L’obligation du chef d’entreprise de remettre la liste des créanciers, quels enjeux ?  

Laurent Latapie avocat immobilier 2025
Laurent Latapie avocat immobilier 2025
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A l’ouverture d’une procédure collective, le chef d’entreprise une liste des créanciers. Cela emporte t’il reconnaissance de dette ou simple présomption de créance ? Le chef d’entreprise peut-il quand même contester la créance ? Le créancier doit-il rapporter la preuve de sa créance ? Une vérification efficace des créances permet-elle de sauver le chef d’entreprise ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à deux jurisprudences qui ont été rendues ce 23 mai 2024 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation et qui viennent aborder la problématique des listes des créanciers remise obligatoirement par le Chef d’entreprise en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire.

 

Étant rappelé que si celui-ci ne remet pas justement cette liste des créanciers, celui-ci peut se retrouver sanctionné au titre des fautes de gestion que l’on peut lui reprocher comme ne participant pas activement au destin de la procédure collective.

 

Dans ces deux jurisprudences, la Cour de cassation rappelant quand même que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire constituant seulement une présomption de déclaration en faveur du créancier, de telle sorte qu’elle ne constitue qu’une reconnaissance de dette et ne saurait dispenser le créancier de la preuve de sa créance.

 

La liste des créanciers, reconnaissance de dette ?

 

Ainsi, la Cour de cassation rappelle que cette liste des créanciers n’est pas une reconnaissance de dette et que, dès lors, le débiteur a la possibilité de déclarer les sommes qui lui semblent correctes ou pas, tout comme il appartient au créancier de justifier du bienfondé de ses créances.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans la première affaire, la société D avait été mise en procédure de sauvegarde judiciaire.

 

Elle avait mentionné sur la liste remise au mandataire judiciaire une créance de la société I pour un montant de 1 626 170.11 €.

 

La société I, quant à elle, ayant déclaré sa créance dans la même foulée pour la somme de 1 831 057.41 €, créance qui avait été admise par une ordonnance du Juge commissaire du 01er décembre 2020.

 

Pour autant, il ressort des circonstances de la cause que la société D, en sauvegarde judiciaire, a quand même pris soin de contester cette créance.

 

Le chef d’entreprise peut-il ensuite contester la créance ?

 

Dans la deuxième affaire, c’était la société B qui avait demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde en mentionnant une créance de la même société I pour un montant de 96 375.00 €.

 

Cette procédure avait été ouverte le 11 avril 2018 et la société I avait déclaré sa créance pour un montant de 141 771.41 €, laquelle créance avait été admise par ordonnance du 01er décembre 2020.

 

Pour autant, la société B, faisant valoir que la créance n’était pas justifiée, a contesté cette créance.

 

Finalement, dans les deux cas, la Cour de cassation venait répondre à cette même question qui consistait notamment à déterminer la valeur juridique exacte de la liste des créances remise par le débiteur.

 

Une créance contestée par le débiteur qu’importe la liste des créanciers ?

 

Or, dans ses pourvois, la société I faisait griefs à l’arrêt d’avoir rejeté la créance déclarée par cette dernière, tantôt dans l’une des sociétés pour 1 831 057.41 € à titre chirographaire au titre de factures impayés et, de l’autre, à hauteur de 141 771.41 € également à titre chirographaire en vertu des factures impayés.

 

La société I soutenait que lorsque le débiteur apportait une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé sa déclaration de créance.

 

La créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur faisant présumer de sa déclaration de créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire judiciaire.

 

Pour la société I, une telle démarche vaut reconnaissance de la créance ainsi déclarée peu importe une éventuelle déclaration de créance ultérieure par le titulaire de celle-ci.

 

Liste des créanciers et reconnaissance de dette ?

 

Ainsi, pour la société I, en tout état de cause, lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire liquidateur, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé sa déclaration de créance.

 

La créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur faisant présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire judiciaire.

 

Liste des créanciers et présomption de créance ?

 

Pour la société, une telle démarche du débiteur dans l’hypothèse d’une déclaration de créance ultérieure par le titulaire de celle-ci vaut reconnaissance de la créance dans la mesure ainsi déclarée.

 

Que dès lors, il appartenait à la Cour d’appel de retenir que la mention sur la liste remise au mandataire judiciaire par la société I d’un côté et la société B de l’autre valait reconnaissance de la créance de cette dernière dans la mesure ainsi déclarée.

 

De telle sorte que, selon elle, la Cour d’appel avait violé l’article L 122-24 du Code du commerce et qu’il convenait de prendre acte de cette reconnaissance de dette par le débiteur pour faire admettre la créance.

 

Pour autant la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et dans ses deux jurisprudences va finalement répondre la même chose.

 

Celle-ci rappelle qu’il résulte des articles L 622-24 et R 622-23 du Code du commerce que la créance portée par le débiteur conformément à l’obligation que lui fait l’article L 622-6 du Code du commerce à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l’article R 622-24 du même Code, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information donnée au mandataire judiciaire ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bienfondé de cette créance.

 

Déclaration de créance contestée par le chef d’entreprise

 

De sorte qu’il peut ultérieurement la contester dans les conditions des articles L 124-1 et R 124-1 du Code précité.

 

Qu’ainsi, ayant retenu que la liste des créanciers est d’être mise tantôt par la société B, tantôt par la société D, lors du dépôt de sa demande de sauvegarde, mentionnant notamment une créance à échoir de la société I constituait seulement une présomption de déclaration en faveur du créancier.

 

De telle sorte que c’est à bon droit que la Cour d’appel en a déduit qu’elle ne s’analysait pas dans une reconnaissance de dette et ne saurait dispenser le créancier de la preuve de sa créance.

 

Le créancier doit rapporter la preuve de sa créance, qu’importe la liste des créanciers

 

Ces deux jurisprudences sont intéressantes puisqu’elles rappellent que l’obligation qui pèse sur le Chef d’entreprise en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire qui consiste à remettre une liste des créanciers n’emporte pas reconnaissance de dette de ces créances qu’il peut, par la suite, contester.

 

Il n’est d’ailleurs pas tenu de déclarer le juste montant en l’état des contestations qui peuvent exister entre le débiteur et son créancier.

 

Bien plus, la phase de vérification des créances par la suite offre des phases de vérification et de contestation de créances qui permettent de réduire le passif comme peau de chagrin.

 

Le rôle et les enjeux de la vérification des créances par le chef d’entreprise

 

Il convient de ne pas oublier que le nerf de la guerre en droit de l’entreprise en difficulté demeure, malgré tout, la fixation du passif.

 

Plus le passif sera important et plus il sera générateur de problématiques afin, tantôt d’obtenir un plan de sauvegarde ou de redressement, tantôt afin d’éviter une responsabilité pour insuffisance d’actif car le montant du passif va déterminer, tantôt la capacité de l’entreprise à y faire face, tantôt l’insuffisance d’actif dans laquelle les créanciers seront plongés.

 

Ce qui est toujours source de responsabilité par la suite.

 

Dès lors, la phase de vérification des créances est une étape extrêmement importante en droit de l’entreprise en difficulté puisqu’elle va déterminer par la suite le bon déroulement de la procédure, tantôt pour sauvegarder ou redresser l’entreprise, tantôt pour permettre une liquidation judiciaire dans les meilleures conditions possibles sans exposer autant que faire se peut la responsabilité de son dirigeant.

 

La participation active du chef d’entreprise dans sa procédure collective

 

Dès lors, ces deux jurisprudences rappellent que, premièrement, le Chef d’entreprise est tenu de participer activement au bon déroulement de la procédure collective notamment en remettant une liste des créanciers mais que, surtout, ces deux jurisprudences rappellent qu’il n’est pas engagé par cette liste des créances qu’il doit remettre et qu’il peut, par la suite, contester ou qu’il peut même au démarrage, ab initio, contester en ne retenant que les montants que ce dernier reconnait lui-même.

 

Offrant ainsi par la suite des perspectives de contestation qui peuvent être complètement salutaires, tantôt pour sauver l’entreprise à travers un plan de sauvegarde ou un plan de redressement judiciaire car, plus le passif sera diminué, plus celui-ci sera facile à régler, tantôt en cas de liquidation judiciaire afin de limiter autant que faire se peut la responsabilité personnelle.

 

Une vérification efficace des créances permet-elle de sauver le chef d’entreprise ?

 

Dès lors, comprendre que la phase de vérification des créances est une étape importante, voir, décisive de la procédure collective, est cruciale dans l’appréhension du bon déroulement de cette procédure collective.

 

Bon nombre de consultations faites par mon cabinet découlent d’ailleurs d’une absence totale de stratégie par les Confrères n’étant pas spécialiste de la matière et, in fine, de se retrouver face à un Chef d’entreprise en difficultés qui a raté la phase de vérification des créances et qui, par la même, est bloqué par un passif très important pour lequel immanquablement celui-ci verra sa responsabilité engagée.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

Clôture pour insuffisance d’actif et reprise des poursuites par un créancier hors procédure

latapie avocat international 2025
latapie avocat international 2025

Un débiteur en liquidation judiciaire conclu un nouveau prêt avec une banque sans l’accord du mandataire liquidateur. La créance née irrégulièrement est hors procédure. Le créancier peut-il reprendre des poursuites individuelles après la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation, Chambre commerciale, du 02 mai 2024 qui vient aborder le sort d’un créancier hors procédure lorsque la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif alors même que cette clôture pour insuffisance d’actif a pour principe celui de non-reprise des poursuites individuelles, il n’empêche que dans certains cas d’espèce particuliers le créancier hors procédure peut récupérer un droit de poursuites individuelles.

 

Quel sort pour le créancier hors procédure ?

 

Ainsi, à bien y comprendre cette jurisprudence, le créancier titulaire d’une créance née irrégulièrement en violation des règles du dessaisissement n’est pas soumis au principe de non reprise des poursuites après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

 

La Cour de cassation rappelant qu’aux termes de l’article L 622-9 du Code du commerce pendant la durée de la liquidation judiciaire, le débiteur est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens au profit du liquidateur et les actes accomplis par le débiteur au mépris du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective.

 

Le sort de la créance née irrégulièrement dans la procédure collective

 

La créance, résultant de tels actes, née irrégulièrement ne peut donc ni bénéficier du traitement préférentiel prévu à l’article L 621-32 du Code du commerce, ni être admise au passif conformément aux dispositions de l’article L 621-43 du même Code.

 

Il en résulte que les dispositions de l’article L 643-11 du Code du commerce relatif à la clôture pour insuffisance d’actif et à l’interdiction de reprise des poursuites individuelles n’est pas applicable aux poursuites du créancier titulaire d’une créance hors procédure qui n’a jamais relevée du passif de la liquidation judiciaire.

 

Un créancier hors procédure exclu de tout dividende ou répartition

 

La Cour de cassation précisant encore que le créancier hors procédure ne pouvant être payé sur le gage commun des créanciers, il ne peut agir contre le débiteur pendant la durée de la procédure collective.

 

Il en résulte alors que le créancier s’étant trouvé dans l’impossibilité d’agir contre le débiteur jusqu’à la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire, celui-ci est en droit de reprendre des poursuites à l’encontre de son débiteur, le délai de prescription étant alors à son égard suspendu jusqu’à ladite clôture pour insuffisance d’actif.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, Monsieur J avait été mis en liquidation judiciaire par un jugement du 18 décembre 1998.

 

Or, le 30 septembre 2002, la banque lui a consenti ainsi qu’à son épouse un prêt d’un montant de 97 600.00 € remboursable en 180 échéances.

 

Par la suite, la déchéance du terme a été prononcée le 08 novembre 2005, la banque a alors déclaré sa créance le 16 juin 2006 et, par un jugement en date du 10 juillet 2020, la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d’actif.

 

Ni une, ni deux, et par la suite, le 29 octobre 2020, la banque a fait délivrer un commandement aux fins de saisie vente à l’encontre de Monsieur J, lequel a saisi le Juge de l’exécution afin d’obtenir la nullité du commandement.

 

À hauteur de Cour de cassation, Monsieur J, débouté par la Cour d’appel de Chambéry, se pourvoyant en cassation et faisait griefs à la Cour d’appel de dire que l’action en recouvrement initiée par la banque contre lui aux moyens d’un commandement aux fins de saisie vente du 29 octobre 2020 portait sur une créance non prescrite et finalement de reconnaitre que la banque justifiait d’une créance certaine, liquide et exigible contre lui.

 

De telle sorte que la banque était, selon la Cour d’appel, recevable et bien fondée à déclarer valable et régulier le commandement aux fins de saisie vente du 20 octobre 2020 ainsi que la procédure subséquente.

 

Pour autant, ce dernier considérait, à la lueur de l’article L 643-11 du Code du commerce, que le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer au créancier l’exercice individuel dans leur action contre le débiteur.

 

Quelle efficacité du jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ?

 

Dès lors, Monsieur J reproche à la Cour d’appel d’avoir affirmé que de jurisprudence constante les créanciers dont la créance nait après l’ouverture de la procédure collective peuvent poursuivre le recouvrement de celle-ci après clôture de liquidation judiciaire quand bien même elle serait intervenue pour insuffisance d’actif sans caractériser l’un des cas prévus.

 

Or, Monsieur J reprochait à la Cour d’appel de ne pas avoir caractérisé l’un des cas prévus à l’article L 643-11 du Code du commerce qui permet, par exception, à certains créanciers de recouvrer leurs droits de poursuites individuelles.

 

Les hypothèses légales de reprise des poursuites individuelles

 

Monsieur J rappelle en tant que de besoin, dans son pourvoi, que le créancier, qui n’est pas dans l’impossibilité d’agir au sens de l’article 2234 du Code civil contre le débiteur placé en procédure collective, ne bénéficie pas de la prolongation de l’effet interruptif de prescription de sa déclaration de créance jusqu’à la clôture de la procédure collective mais seulement jusqu’à la date de la décision ayant statué sur la demande d’admission.

 

À supposer que la créance de la banque soit soumise à la Loi de 1985 et qu’à ce titre la banque, créancier postérieur, n’ait pas été soumise à l’arrêt et à l’interdiction des poursuites individuelles, la banque ne peut pour autant bénéficier de la prorogation de l’effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance jusqu’au jugement de clôture.

 

Celui-ci ayant pris fin à la décision d’admission de la créance.

 

De telle sorte qu’en se bornant à affirmer que la déclaration de créance interrompt la prescription et l’effet interruptif se prolonge jusqu’à la clôture de la procédure collective sans rechercher si le créancier s’était réellement trouvé dans l’impossibilité d’agir contre le débiteur pendant le temps de la procédure collective, la Cour d’appel avait, selon lui, privé de décision sa base légale au regard de l’article L 622-25-1 du Code du commerce ainsi que de l’article 2234 du Code civil.

 

Pour autant, la Cour de cassation ne s’y trompe pas et ne partage pas son analyse, elle ne suit pas son argumentation.

 

Le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire

 

En effet, celle-ci rappelle, en premier lieu, qu’il résulte de l’article L 622-9 du Code du commerce que pendant la durée de la liquidation judiciaire le débiteur est dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens au profit du liquidateur et que les actes accomplis par le débiteur au mépris du dessaisissement sont inopposables à la procédure collective.

 

De telle sorte que la créance nait irrégulièrement ne peut bénéficier du traitement préférentiel prévu à l’article L 621-32 du Code du commerce, ni être admise au passif conformément aux prévisions de l’article L 621-43 du même Code.

 

Dès lors, comme le relève la Cour d’appel de Chambéry, le prêt du 03 septembre 2002 a été conclu entre la banque et Monsieur J alors que ce dernier était en liquidation judiciaire depuis le 18 décembre 98 et ce, sans l’intervention de son liquidateur.

 

Un prêt contracté par un débiteur en liquidation judiciaire en l’absence du mandataire liquidateur

 

Il en résulte que les dispositions de l’article L 643-11 du Code du commerce ne sont relatives à l’interdiction de reprise des poursuites individuelles en cas de clôture pour insuffisance d’actif ne sont pas applicables aux poursuites de la banque titulaire d’une créance hors procédure qui n’a jamais relevé du passif de la liquidation judiciaire (tant bien même ce dernier aurait déclaré au passif).

 

Que dès lors, le créancier hors procédure ne pouvant être payé sur le gage commun des créanciers, il ne peut donc agir contre le débiteur pendant la durée de la procédure collective.

 

C’est donc à bon droit que la Cour d’appel relève que la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire ayant été prononcée le 10 juillet 2020, le créancier a repris ses poursuites individuelles à travers un commandement de saisie vente délivré le 09 octobre 2020.

 

Un créancier hors procédure libre de reprendre ses poursuites individuelles ?

 

La Cour de cassation considère qu’il en résulte que la banque s’étant retrouvé dans l’impossibilité d’agir contre le débiteur jusqu’à la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire, le délai biennal de la prescription de l’article L 218-2 du Code de la consommation a été suspendu jusqu’à cette clôture.

 

De sorte que son action n’est pas prescrite et donc le créancier est en droit de reprendre des poursuites à l’encontre de son débiteur.

 

Cette jurisprudence est intéressante, elle doit attirer l’attention du chef d’entreprise en difficultés quant à la validité de ses actes qui auraient été fait nonobstant le fait que ce dernier soit placé en liquidation judiciaire et, surtout, doit attirer l’attention du débiteur sur les conséquences que cela peut avoir, premièrement, au sein de la liquidation judiciaire puisqu’en tout état de cause tous ces actes sont inopposables à la procédure collective mais également et surtout après la clôture de la liquidation judiciaire car le créancier découlant d’un acte irrégulier étant considéré comme étant hors procédure collective, ce dernier dès lors ne peut se retrouver que en droit de repoursuivre le débiteur passé la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire.

 

Le rôle salvateur de la clôture pour insuffisance d’actif en liquidation judiciaire

 

De telle sorte que c’est au moment même où le débiteur croit bon être libéré de l’ensemble du fardeau de ses créanciers et du mandataire liquidateur qui le représente et se retrouve sorti de la procédure collective qu’il se retrouve finalement exposé à de nouvelles poursuites du créancier hors procédure collective découlant de cette créance irrégulière.

 

Cela peut être d’autant plus fâcheux qu’il n’est pas rare dans certains cas de voir certains débiteurs reconstituer quand même un minimum de patrimoine et se retrouver finalement exposés à de nouvelles poursuites alors même que la liquidation judiciaire et surtout la clôture pour insuffisance d’actif de cette liquidation judiciaire avait justement pour objectif de purger le passif et de repartir à zéro.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Notion de disproportion manifeste dans la fiche de renseignements et cautionnement

Laurent LATAPIE Avocat 2025 droit de la famille
Laurent LATAPIE Avocat 2025 droit de la famille
Laurent LATAPIE Avocat 2025 droit de la famille

Dans quelles conditions la banque doit vérifier la fiche de renseignement rempli par la caution pour éviter un risque de disproportion manifeste de l’engagement de cautionnement ? La banque doit-elle s’intéresser aux éventuelles anomalies apparentes ? La fiche de renseignements peut-elle être remplie après coup ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une nouvelle jurisprudence qui a été rendue par la Cour de cassation ce 13 mars 2024, N°RG 22-19.900, qui vient aborder la problématique de la notion de disproportion en droit du cautionnement.

 

En effet, la Cour de cassation rappelait dans cette jurisprudence que, si l’article L 341-4 du Code de la consommation n’impose pas au créancier, sauf anomalie apparente, de vérifier les déclarations fournies par la caution à qui il incombe de prouver la disproportion manifeste de son engagement, le créancier a cependant le devoir de s’enquérir de la situation patrimoniale de cette dernière avant la souscription du cautionnement, de sorte qu’il ne peut être tenu compte pour la prestation de la disproportion d’une fiche de renseignements signée postérieurement.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, et par acte du 17 mars 2004, la société B avait ouvert un compte-courant dans les livres de la banque et, par acte du 04 juillet 2008, la même banque avait consenti à ladite société un crédit de trésorerie à durée indéterminée par débit du compte-courant d’un montant de 80 000.00 € garanti par le cautionnement solidaire de Monsieur G dans la limite d’une somme de 40 000.00 €.

 

Par la suite, la société a été mise en liquidation judiciaire.

 

La société en liquidation judiciaire, la banque se retourne contre la caution

 

C’est dans ces circonstances que la banque a assigné en paiement la caution qui lui a opposé la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus.

 

Or, la banque se pourvoyant en cassation puisque la Cour d’appel avait rejeté l’ensemble de ses demandes formées au titre de l’engagement de caution souscrits par Monsieur G le 04 juillet 2008.

 

Or, la banque considérait que la caution, qui a rempli à la demande de la banque une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et de son patrimoine qui était dépourvue d’anomalie apparente sur les informations déclarées, ne peut en suite soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclaré au créancier.

 

L’existence d’anomalie apparente dans la fiche de renseignements ?

 

Dès lors, si cette fiche de renseignements doit être établie à une époque contemporaine de la conclusion du contrat de cautionnement, elle n’a pas à lui être nécessairement antérieure ni concomitante et peut ainsi lui être postérieure sauf à ce que la caution démontre que sa situation a évolué entre la conclusion du contrat de cautionnement et l’établissement de la fiche d’informations.

 

La banque reprochant à la Cour d’avoir refusé en conséquence de tenir compte de la fiche de renseignements établie par Monsieur G le 11 août 2008, soit, plus d’un mois après l’engagement de cautionnement, rappelons-le, qui a été souscrit le 04 juillet 2008, au seul motif qu’elle avait été établie postérieurement à la conclusion du cautionnement du 04 juillet 2008 sans constater que la caution invoquée démontrait que sa situation patrimoniale aurait évoluée entre ces deux dates.

 

Pour autant, la Cour de cassation ne s’y trompe pas.

 

La Cour rappelle les termes de l’article L 341-4 du Code de la consommation,

 

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »

 

La Cour de cassation rappelant que si l’article L 341-4 du Code de la consommation n’impose pas au créancier, sauf anomalie apparente, de vérifier les déclarations fournies par la caution à qui il incombe de prouver la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, le créancier a le devoir de s’enquérir de la situation patrimoniale de cette dernière avant la souscription du cautionnement, de sorte qu’il ne peut être tenu compte pour la prestation de la disproportion d’une fiche de renseignements signée postérieurement.

 

Dans quelles conditions la banque doit vérifier les déclarations fournies par la caution ?

 

C’est donc à bon droit pour la Haute juridiction que la Cour d’appel a retenu que pour l’appréciation des disproportions manifestes du cautionnement du 04 juillet 2008, la banque ne pouvait pas se prévaloir des déclarations faites par Monsieur G dans la fiche de renseignements qui ne lui a remise que le 11 août 2008, soit, plus d’un mois après la souscription de son engagement.

 

Cette jurisprudence est importante, elle rappelle qu’en qualité de caution, effectivement, la banque est tenue de s’assurer à travers cette fiche de renseignements de l’absence de disproportion manifeste de l’engagement de cautionnement qu’il propose et que dans l’hypothèse où la banque n’aurait pas fait son travail correctement, celle-ci ne peut tenter de se raccrocher aux branches à postériori et tenter de récupérer ce document par la suite.

 

L’impossible établissement de la fiche de renseignements post cautionnement

 

L’établissement bancaire était alors en faute et engageait donc sa responsabilité, ne pouvant dès lors réclamer l’exécution de ce cautionnement au motif pris de ce que la banque ne se serait justement pas assuré d’avoir obtenu au préalable et avant l’engagement de cautionnement lesdites informations qui permettraient de mesurer à juste titre les conditions d’éventuelles disproportionnalités.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr