Extension d’une liquidation judiciaire en raison d’un compte courant associé, est-ce possible ? 

Laurent Latapie avocat 2022 avocat faillite surendettement
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Un mandataire liquidateur d’une société en liquidation judiciaire image engager une action en extension à l’encontre du dirigeant associé au motif pris de ce que le compte courant associé serait débiteur et que ce dernier se serait même offert le luxe d’une indemnité de gérance sans contrepartie. Quels sont les risques ?

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation de septembre 2023,  et qui vient aborder la problématique de l’action en extension engagée par le mandataire liquidateur afin d’agir en extension et ce en raison d’un compte courant d’associés débiteur.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire et par un jugement en date du 09 mai 2017, la société B, dont Monsieur M était associé et cogérant, a été mise en liquidation judiciaire et un mandataire liquidateur avait été désigné.

 

Puis, ce mandataire liquidateur a assigné Monsieur M pour lui voir étendre à son encontrela liquidation judiciaire de la société B.

 

Les fondements de l’action en extension

 

Il convient de rappeler que l’action en extension, strictement réglementée par le Code du commerce, permet à un mandataire liquidateur qu’il constate des relations financières anormales ou des confusions de patrimoine entre deux entités commerciales et à la possibilité de procéder par voie d’extension afin d’absorber au profit de la liquidation judiciaire la société ou la personne visée par ladite extension et, par la même, faire rentrer son patrimoine personnel pour désintéresser les créanciers de la société initialement en liquidation judiciaire.

 

La présence de relations financières anormales

 

Or, dans cette affaire, le mandataire liquidateur a été débouté à hauteur de Cour d’appel et c’est dans ces circonstances que ce dernier s’est pourvu en cassation afin d’obtenir gain de cause sur son action en extension et ce au visa de l’article L 621-2 du Code du commerce.

 

Le mandataire liquidateur considérait que la procédure collective d’un débiteur pouvait être étendue à une personne en cas de confusion de son patrimoine avec celui du débiteur.

 

Et que cette confusion de patrimoine peut être caractérisée par l’existence d’une relation financière anormale entre le tiers et ledit débiteur.

 

Le mandataire liquidateur mettait en exergue que l’accroissement du solde débiteur du compte courant d’associés était un élément à prendre en considération et permettait de déduire l’existence d’une relation financière anormale entre la société débitrice et l’associé en question, caractérisant par la même une confusion de patrimoine et justifiant l’action en extension.

 

L’accroissement anormal du compte courant associé

 

Il est vrai que la notion de compte courant associé a déjà fait couler beaucoup d’encre.

 

Le mandataire liquidateur considérant que l’inscription en compte courant d’associés de Monsieur M d’une somme prélevée sans justification sur les comptes de la société débitrice faisant croitre le solde négatif de ce compte courant n’était pas de nature à exclure l’anormalité des virements et retraits opérés et que l’existence d’une confusion des patrimoines était caractérisée à la lueur de ses relations financières.

 

La Cour d’appel avait pourtant rejetée la demande du mandataire liquidateur, car celle-ci avait retenu que les retraits d’espèces et virements bancaires effectués au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016 ne permettait pas d’établir une confusion de patrimoine au motif pris qu’ils avaient été inscrits à son compte courant d’associés pour porter le solde débiteur à la somme de 88 135.51 €.

 

De sorte que la société B demeurait simplement créancière de l’associés débiteur de son compte courant d’associé….

 

Le mandataire liquidateur persévère dans le cadre de son pourvoi en cassation et rappelle que si la procédure collective d’un débiteur peut être étendue à une autre personne en cas de confusion de son patrimoine avec celui débiteur, cette confusion de patrimoine peut être caractérisée par l’existence d’une relation financière anormale entre le tiers et le débiteur, notamment lorsque la normalité des relations financières se déduit de l’absence de toute contrepartie.

 

Une indemnité de gérance injustifiée ?

 

Ainsi, le mandataire liquidateur critique l’octroi d’une indemnité de gérance non autorisée ou ne correspondant pas à un travail effectif.

 

De telle sorte que celui-ci constitue un élément susceptible de caractère existant d’une relation financière anormale et justifiant l’action aux fins de confusion des patrimoines.

 

Pour autant, la Cour d’appel avait rejeté sa demande en se bornant, selon le mandataire liquidateur, à retenir les retraits d’espèces ou virements bancaires effectués au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016, ne permettait pas d’établir une confusion de patrimoine parce qu’ils avaient été inscrits en son compte courant d’associés.

 

Pour autant, le mandataire liquidateur dans son pourvoi considérait que la Cour d’appel avait commis une analyse tronquée puisqu’elle ne caractérisait pas l’existence d’une contrepartie aux virements et retraits en espèces effectués au profit de Monsieur M.

 

Cette approche est payante car la Cour de cassation apporte une réponse très claire.

 

Elle rappelle que, au visa de l’article L 621-2 du Code du commerce, qu’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’égard d’un débiteur peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur.

 

Ainsi, la Cour de cassation considère que pour rejeter la demande du mandataire liquidateur tendant à l’extension à Monsieur M de la liquidation judiciaire de la société B, la Cour d’appel a retenu que les retraits d’espèces et les virements bancaires réalisés au profit de Monsieur M au cours de l’année 2016 ont été inscrits à son compte courant d’associés, lequel était débiteur au 26 décembre 2016 à hauteur de 88 135.51 €.

 

Compte courant d’associé débiteur, infraction pénale ?

 

Et que, si l’existence d’un compte-courant débiteur est pénalement sanctionné, il n’en demeure pas moins que la société reste créancière de l’associé débiteur et que dès lors, une telle situation ne permet pas d’établir une confusion de patrimoine.

 

Pour autant, la Cour de cassation précise qu’en se déterminant ainsi alors que l’inscription en compte courant d’associés de Monsieur M des virements et retraits d’espèces qu’il avait opéré à son profit sur le compte de la société n’était, en absence de toute caractérisation d’une contrepartie justifiant, pas de nature à en exclure la normalité.

 

De telle sorte que la Cour d’appel, qui s’est fondée sur des motifs impropres à établir l’absence de relation financière anormale constitutif d’une confusion de patrimoine, n’a pas donné de base légale à sa décision, de telle sorte que la Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint Denis et renvoi les parties devant la même Cour autrement composée.

 

Cette jurisprudence est intéressante puisqu’elle doit attirer l’attention toute particulière du chef d’entreprise qui s’apprête à voir sa société placée en liquidation judiciaire, soit à la demande d’un créancier qui l’a assigné, soit dans le cadre d’une déclaration de cessation des paiements, de réfléchir au sort de ce compte courant associés qui est, à bien des égards, et bien souvent oublié par le chef d’entreprise.

 

Aborder le compte courant associé avant la liquidation judiciaire ?

 

Or, cette problématique de compte courant associés débiteur est extrêmement importante à aborder avant même de se placer en liquidation judiciaire.

 

A plus d’un titre.

 

Premièrement, le compte courant associés débiteur peut être constitutif d’une infraction pénale.

 

Deuxièmement, dans la mesure où l’associé est débiteur de la société qui demeure créancière, le mandataire liquidateur est parfaitement en droit de poursuivre le chef d’entreprise associé pour récupérer ces fonds et, pour une somme de 88 135.51 €.

 

Troisièmement, à la lueur de cette jurisprudence, le mandataire liquidateur serait bienfondé à considérer qu’en l’absence totale de contrepartie cet accroissement de solde débiteur ou l’octroi d’une indemnité de gérance non autorisée serait constitutif de relation financière anormale qui permettrait une confusion des patrimoines.

 

Or, n’oublions pas que la confusion des patrimoines est extrêmement lourde de conséquences puisqu’elle permet de détendre la liquidation judiciaire de la société B, en l’occurrence à Monsieur M qui serait lui-même placé en liquidation judiciaire et, dans l’hypothèse où Monsieur M serait propriétaire d’actifs divers et variés, la liquidation judiciaire toucherait l’intégralité de son patrimoine personnel qui pourrait alors être saisi afin de désintéresser les créanciers de la procédure collective et ce au-delà de la seule somme du compte courant débiteur à 88 135.51 €.

 

Dès lors, les conséquences sont non-négligeables.

 

Il est important, pour le chef d’entreprise, qui a consacré sa vie commerciale et professionnelle à ses clients, ses salariés, ses créanciers (URSSAF, Trésor public, Expert-comptable…), a désormais comme principale préoccupation de penser à lui et à lui seul.

 

Le dirigeant associé doit penser à se protéger avant même la liquidation judiciaire

 

Il doit s’assurer que, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société dont il était le dirigeant et associé, sa responsabilité personnelle ou que les actes de gestion qu’il a pu commettre avant, et ce, dans les derniers mois avant la liquidation judiciaire de sa société, n’expose pas sa responsabilité aussi bien au titre d’une interdiction de gérer ou de faillite personnelle, qu’aussi bien au titre d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée par le mandataire liquidateur et qu’aussi bien, comme le démontre cette jurisprudence, au risque d’une action en extension pour confusion de patrimoine avec celui de la société en liquidation judiciaire.

 

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr

 

 

Divorce international et prestation compensatoire à la française, est-ce compatible ?

Laurent Latapie avocat saint Raphael 2022
Laurent Latapie avocat saint Raphael 2022

Deux époux divorcent à travers une décision rendue par le juge Belge. Par la suite ces derniers étant installés en France et dans la mesure ou le droit Belge ne prévoit pas, au moment des faits, une prestation compensatoire, croit bon engager une action en France afin d’obtenir une prestation compensatoire que la Loi française prévoit en cas de divorce.

 

Article :

 

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue le 07 février 2024 par la Première Chambre civile de la Cour de cassation, N°22-11090 et qui vient aborder la problématique d’un divorce fait à l’étranger, et plus particulièrement en Belgique, pour lequel la notion de prestation compensatoire n’existait pas au moment de la procédure de divorce initiée en Belgique.

 

Dès lors, l’épouse qui a divorcé en Belgique, mais qui réside désormais en France, croit bon solliciter en France l’application des dispositions des articles 270 et suivants du Code civil permettant d’obtenir une prestation compensatoire.

 

Un divorce prononcé en Belgique, une prestation compensatoire réclamée en France ?

 

La question qui se posait était de savoir si oui ou non l’épouse en question pouvait divorcer dans un pays et réclamer en France, par la suite, une prestation compensatoire sur la base des dispositions du Code civil Français alors même que cela n’est pas possible dans le Pays tiers.

 

Quels sont les faits ?

 

Dans cette affaire, Monsieur et Madame Y s’était mariés en France le 22 septembre 2001 sous le régime de la séparation de biens.

 

Cependant, ces derniers ont divorcés suivant un jugement rendu par les autorités judiciaires Belges le 22 mai 2012 qui prononçait le divorce et ordonnait la tenue des opérations d’inventaires et de comptes, liquidation et partage de leur régime matrimonial en désignant un notaire pour y procéder.

 

En juillet 2013, les consorts Y ayant rétabli leur résidence habituelle respective en France, Madame Y a, par la suite, le 13 juillet 2018 assigné Monsieur en fixation d’une prestation compensatoire sur le fondement des articles 270 et 271 du Code civil.

 

Toute la difficulté du cas présenté dans cette jurisprudence est qu’effectivement la procédure de divorce avait été fait en Belgique mais c’est en France, où elle était désormais résidente comme Monsieur d’ailleurs, que celle-ci a envisagé de faire une procédure aux fins d’obtenir la prestation compensatoire.

 

Celle-ci a été débouté à hauteur de Cour d’appel et c’est dans ces circonstances que celle-ci s’est pourvu en cassation.

 

Madame Y reprochant à la Cour d’appel d’avoir déclaré sa demande de prestation compensatoire irrecevable.

 

Une demande de prestation compensatoire irrecevable ?

 

Madame Y considérait que si la demande de prestation compensatoire peut semble, en principe irrecevable si elle est présentée après que le jugement de divorce soit passé en force des choses jugées, il en va autrement, selon elle, lorsque le jugement de divorce a été rendu à l’étranger en application d’une loi étrangère ne permettant pas l’allocation d’une prestation compensatoire.

 

Que dans cette hypothèse, et dans cette hypothèse seulement, Madame Y considérait que l’ancien époux, irrecevable à saisir le Juge Français compétent, pour demander l’allocation d’une prestation compensatoire en application du droit Français tant bien même un jugement de divorce étranger aurait été rendu et serait passé en force de chose jugée.

 

Madame Y faisait effectivement valoir qu’elle n’avait pu former une demande de prestation compensatoire devant le Juge du divorce Belge puisque la loi Belge applicable à l’époque de l’instance en divorce ne connaissait pas la mécanique de la prestation compensatoire.

 

Une prestation compensatoire inexistante en Belgique

 

De telle sorte que celle-ci était fondée à formaliser en France une demande de prestation compensatoire, tant bien même le divorce entre les parties avait été prononcé par un jugement devenu définitif et de longue date.

 

Madame Y considérant que la Cour d’appel avait violé non seulement les articles 3 et 270 du Code civil mais également et surtout l’article 6-1 de la convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

 

Madame Y rappelant en tant que de besoin que la prestation compensatoire est destinée à compenser tant qu’il est possible la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respective des époux, qu’elle présente en premier chef un caractère indemnitaire, raison pour laquelle elle n’est pas subordonnée à la démonstration par son créancier de son état de besoin.

 

Le rôle de la prestation compensatoire, compenser la disparité ?

 

Ainsi, pour Madame Y, la pension alimentaire que le droit étranger reconnait au profit d’un ancien époux en la subordonnant toutefois en principe à ce que son créancier justifie de son état de besoin ne constitue pas à l’équivalent de la prestation compensatoire admise en droit Français.

 

Madame Y soutient que la Cour d’appel a elle-même constaté qu’en principe la pension alimentaire qu’un ancien époux peut solliciter en application du droit Belge ne couvre que son état de besoin, seules les circonstances particulières permettant d’obtenir une somme excédant la couverture de l’état de besoin.

 

De telle sorte que la prestation compensatoire de droit Français se différencie partiellement de la notion de pension alimentaire après divorce connue du droit Belge applicable au temps du prononcé du jugement de divorce entre les parties.

 

Une prestation compensatoire distincte de la pension alimentaire

 

Quant à la force respective que prend, dans l’une et l’autre, de ces notions à caractère alimentaire de la créance à laquelle peut prétendre une partie.

 

Selon elle, la pension alimentaire admise en droit Belge n’est pas équivalente à la prestation compensatoire réglementée en droit Français.

 

Madame Y, qui n’avait pas demandé de pension alimentaire pendant l’instance en divorce tenue en Belgique, soutenait qu’elle était parfaitement recevable à solliciter du Juge Français une prestation compensatoire après que le jugement Belge de divorce fût passé en force des choses jugées.

 

Madame Y soutenant encore que le principe selon lequel la prestation compensatoire n’a pas pour objet de corriger les effets du régime de séparation de biens choisit par les époux, il y a lieu d’apprécier le bienfondé de la demande de prestation compensatoire qui est étranger à l’appréciation de sa recevabilité.

 

Le Juge aux affaires familiales rappelant en tant que de besoin que la prestation compensatoire n’a pas pour vocation d’anéantir les effets du régime matrimonial de séparation de biens choisi par les époux, ni la répartition subséquente constatée au moment de la liquidation du régime matrimonial.

 

De telle sorte qu’en déclarant irrecevable la demande de prestation compensatoire sans un fondement, la Cour d’appel avait, selon elle, clairement violé l’article 270 du Code civil.

 

L’indivisibilité entre la procédure de divorce et la prestation compensatoire

 

Pour autant, la Cour de cassation ne partage pas cette analyse et rappelle en tant que de besoin l’indivisibilité existante entre, d’un côté la procédure de divorce et, de l’autre la demande de prestation compensatoire qui est inhérente à cette même procédure de divorce.

 

Ainsi, la Cour de cassation précise qu’il résulte des articles 270 et 271 du Code civil que le Juge doit se prononcer par une même décision sur le divorce ET sur la disparité que celui-ci peut créer dans les conditions de vie respective des époux.

 

Ainsi, ayant constaté que le divorce des consorts Y avait été prononcé précédemment en Belgique, la Cour d’appel, qui n’était pas saisi d’une contestation de la régularité internationale du jugement étranger, était tenue, comme il le lui était demandé par les parties, de mettre en œuvre la loi Française sur les obligations alimentaires en vertu des articles 3 et 5 du protocole de LA HAYE du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires,

 

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel n’a pu qu’en déduire, sans méconnaitre les exigences conventionnelles, que la demande de prestation compensatoire était irrecevable.

 

Ainsi, la décision de la Haute juridiction est très claire.

 

Si une procédure de divorce est faite dans un pays qui ne prévoit pas la prestation compensatoire, de telle sorte qu’elle ne peut être valablement demandée par l’un ou l’autre des époux, il n’en demeure pas moins que, si par la suite les époux sont installés en France, ces derniers ne peuvent valablement solliciter après coup, alors que le jugement est frappé de l’autorité de la chose jugée, réclamer par la suite une prestation compensatoire en l’état de cette indivisibilité.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat à Fréjus, avocat à Saint-Raphaël,

Docteur en Droit, Chargé d’enseignement,

www.laurent-latapie-avocat.fr