assignation en redressement judiciaire et prescription de la créance du créancier, qu’en est-il ?

Laurent Latapie avocat banque
Laurent Latapie avocat banque

Un débiteur assigné en redressement judiciaire peut-il opposer la prescription de la créance revendiquée par le créancier pour caractériser sa cessation des paiements ?

 

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Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu en mai par la Cour de cassation et qui vient aborder la problématique du moyen de défense d’un débiteur, assigné par un créancier bancaire en redressement judiciaire et qui vient opposer, audit créancier, la prescription biennale de la créance bancaire.

 

Dans cette affaire, après plusieurs incidents de paiement du prêt immobilier, la banque, créancière de la SCI A avait prononcé la déchéance du terme et avait par la suite, assigné en redressement judiciaire et la SCI, qui, en défense, entendait opposer à la banque la prescription de son action.

 

Il convient de rappeler qu’en application des dispositions de l’article R631-2 du code du commerce l’assignation d’un créancier précise la nature et le montant de la créance et contient tout élément de preuve de nature à caractériser la cessation des paiements du débiteur. Lorsqu’il s’agit d’une exploitation agricole, le créancier joint à sa demande une attestation, délivrée par le greffier, de la saisine du président du tribunal judiciaire en application de l’article L. 351-2 du code rural et de la pêche maritime. 

 

La demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire est à peine d’irrecevabilité, qui doit être soulevée d’office, exclusive de toute autre demande relative au même patrimoine, à l’exception d’une demande d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire formée à titre subsidiaire.

Au visa de ce texte la question qui se posait était de savoir si le juge saisi pouvait soulever d’office la prescription de la créance fondant la demande d’ouverture de la procédure collective ?


Car, si la demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, liée à la cessation des paiements du débiteur, il n’en demeure pas moins que le débiteur saisi a la possibilité de s’opposer à la demande du créancier en soulevant notamment la prescription de sa demande, ou, à tout le moins, de la créance fondant sa créance.

 

De telle sorte que le premier Juge aurait excédé ses pouvoirs en statuant sur la prescription de la créance de la BNP.

 

De telle sorte que, pour le créancier, le jugement devrait être réformé sur cette base.

 

Il est vrai que la demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire est exclusive de toute autre demande laquelle serait jugée d’office irrecevable, et ce, à l’exception d’une demande d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire formée à titre subsidiaire.

 

Mais pour autant, en défense, et reconventionnellement, la prescription devrait pouvoir être soulevée et demandée par le débiteur.

 

Cela semble d’           autant plus évident que la notion de cessation des paiements du débiteur face à une créance du créancier peut être intimement liée à la question de sa prescription sont intimement liés.

 

Cela n’a pourtant pas empêché la Cour d’appel d’avoir déclaré certaines créances exigibles, et d’avoir constaté la cessation des paiements, justifiant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de ladite SCI tout en fixant provisoirement la date de cessation des paiements de la SCI au jour de la décision rendue.

 

Il convient de rappeler, qu’en application de l’article R131-1 du code de commerce, les créanciers et demandeurs à l’ouverture d’un redressement judiciaire doivent démontrer l’état de cessation des paiements de son débiteur. Cette cessation des paiements devant être caractérisé par l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible.

 

Dès lors, les dettes prises en compte au titre du passif doivent être liquides, certaines et exigibles, et cette vérification s’imposait à l’encontre de la créance que le débiteur considérait comme une créance litigieuse.

 

En l’espèce, la SCI a dénié à la créance alléguée par la banque tout caractère certain à raison notamment de la prescription à laquelle elle se heurterait de divergences à l’établissement de son quantum.

 

Pour autant, il n’appartiendrait pas au Juge si une demande de redressement judiciaire ne statuait sur les contestations relatives à la créance mais il lui revient de dire si celles-ci apparaissent ou non suffisamment sérieuses pour exercer une influence sur les ** du montant de la créance.

 

Dans cette affaire, la banque se prévalait d’un titre exécutoire qui résultait de l’acte notarié constatant le prêt consenti à la SCI A.

 

Aucune contestation n’était pendante devant une autre juridiction qui aurait pu la rendre litigieuse.

 

La SCI entendait dès lors opposer la prescription biennale au motif pris qu’il s’agissait d’un prêt immobilier.

 

Nous savons aujourd’hui que cette argumentation est désormais vaine….

 

En effet, se posait la question de savoir si oui ou non la contestation relative à la prescription de la créance revêtait un caractère sérieux dans la mesure où celle-ci sollicitait l’application d’une prescription biennale alors qu’en l’état de la réforme du code de la consommation et plus particulièrement au regard des dispositions liminaires du code de la consommation qui définissent le consommateur comme étant une personne physique, ce qui n’est évidemment plus le cas de la SCI.

 

La jurisprudence de la Cour de cassation refuse désormais l’application de la prescription biennale au contrat de prêt souscrit par une SCI même lorsque ce contrat fait référence aux dispositions du code de la consommation, de telle sorte que les Juges du fond ont considéré que cette argumentation ne pouvait apparaître comme étant sérieuse et ont ordonné l’ouverture de la procédure collective et placé la SCI en redressement judiciaire.

 

Si l’on suit ce raisonnement, la Haute juridiction rejette le pourvoi de la SCI A.


Cependant, ce raisonnement se fait en deux temps.

 

En premier lieu, elle sanctionne les juges du fond qui ont considéré que l’article R631-2 du code du commerce interdisait non seulement au créancier demandant l’ouverture d’une procédure collective, mais également au débiteur assigné de former à cette occasion toute autre demande, alors que cela n’empêche justement pas le débiteur assigné d’opposer à la demande d’ouverture la prescription de la créance invoquée.

 

Pour autant, dans un deuxième temps et sur le fond, la Haute juridiction considérait que la Cour d’appel avait à juste titre retenu que la société débitrice ne pouvait raisonnablement évoquer à son profit la prescription biennale des actions des professionnels pour les biens, les services qu’ils fournissent aux consommateurs, celle-ci étant une personne morale, elle ne pouvait légitimement revendiquer le droit à prescription biennale.

 

De telle sorte qu’il résultait que la créance de la banque n’était pas prescrite et il résultait bien en conséquence que la SCI ne disposait d’aucun actif disponible pour faire face à cette dette…

La procédure collective pouvait donc être ouverte.

 

Plusieurs enseignements découlent de cette jurisprudence intéressante.

 

Premièrement, elle rappelle que la prescription de la créance bancaire peut être opposée au créancier lorsque celle-ci est acquise, aussi afin d’éviter l’ouverture d’une procédure collective.

 

Rien n’empêche d’ailleurs le débiteur d’engager une action en responsabilité contre le créancier…

 

Deuxièmement, il ne faut pas oublier que le droit de l’entreprise en difficulté offre beaucoup d’avantages au débiteur en difficulté, en nom personnel, société commerciale ou encore société civile.

 

Les opportunités juridique et économiques sont nombreuses.

 

L’action en responsabilité contre le créancier demeure possible,

 

La contestation de créance aussi.

 

Et la présentation d’un plan de sauvegarde ou d’un plan de redressement offre aussi des opportunités intéressantes, et ce, dans le cadre d’un plan d’apurement des créances jusqu’à 10 ans.

 

Et ce, tout en préservant son actif, et en échappant même au besoin à une saisie immobilière inique.

 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr