Liquidation judiciaire, action paulienne du créancier et appauvrissement de la caution

Laurent Latapie avocat immobilier 2025
Laurent Latapie avocat immobilier 2025
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Le créancier bancaire d’une entreprise en liquidation judiciaire vient reprocher au dirigeant caution d’avoir procédé à un découpage de son patrimoine, caractérisant ainsi un appauvrissement, voire une organisation d’insolvabilité. La banque peut-elle engager une action paulienne ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation ce 29 mai 2024, Chambre commerciale, N°22-20.308, et qui vient aborder la problématique de l’action paulienne engagée par le créancier contre l’apport d’un immeuble par la caution à une SCI dans laquelle la question se posait de savoir si l’action paulienne était subordonnée à la démonstration d’un appauvrissement de la caution.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, la banque avait consenti à une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée C un prêt de 42 685.00 €.

 

Le gérant de cette société s’était alors rendu caution solidaire du remboursement de ce prêt.

 

Par la suite, le 25 mars 2005, l’EURL avait été mise en redressement judiciaire simplifiée, puis, convertie en redressement judiciaire le 26 décembre 2015.

 

La banque avait alors déclaré sa créance au passif de l’EURL le 22 avril 2005 et, le 29 mars 2007, un plan de redressement avait été arrêté par le Tribunal de commerce prévoyant la reprise par l’EURL du paiement des échéances du prêt.

 

Le 23 octobre 2013, Monsieur N, le gérant de l’EURL, a apporté à la société civile immobilière P un immeuble évalué à la somme de 500 000.00 € et a reçu, en contrepartie, 500 000 parts de la part de ladite SCI d’une valeur nominale de 1.00 €.

 

Puis, le 01er juillet 2015, Monsieur N a cédé la nue-propriété de ses parts à une autre société, la société BN.

 

Auparavant, un arrêt du 03 mars 2015 avait été rendu par la Cour d’appel qui condamnait Monsieur N en sa qualité de caution solidaire de l’EURL à payer à la banque la somme de 34 852.26 €.

 

La gestion de son patrimoine, organisation d’insolvabilité ?

 

C’est dans ces circonstances que, la banque a eu l’impression que Monsieur N avait organisé son insolvabilité, celle-ci a assigné ce dernier ainsi que la SCI sur le fondement de l’article 1167 du Code civil en nullité ou en inopposabilité de l’apport réalisé le 23 octobre 2013 par Monsieur N de son immeuble à la SCI.

 

Par cette même procédure, la banque demandait également la nullité ou l’inopposabilité de la cession réalisée le 01erjuillet 2015 dans laquelle Monsieur N avait cédé la nue-propriété de ses parts à une autre société, la société BN.

 

L’inopposabilité de la cession organisant l’insolvabilité de la caution,

 

À hauteur de Cour de cassation, la banque faisait grief à la Cour d’appel d’avoir rejeté toutes ses prétentions.

 

La banque considérait que les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes fait par leur débiteur en fraude de leur droit.

 

De telle sorte que selon elle, la Cour d’appel s’était fourvoyée en les déboutant de leurs demandes d’inopposabilité de l’acte d’apport de l’immeuble appartenant à Monsieur N signé le 23 octobre 2013 au profit de la SCI, dite société civile immobilière à caractère familial dont il était par ailleurs le gérant alors même que ce dernier avait pourtant été déjà assigné par la banque le 11 avril 2013 aux fins d’obtenir sa condamnation, soit, six mois avant l’apport de l’immeuble à la SCI alors qu’il savait pertinemment qu’il risquait d’être condamné en qualité de caution des sommes dues au titre du prêt qu’il avait souscrit le 23 juillet 2002 au nom de l’EURL qu’il dirigeait.

 

Une action paulienne contre la caution ?

 

La Cour d’appel, quant à elle, avait considéré que l’apport d’un bien à une société ne conduit pas à un appauvrissement de l’associé apporteur puisque l’immeuble valorisé à 500 000.00 € qui est sorti du patrimoine de Monsieur N a été remplacé par des droits sociaux pour une valeur équivalente.

 

En effet, ce dernier avait effectivement reçu en contrepartie 500 000 parts sociales de la SCI, de sorte que pour la Cour d’appel la banque était défaillante dans sa démonstration de l’appauvrissement de Monsieur N puisque ce dernier avait reçu des parts sociales équivalentes à la valeur de son bien.

 

Quid de la démonstration de l’appauvrissement de la caution ?

 

De telle sorte que pour la Cour d’appel l’acte d’apport n’avait nullement affecté les droits du créancier de la banque puisque, à la date de l’arrêt condamnant Monsieur N a payer la somme de 34 852.86 € soit le 03 mars 2015, la banque était parfaitement en mesure de procéder à une saisie des parts sociales.

 

En effet, pour la Cour d’appel, celle-ci était parfaitement en mesure de procéder à une saisie des parts sociales qui était encore valorisée à hauteur du montant de l’immeuble, soit 500 000.00 €, dont il n’était pas évoqué qu’il était vendu à cette époque.

 

Ce qui aurait permis, si la banque avait effectivement procédé à une saisie des parts sociales, de garantir sa créance à hauteur du cautionnement puisque l’acte du 01er juillet 2015 dans laquelle Monsieur N cédait la nue-propriété de ses parts à une autre société était, quant à lui, postérieur à cette condamnation.

 

La cession de la nue propriété des parts sociales, non constitutif d’un appauvrissement ?

 

Pour la Cour d’appel, l’existence d’un acte accompli en fraude des droits de la banque justifiant la nullité de l’acte du 23 octobre 2013 antérieurement à l’existence de l’acte sous seing privé du 01er juillet 2015 n’était pas rapportée.

 

Pour autant, la banque considérait qu’il appartenait à la Cour de rechercher comme il lui était demandé si le retrait de l’inscription d’hypothèque sur l’immeuble du chef de la société bénéficiaire de l’apport et la difficulté de négocier des parts sociales acquises par Monsieur N le 23 octobre 2013 ne constituaient pas un facteur de diminution de la valeur du gage général, caractérisant ainsi pour la banque de l’appauvrissement du débiteur.

 

Après mûres réflexions, la Cour de cassation partage finalement l’analyse de la banque.

 

En effet, celle-ci rappelle au visa de l’article 1167 du Code civil que les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes fait par leurs débiteurs en fraude de leurs droits.

 

La critique des actes faits par le débiteur en fraude des droits des créanciers

 

Ainsi, la Cour de cassation considère que, pour rejeter la demande de la banque en nullité ou en inopposabilité de l’acte du 23 octobre 2013, la Cour d’appel a retenu que l’apport d’un bien à une société ne conduit pas à un appauvrissement de l’associé apporteur puisque l’immeuble valorisé à 500 000.00 €, qui est sorti du patrimoine de Monsieur N, a été remplacé par des droits sociaux d’une valeur équivalente.

 

De telle sorte que, en effet, ce dernier avait reçu en contrepartie 500 000 parts sociales de la SCI d’une valeur nominale de 1.00 €.

 

La Cour d’appel ayant déduit de ce raisonnement que Monsieur N ne s’était pas appauvri.

 

De telle sorte que l’acte litigieux n’a pas affecté les droits du créancier de la banque.

 

Pour autant, la Cour de cassation considère qu’en se déterminant ainsi sans rechercher, comme il lui était demandé, si la difficulté de négocier les parts sociales et le risque d’inscription d’hypothèque sur l’immeuble du chef de la SCI ne constituaient pas des facteurs de diminution de la valeur du gage du créancier et d’appauvrissement du débiteur, de telle sorte que la Cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

 

Cette jurisprudence est extrêmement intéressante puisqu’elle permet de décortiquer le découpage patrimonial organisé par Monsieur N qui laisse effectivement à penser que ce dernier a clairement organisé son insolvabilité.

 

Quel découpage patrimonial efficace pour la caution poursuivie par le créancier ?

 

A bien y compendre, en apportant son bien à une société civile immobilière à caractère familial dont il était le dirigeant, puis, dans un deuxième temps, en cédant la nue-propriété des parts sociales qu’il avait acquis en contrepartie de cet accord au profit d’une autre société, la société BN dont d’ailleurs la jurisprudence ne précise pas si oui ou non cette autre société appartenait ou pas à Monsieur N ou si ce dernier avait des parts au sein de cette autre société.

 

Ainsi, la Cour de cassation fait droit à la demande de la banque en considérant que Monsieur N avait finalement bel et bien organisé son insolvabilité et que force est de constater qu’il y avait bel et bien l’organisation d’un appauvrissement de la caution.

 

De telle sorte que la banque était bien-fondée à lancer son action paulienne.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus-Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr