En cas de liquidation judiciaire, le chef d’entreprise peut-il être poursuivi pour délit de banqueroute pour détournement d’actifs ? La prescription diffère t’elle selon qu’il s’agisse d’une banqueroute occulte ou d’une banqueroute dissimulée ? Qu’en est-il en cas de dénonce de banqueroute pour détournements d’actifs post-liquidation judiciaire ?
Article :
Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en novembre 2020 qui vient aborder le point de départ de la prescription de l’action publique en matière de banqueroute pour détournement d’actifs en cas de faillite de l’entreprise,
Quels sont les faits ?
Le 18 novembre 2011, un créancier de l’entreprise individuelle de maîtrise d’œuvre gérée par Monsieur V a adressé un courrier au Procureur de la République pour l’informer d’un litige l’opposant à cette entreprise.
L’enquête a révélé que cette entreprise avait été placée en redressement judiciaire le 13 novembre 2002, puis qu’une procédure de liquidation judiciaire avait été ouverte le 27 mars 2009, l’entreprise ayant fait faillite,
Les investigations avaient notamment mis en évidence que des virements avaient été effectués entre avril 2008 et mars 2009, pour un montant total de 52 300 euros par l’entreprise individuelle Monsieur V au profit de la société D, également gérée par Monsieur V ayant pour activité l’acquisition, construction, administration, location et vente d’immeubles.
Cette société dont les parts étaient réparties entre Monsieur V et ses enfants avait obtenu en 2006 un crédit immobilier de 245 300 euros lui permettant d’acquérir, dans le cadre de son activité, un terrain et d’y faire édifier une maison d’habitation, devenue à la fois le siège social de la société D et la résidence principale de Monsieur V et son épouse.
Délit de banqueroute pour détournement d’actifs
Monsieur V avait été condamné pour ces faits par le Tribunal Correctionnel du chef de banqueroute et la société D du chef de recel.
Monsieur V, la société D et le Procureur de la République ont formé appel de cette décision et contestait la sanction prononcée,
Quel point de départ pour le détournement d’actifs ?
Il convient de dissocier l’infraction instantanée à un jour précis, pour laquelle la prescription commençant à courir dès le lendemain et l’infraction sous forme d’actes réitérés.
Dans ce cas le point de départ de la prescription est alors le dernier acte frauduleux
Cependant en matière de banqueroute, il convient de préciser que le point de départ de la prescription peut être décalée lorsque l’infraction constituée par des remises à un caractère occulte ou parfaitement dissimulé.
Le point de départ de la prescription en matière de banqueroute est alors reporté au jour où l’infraction a été constatée dans des conditions permettant au Ministère Public de s’y intéresser.
Autre particularité de cette jurisprudence est que tout laissait à penser que la banqueroute avait été commise avant le jugement de procédure collective.
Banqueroute et liquidation judiciaire ? avant ou après ?
Se posait la question de savoir si nous étions en présence d’une infraction occulte ou dissimulée et si le jugement prononçant la liquidation judiciaire était une cause d’interruption de la prescription.
L’ensemble de ces critères pouvaient ils modifier la caractérisation de l’infraction,
Il convient de rappeler qu’au visa de L.654-16 du Code de Commerce, la prescription de l’action publique ne court que du jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire lorsque les faits incriminés sont apparus avant cette date.
Monsieur V considérait que le délai de prescription de l’action publique n’est reporté au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique qu’à l’égard des infractions occultes ou dissimulées,
Or, par définition, est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte,
Tandis qu’est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire,
Dans tous les cas, cela semblait synonyme de sanction pour le Ministère public.
Or, dans cette affaire, pour estimer que la prescription des faits de banqueroute par détournement d’actif visée à la prévention, concernant des transferts de fonds qui auraient été opérés du mois d’avril 2008 au mois de mars 2009, à hauteur de la somme de 52 300 euros, n’a commencé à courir qu’à compter du 18 novembre 2011,
En effet c’était à cette date qu’un créancier de l’entreprise individuelle V, a écrit au procureur de la République afin de dénoncer le comportement de Monsieur V dont le train de vie paraissait disproportionné par rapport à la situation de son entreprise,
Qu’importe le prononcé de la liquidation judiciaire le 27 mars 2009,
La dénonciation de la banqueroute, point de départ ?
Monsieur V considérait que c’était à partir de cette dénonciation que l’infraction pouvait être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique de telle sorte que la Cour d’Appel ne pouvait considérer que les transferts de fonds litigieux avaient été dissimulés
Banqueroute et transfert de fonds
Ceci d’autant plus qu’aucune démonstration n’avait été faite que toute trace de ces transferts avait été retirée par le prévenu des documents comptables portés à la connaissance de la juridiction ayant prononcé la liquidation judiciaire de l’entreprise,
Il n’était pas plus précisé en quoi les conditions dans lesquelles ces transferts de fonds ont été opérés auraient empêché le juge de la procédure collective d’en constater l’existence au jour du prononcé de la liquidation judiciaire.
Monsieur V rappelait que le délai de prescription de l’action publique n’est reporté au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique qu’à l’égard des infractions occultes ou dissimulées
Rappelons qu’est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte,
En l’espèce, pour estimer que la prescription des faits de banqueroute par détournement d’actif visée à la prévention, concernant des transferts de fonds qui auraient été opérés du mois d’avril 2008 au mois de mars 2009, à hauteur de la somme de 52 300 euros, n’a commencé à courir qu’à compter du 18 novembre 2011, la cour d’appel a relevé que c’était à cette date qu’un créancier de l’entreprise individuelle V qui avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire prononcée le 27 mars 2009, avait écrit au Procureur de la République afin de dénoncer le comportement de Monsieur V.
Pour autant Monsieur V considérait que rien dans l’existence des transferts de fonds litigieux, n’étaient de nature à démontrer que ceux-ci avaient été dissimulés par le prévenu ou opérés dans des conditions occultes.
La Cour de Cassation est attentive à ces problématiques.
Banqueroute occulte ou banqueroute dissimulée ?
La Haute juridiction considère qu’en cas d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, constitue notamment le délit de banqueroute le fait d’avoir détourné tout ou partie de l’actif du débiteur.
Dans cette hypothèse, au regard de ses éléments constitutifs, ce délit ne constitue pas une infraction occulte par nature.
En matière de banqueroute, la prescription de l’action publique ne court que du jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire lorsque les faits incriminés sont apparus avant cette date.
Le report du point de départ de la prescription est justifié par le fait que l’exercice de poursuites du chef de banqueroute est subordonné à l’ouverture d’une procédure collective.
Il en résulte que lorsque les faits frauduleux sont apparus entre le jour du jugement ouvrant une procédure de redressement judiciaire et le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, il n’y a pas lieu de repousser le point de départ du délai de prescription à la date de cette seconde décision
Il se déduit que lorsque le détournement constitutif du délit de banqueroute a été réalisé postérieurement au jugement ouvrant une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le délai de prescription court à compter de la date de commission des faits, sauf s’il est établi que l’infraction a été délibérément dissimulée.
Banqueroute postérieure à la liquidation judiciaire
En l’espèce, pour écarter l’exception de prescription soulevée par le prévenu, poursuivi pour des faits qualifiés de banqueroute, commis entre avril 2008 et mars 2009, l’arrêt attaqué relève que l’entreprise individuelle V a été placée en redressement judiciaire le 13 novembre 2002, puis que la liquidation judiciaire a été prononcée le 27 mars 2009, se retrouvant ainsi en faillite.
Les juges retiennent que le délai de prescription de l’action publique a commencé à courir le 18 novembre 2011, jour de la dénonciation des faits au Procureur de la République effectuée par l’un des créanciers de l’entreprise, date à partir de laquelle le ministère public a fait diligenter une enquête.
La Cour d’Appel en conclut que la période de prévention antérieure à cette date ne pouvait être atteinte par les délais de la prescription et que les différents actes d’enquête accomplis à compter de cette date ayant interrompu la prescription jusqu’à la citation renvoyant les prévenus devant le Tribunal Correctionnel, la prescription n’a donc jamais été acquise.
Pour autant, si l’action publique est recevable, la Cour de cassation considère que le délit de banqueroute, par dissimulation, n’est pas caractérisée,
Ainsi, en cas de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le chef d’entreprise poursuivi pour délit de banqueroute dispose de plusieurs cordes à son arc,
En effet, en premier lieu la question de la prescription de l’action demeure un point important,
Par ailleurs, en deuxième lieu, il appartient au chef d’entreprises de vérifier si, oui ou non, le Ministère Public est en mesure caractériser le délit de banqueroute, tantôt banqueroute occulte, tantôt dissimulée,
Le chef d’entreprise peut également remettre en question l’idée même d’une banqueroute pour détournement d’actifs, celui-ci devant encore être prouvé,
Ainsi, même en faillite, les options de défense sont nombreuses.
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat à Fréjus, avocat à Saint Raphael, Docteur en Droit,
https://www.laurent-latapie-avocat.fr/constitutionnalite-dune-interdiction-de-gerer/