentiellement « virtuel ».
La Cour
d’Appel va répondre sur la base de plusieurs arguments précis avant de réformer
la décision de faillite personnelle.
Tout
d’abord la Cour d’appel s’intéresse à la demande de remise de documents au
mandataire liquidateur,
Puis elle
s’intéresse aux fautes reprochées à Monsieur C en dissociant les fautes de
gestion relative à l’absence d’une tenue de comptabilité régulière et complète
et la faute de gestion relative à la
déclaration tardive de l’état de cessation des paiements.
In fine
elle vient aborder la question de l’appréciation de la sanction de faillite personnelle autour de trois
axes :
1 – Sur
la demande tendant à la remise des documents par le mandataire judiciaire
Il
importe de préciser que Monsieur C avait sollicité la remise des relevés
bancaires des années 2014 et 2015 et des éléments comptables afin de permettre
à un expert-comptable de reconstituer la comptabilité manquante notamment en
2015.
Pour
autant la Cour d’Appel considère qu’en application des articles 132 et suivants
du code de procédure civile, que la faculté de demander au juge d’enjoindre à
la partie adverse de communiquer une pièce qu’elle détient est une faculté
ouverte aux justiciables n’a pas pour but de substituer le juge aux parties
dans la charge de la preuve.
La Cour
considère qu’ il n’appartient pas au mandataire judiciaire de tenir la
comptabilité du débiteur de sorte que, soit celui-ci a tenu une comptabilité, et
qu’il a été en mesure de la transmettre aux organes de la procédure collective
pour l’accomplissement de leur mission de telle sorte que le chef d’entreprise dispose
en conséquence, lui-même ou son expert-comptable, de la faculté de produire
directement lesdites pièces,
Soit,
la Cour considère que le chef d’entreprise est défaillant dans la communication
des documents comptables au mandataire judiciaire et celui-ci ne disposant
d’autres pièces que celles transmises par le débiteur ou, à la demande de ce
dernier, par son expert-comptable, n’est pas en mesure de communiquer des
pièces que par définition il ne peut détenir.
En
conséquence, la Cour rejette la demande de sursis à statuer formée par Monsieur
C.
De
prime abord, la Cour d’appel n’a pas compris la problématique posée par la
remise des documents comptables.
En
effet, il importe de préciser que lorsque la procédure collective est ouverte
et que le débiteur se retrouve en liquidation judiciaire, il doit communiquer
les éléments comptables au mandataire judiciaire de telle sorte qu’il se
démunit de l’ensemble des originaux qu’il a en sa possession.
Par la
suite, la banque refuse remettre les relevés bancaires au débiteur pour la
simple et bonne raison que les comptes sont clôturés et que seul le mandataire
liquidateur a vocation à représenter la société.
Dans
l’hypothèse où le mandataire liquidateur se refuse de communiquer les pièces,
le débiteur ne peut reconstituer la comptabilité.
Et
s’expose alors à un risque de sanction de faillite
personnelle, ce qui est un comble.
2 – Sur les fautes reprochées à
Monsieur C
Il convient tout d’abord de s’intéresser à la faute
de gestion relative à l’absence de tenue d’une comptabilité régulière et
complète.
Il
résulte de l’article L.653-5 du Code de Commerce que le tribunal peut prononcer
la faillite personnelle du dirigeant
s’il a fait disparaître des documents comptables, s’il n’a pas tenu de
comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou s’il a tenu
une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des
dispositions applicables.
Si la Cour d’Appel souligne que le débiteur n’a
pas remis sa comptabilité à l’ouverture de la procédure collective, il n’en
demeure pas moins qu’elle reconnait que c’est dans le cadre de la vérification
des créances déclarées que Monsieur C avait remis des éléments de comptabilité
présentant un caractère parcellaire.
Bien plus, Monsieur C a tout fait pour procéder à
la reconstitution de sa comptabilité, et ce, malgré la réticence du mandataire
liquidateur a lui adresser copie des documents comptables et bancaires remis.
La Cour considère qu’en ne remettant aucun document
comptable, Monsieur C est réputé ne pas avoir tenu de comptabilité, cette
présomption étant d’ailleurs corroborée par les déclarations de l’intéressé par lesquelles
il fait état de la décision de son expert-comptable de ne pas tenir sa
comptabilité en raison du non-paiement de ses honoraires.
Pourtant la Cour souligne, et cela est spécieux,
qu’il est constant que le fait pour un dirigeant de ne pas rémunérer l’expert-
comptable auquel il confie la tenue de sa comptabilité ne saurait être une
cause exonératoire de responsabilité pour ledit dirigeant en cas de cessation
de sa mission par l’expert-comptable et qu’une telle attitude du dirigeant met
au contraire l’accent sur son incurie et son incapacité à gérer de manière
diligente son entreprise.
Elle souligne également que des déclarations de
créances de l’URSSAF PACA ayant fait l’objet de taxations d’office d’avril 2014
à mai 2015, viennent caractériser le fait que les bordereaux afférents à
l’organisme social ne lui ont pas été adressés et, en conséquence, n’ont pas
été pris en comptabilité.
Cette approche peut là encore faire l’objet
d’une analyse différente puisqu’il est bien évident que dans la mesure où le
débiteur est en cessation de paiement ou en difficultés financières, il est
assujetti au bon vouloir de l’expert-comptable qui peut, en cas d’impayés,
refuser de poursuivre ses diligences et acculer encore plus le dirigeant.
Cela justifie t’il pour autant une sanction de faillite personnelle ?
Je ne le crois pas.
Concernant la faute de gestion relative à la
déclaration tardive de l’état de cessation des paiements, la cour rappelle les
dispositions de l’article L.631-4 du Code de Commerce :
« l’ouverture d’une procédure de redressement
judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les
quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans
ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »
L’article
L.653-8 alinéa 2 du même code dispose également que l’interdiction de gérer
peut-être infligée au dirigeant :
« qui aura omis de faire, dans le délai de
quarante-cinq jours, la déclaration de cessation des paiements, sans avoir par
ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation »
La
procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation de l’URSSAF
PACA en date du 26 novembre 2014 et par jugement d’ouverture de la procédure
collective, la date de cessation des paiements a été fixée au 8 juin 2015.
Or le
mandataire judiciaire n’avait pas manqué d’envisager une action en report de la
date de cessation de paiement et le Tribunal de Commerce avait fait remonter la
date de l’état de cessation des paiements au 8 décembre 2013.
Pour la
Cour d’Appel, le jugement étant définitif le dirigeant s’était volontairement abstenu
de déclarer dans le délai de 45 jours son état de cessation des paiements.
Ce
point est important car lorsque le dirigeant est destinataire d’une demande en
report de la date de cessation des paiements, ce dernier risque fort de voir sa
responsabilité engagée tantôt en sanction sur la base d’une demande de faillite personnelle ou interdiction de
gérer tantôt au titre d’une insuffisance d’actifs.
Dès
lors, à ce seul stade, il est impératif que le chef d’entreprise se défende,
3 – Sur
la sanction
La Cour d’Appel rappelle les dispositions de
l’article L.653-5 du Code de Commerce qui prévoit à l’encontre du dirigeant qui s’est abstenu de tenir une comptabilité
complète et régulière, une mesure de faillite personnelle et celles de L.653-8 du même Code qui prévoit
que :
« dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6,
le tribunal peut prononcer, à la place de la
faillite personnelle, l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou
contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou
artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou
plusieurs de celles-ci. ”
Or, la Cour considère que
si l’incurie manifestée par Monsieur C dans la gestion de son entreprise est
constante mais qu’il convient d’observer qu’il ne s’est pas opposé à la
liquidation judiciaire de son entreprise moyennant quoi, la Cour infirme la
sanction prononcée de faillite personnelle
pour 10 ans des premiers juges et sanctionne finalement Monsieur C d’une « simple
mesure d’interdiction de gérer pour une durée de cinq ans.
La décision est dont
extrêmement satisfaisante sur ce point car elle vient réduire sérieusement le
champ de la sanction du dirigeant.
Surtout elle ne retient
plus la sanction de faillite personnelle.
Cette jurisprudence est
intéressante.
Elle rappelle que pour
limiter sa responsabilité, et éviter une action en sanction aux fins de faillite personnelle en établissant sa
comptabilité, en contestant les créances et en réagissant contre le mandataire
liquidateur des lors que ce dernier envisage ne serait-ce qu’une action en
report de la date de cessation des paiements.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,
www.laurent-latapie-avocat.fr