Réservation en ligne par carte bleue et opposition à prélèvement

Un client peut-il faire opposition au prélèvement auprès de son établissement bancaire alors même qu’il a communiqué toutes ses références de carte bleue au site de réservation en ligne, qu’il s’agisse d’un site de réservation en ligne de chambres d’hôtel, de restaurants ou bien encore de voyages ou de séjours ?

Article :

Il convient de s’intéresser à deux arrêts rendus tantôt en mars 2009 tantôt en mai 2016 qui viennent aborder la problématique particulière de la réservation en ligne de chambres d’hôtel notamment lorsque le site réclame le numéro de carte bancaire sans que pour autant un débit soit autorisé et pour lequel par la suite le compte du client est prélevé.

Cette question s’impose d’autant plus que les conditions générales de ces sites précisent bien souvent que la réservation en ligne font état que la facturation ne prévoit aucun paiement de garantie, le numéro de carte bancaire étant simplement nécessaire pour la réservation et la carte bancaire ne pouvant faire l’objet de quelque débit que ce soit.

Or, il n’est pas rare de constater qu’en cas de difficultés, l’établissement hôtelier et le site en ligne procèdent à un prélèvement sur le compte de leur client sans que celui-ci en soit avisé et sans que la banque ne manifeste quelque vérification ou refus que ce soit.

La question qui se pose est de savoir si le client peut faire opposition au prélèvement auprès de l’établissement bancaire alors même qu’il a communiqué son numéro de carte bleue au site de réservation en ligne ?

Dans les conditions générales du site de réservation en ligne il est très souvent précisé que la résiliation en ligne n’entraine aucune facturation, ni paiement en garantie ni aucun débit.

Il est donc bien évident qu’en cas de prélèvement, le client peut former opposition auprès de sa banque et la banque ne peut refuser de faire droit à cette opposition au motif que la cliente aurait communiqué un numéro de carte bleue au site de réservation en ligne.

Le Code Monétaire et Financier prévoit que le titulaire du compte bancaire peut faire opposition à un prélèvement déjà effectué et en demander le remboursement à sa banque dans deux situations précises, savoir :

Il convient de rappeler les dispositions de l’article L 133-8 du Code Monétaire et Financier qui règlementent l’opposition à prélèvement

« I. – L’utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu’il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article.

II. – Lorsque l’opération de paiement est initiée par le bénéficiaire ou par le payeur qui donne un ordre de paiement par l’intermédiaire du bénéficiaire, le payeur ne peut révoquer l’ordre de paiement après avoir transmis l’ordre de paiement au bénéficiaire ou donné son consentement à l’exécution de l’opération de paiement au bénéficiaire.

 Lorsque l’opération de paiement est initiée par un prestataire de services de paiement fournissant un service d’initiation de paiement mentionné au 7° du II de l’article L. 314-1, le payeur ne peut révoquer l’ordre de paiement après avoir donné son consentement à ce que le prestataire de services de paiement fournissant le service d’initiation de paiement initie l’opération de paiement.

Toutefois, en cas de prélèvement et sans préjudice du droit à remboursement mentionné à l’article L. 133-25, le payeur peut révoquer l’ordre de paiement au plus tard à la fin du jour ouvrable précédant le jour convenu pour le débit des fonds.

III. – Dans le cas où il a été convenu entre l’utilisateur qui a ordonné l’opération de paiement et son prestataire de services de paiement que l’exécution de l’ordre de paiement commencera un jour donné ou à l’issue d’une période déterminée ou le jour où le payeur aura mis les fonds à la disposition de son prestataire de services de paiement, l’utilisateur de services de paiement peut révoquer l’ordre de paiement au plus tard à la fin du jour ouvrable précédant le jour convenu.

IV. – A l’expiration des délais mentionnés aux I, II et III, l’ordre de paiement ne peut être révoqué que si l’utilisateur de services de paiement et son prestataire de services de paiement en sont convenus. Dans les cas mentionnés au II, le consentement du bénéficiaire est également requis. Si la convention de compte de dépôt ou le contrat-cadre de services de paiement le prévoit, le prestataire de services de paiement peut imputer des frais pour la révocation. »

La jurisprudence vient clairement répondre sur cette problématique particulière à travers deux jurisprudences directement liées à la réservation en ligne.

Dans la première jurisprudence, Monsieur et Madame X M. et Mme X, titulaires d’un compte joint dans les livres de l’établissement bancaire souhaitant procéder à une réservation en ligne dans un hôtel, ont communiqué sur le site internet le numéro de la carte bancaire de Mme X.

Ils n’ont finalement pas donné suite à leur projet.

Pour autant leur compte a été ultérieurement débité à l’initiative de l’hôtel d’une somme de 780 euros à titre de pénalité, dont ils ont réclamé le remboursement à la banque.

Les consorts X ont alors décidés de poursuivre leur banque en responsabilité afin d’obtenir le remboursement de la somme prélevée sans leur accord et sans que leur opposition ait été suivie d’effet.

Or, le Tribunal d’Instance avait rejeté la demande de Madame X au motif pris que le numéro de la carte de crédit, sa date de validité et le cryptogramme visuel à trois chiffres avaient été communiqués volontairement sur le site internet de réservation en ligne de l’hôtel par cette dernière,

A bien y comprendre, la communication par le titulaire de la carte au site de réservation en ligne autorisait la banque, au vu de ces données transmises par le commerçant à payer et à débiter le compte,

Fort heureusement, la Cour de Cassation ne suit pas ce raisonnement et précise qu’en se déterminant par de tels motifs impropres à établir que Mme X, qui n’avait communiqué à distance les données figurant sur sa carte bancaire au site de réservation en ligne que pour garantir la réservation d’une chambre d’hôtel, sur un formulaire précisant que cette communication ne donnerait lieu à aucun débit,

De telle sorte que le client n’avait absolument pas donné un mandat de payer, et qu’à défaut d’un tel mandat, la banque était tenue de restituer la somme débitée.

Cette décision est salutaire,

Elle rappelle que la réservation en ligne dans la mesure où celle-ci n’entraine aucun paiement ni aucun débit, n’a pas vocation à faire l’objet d’un paiement par la banque.

Qu’en conséquence, le titulaire du compte est tout fait fondé à faire opposition à son prélèvement pour obtenir son remboursement.

La banque doit s’exécuter,

Rappelons le, l’article L 132-4 du code monétaire et financier, précise que « dans le cas où le paiement contesté a été effectué frauduleusement, à distance, sans utilisation physique de sa carte, si le titulaire de celle-ci conteste par écrit avoir effectué un paiement ou un retrait, les sommes contestées lui sont recréditées sur son compte par l’émetteur de la carte ou restituées, sans frais, au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception de la contestation. »

Dans la décision de mai 2016, la problématique est liée à l’utilisation d’une carte de débit différé puisque la banque avait cru bon donner suite au prélèvement alors même que la cliente et titulaire du compte avait fait opposition au motif pris qu’elle n’avait jamais donné son accord.

La banque, quant à elle, considérait que l’utilisation de la carte par la cliente emportait ordre de paiement irrévocable.

Là encore, la titulaire du compte est parfaitement fondée à faire opposition au prélèvement au motif que la banque ne pouvait se prévaloir d’un ordre de paiement irrévocable, alors qu’au contraire, la cliente n’avait pas donné mandat de paiement.

L’établissement hôtelier n’avait aucune autorisation de débit signée par la cliente de telle sorte que la banque ne pouvait pas débiter son compte,

Ces deux jurisprudences sont intéressantes,

Le client qui frappe d’opposition un prélèvement non autorisé par ses soins peux parfaitement sommer la banque de le rembourser,

Qu’importe le fait que le client ait communiqué ses références de carte bleue au site de réservation en ligne.

A bon entendeur,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Le motard et l’indemnisation intégrale de ses différents postes de préjudice

Dans le cadre d’un accident de la route, un motard indemnisé par l’assurance, et victime d’une aggravation des séquelles de l’accident souhaite obtenir une indemnisation intégrale de son préjudice. Analyse des développements parfois nécessaires pour permettre une indemnisation intégrale pour chaque poste d’indemnisation, et ils sont nombreux.

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel de Colmar en Avril 2018 et qui vient aborder la problématique spécifique de l’indemnisation intégrale de l’ensemble des chefs de préjudice dans le cadre d’un accident de la route avec un ou deux motocyclistes.

Dans cette affaire, le 2 janvier 2010, Monsieur C âgé de 52 ans, motard de son état, et exerçant la profession de mécanicien poids lourds avait été très sérieusement blessé dans un accident de la circulation,

Ce qui lui avait occasionné une fracture fermée du tableau tibial externe du genou gauche associée à une fracture de la tête de la fibula.

Une transaction était intervenue le 27 aout 2012 dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985 entre Monsieur C et l’assureur du véhicule adverse qui lui reconnaissait un droit à indemnisation à hauteur de 50 % avec une consolidation fixée au 13 février 2012 avec un taux de déficit fonctionnel permanent de 10%.

Cela semblait clore l’affaire,

Malheureusement, Monsieur C a été victime d’une aggravation des séquelles de l’accident, non contestée par la compagnie d’assurances d’ailleurs, qui a entrainé la mise en place d’une prothèse totale du genou le 31 mai 2013.

C’est dans ces circonstances que la compagnie d’assurances a formalisé une nouvelle proposition d’indemnisation sur la base d’un rapport d’expertise établi par deux docteurs le 4 avril 2014 fixant une nouvelle consolidation au 27 mars 2014 avec un taux de déficit fonctionnel permanent de 12%.

Pour autant, Monsieur C a contesté cette proposition d’indemnisation et a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg la compagnie d’assurances afin d’obtenir une indemnisation intégrale de son entier préjudice,

Un jugement a été rendu et appel a été interjeté par Monsieur C dans lequel il sollicite l’infirmation du jugement afin qu’il y ait une indemnisation intégrale de l’ensemble de ces préjudices.

Cette jurisprudence est intéressante en ce qu’elle vient justement, malgré sa lecture fastidieuse et l’ensemble des décomptes, aborder le principe même de l’indemnisation intégrale du préjudice subi.

En effet, il arrive trop fréquemment que l’ensemble des chefs de préjudice ne soit pas correctement indemnisé,

Tel est malheureusement le jeu entretenu par les compagnies d’assurances,

Indemniser à moindre cout…

Pour autant, les chefs de préjudice sont nombreux,

Ils sont sujets à autant de mise en place d’une indemnisation intégrale,

L’attrait de cette jurisprudence est justement de reprendre et de ventiler un grand nombre de chapitres d’indemnisation,

Tous distincts,

Tous importants,

Les chefs de préjudice se divisent en plusieurs familles,

Il convient de s’intéresser aux éléments fournis par Monsieur C pour faire valoir ses droits et obtenir l’indemnisation intégrale de ses différents postes de préjudices,

Les préjudices patrimoniaux peuvent de dissocier en deux grands volets à savoir :

Pour ce poste, la Cour rappelle qu’il faut fournir le décompte définitif fourni par la CPAM outre les frais de mutuelles qui doivent être justifiés par un certain nombre de pièces.

Dès lors, il appartient à la victime de produire l’ensemble des frais d’hospitalisation et de soins.

Monsieur C a pris soin de souligner la perte de salaires qui a vocation à être prise en compte en déduction des indemnités journalières ce qui permet de mettre en avant notamment les primes qui auraient été versées pendant la même période et qu’il n’aurait pas forcément reçues.

Monsieur C a pris soin de faire un décompte exact et précis de l’ensemble des frais engagés.

Ils sont nombreux.

Il a adressé les notes d’honoraires de son médecin, la facture du médecin conseil auteur du rapport d’expertise tout comme la facture du médecin qui l’a assisté lors de l’expertise, ainsi que les frais générés lors de son déplacement à Paris (parking, péage hôtel).

La Cour d’Appel considère que Monsieur C pouvait légitimement se faire assister par un médecin conseil de son choix au coté de l’expert de l’assureur adverse, de telle sorte que ces frais devaient être indemnisés.

La Cour d’Appel souligne par contre que la totalité des honoraires facturés par l’expert ne peut être prise en compte en l’état du montant abusif par rapport au tarif habituel.

Viennent s’ajouter des frais de téléphone et de télévision, de remise et copie du dossier médical, des frais postaux pour la constitution de son dossier bien que sur ce point, la Cour d’Appel émette une réserve puisqu’elle considère qu’il appartenait à Monsieur C de rapporter la preuve que tous les frais sollicités avaient bel et bien été exposés pour les besoins de son dossier et qu’ils avaient été nécessaires.

Concernant les frais de déplacement, il convient de fournir le certificat d’immatriculation du véhicule ainsi qu’un point précis des distances parcourues afin de permettre d’adapter le meilleur tarif fiscal au kilomètre le plus juste.

Monsieur C avait pris soin de faire un décompte précis de l’ensemble de ses déplacements entre son domicile et centre de réadaptation.

Il ressort notamment des pièces médicales listées dans le rapport d’expertise que son médecin lui a prescrit 20 séances de massages et rééducation de telle sorte que Monsieur C a réclamé les 40 allers retours comptabilisés entre son domicile et le kinésithérapeute.

Monsieur C avait également abordé la problématique de frais de vêtements pour la rééducation, mais sur ce point la Cour d’Appel rejette cette demande au motif pris qu’aucune justification n’est donnée concernant l’existence de tels vêtements.

Concernant l’assistance par tierce personne, une problématique est abordée puisque Monsieur C critique le nombre d’heures reconnu par l’expertise soutenant que c’est 3 heures dont il avait besoin durant la période du 10 juillet au 2 aout 2013 alors qu’il ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant puis de la période du 3 au 31 aout 2013 une heure par jour.

Si l’approche était judicieuse, il lui appartenait cependant de démontrer la portée exacte de cette analyse,

Mais la Cour souligne qu’aucun élément de fait dans le rapport d’expertise ne permet de majorer des heures, le compte rendu du 4 avril 2014 que le médecin conseil de Monsieur C a adressé à son avocat, indique que les conclusions retenues concernant l’aide humaine sont satisfaisantes.

Dans la mesure où aucun autre élément n’est versé aux débats à l’appui de la demande, la Cour d’Appel considère que le nombre d’heures à retenir est celui résultant des conclusions de l’expert et que par ailleurs celui-ci applique un tarif horaire à hauteur de 15 euros ce qui semble parfaitement raisonnable et adapté aux pratiques en la matière.

Ces postes d’indemnisation sont importants car ils viennent aborder la problématique de l’indemnisation totale de la victime et interviennent de différentes manières :

Monsieur C évoque la prise en charge d’un surcoût en l’état d’une boite automatique mais il ne donne pas d’éléments nécessaires sur celui-ci.

Il ne justifie pas de ce que son véhicule était équipé d’une boite de vitesse manuelle ni de ce qu’il a dû acquérir un nouveau véhicule avec une boite automatique.

La demande concerne la période du 27 mars 2015 au 5 janvier 2016 et vient aborder le sort de cette perte de gain.

La Cour d’Appel retient que le salaire mensuel net moyen avant l’accident était de 1 601,74 euros, qu’il a été licencié le 14 mars 2014 pour inaptitude, qu’il a perçu des allocations POLE EMPLOI et qu’il a finalement crée son entreprise le 5 janvier 2015.

Or, Monsieur C considérait que le juge avait retenu une somme sans déduire les allocations chômages perçues.

La Cour rappelle que seules devaient être imputées sur l’indemnité revenant à la victime les prestations versées par les tiers payeurs et que l’allocation de retour à l’emploi ne revêt pas un caractère indemnitaire et ne donne pas lieu à recours subrogatoire.

Le premier juge a rappelé que dans le cadre de la transaction intervenue avant l’aggravation, l’incidence professionnelle avait été chiffrée à 10 000 euros et que dans le cadre de l’aggravation, le juge avait accordé le même montant.

Pour autant, la Cour d’Appel souligne que Monsieur C est devenu inapte au poste de mécanicien poids lourds alors qu’il avait bénéficié, après l’accident et jusqu’à l’aggravation, d’un poste aménagé dans l’entreprise.

Si un recyclage est possible, il n’en demeure pas moins que l’aggravation a eu une incidence professionnelle bien plus importante que les séquelles antérieures en l’obligeant à se reconvertir, en lui occasionnant une dévalorisation de sa personne sur le marché de l’emploi du fait de son incapacité et en augmentant pour lui la pénibilité du travail.

Si la Cour d’Appel considère que cette incidence ne saurait être évaluée en tenant compte d’une perte éventuelle de gains professionnels et d’années de cotisation de retraite, il n’en demeure pas moins que l’incidence professionnelle a pour objet d’indemniser la perte de revenus liée à l’incapacité ainsi que les incidences périphériques.

La Cour a donc réhaussé très sérieusement le poste d’incidence professionnelle.

Sont également abordés mais de manière plus rapide et qui ne méritent pas de développement à ce stade l’ensemble des préjudices extra patrimoniaux qu’il convient de ventiler en différents postes :

Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident jusqu’à la consolidation.

La Cour retient un déficit fonctionnel permanent de bon niveau puisqu’elle rappelle qu’il s’agit ici de réparer les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime (telle que la réduction du potentiel physique, psychosensorielle ou intellectuelle), qui demeurent même après la consolidation et que le point passe de 10 à 12%.

La Cour considère que compte tenu de l’âge de la victime lors de la consolidation de ses blessures résultant de son aggravation le déficit fonctionnel permanent devait être réévalué à la hausse.

Il est vrai que le nombre de postes de préjudice est important et que la démonstration requise pour obtenir une indemnisation intégrale peut paraître laborieuse,

Pour autant, elle est fondamentale,

En effet, cette jurisprudence vient consacrer le fait que la victime d’un accident ne doit omettre aucun chef de préjudice pour obtenir une parfaite et maximale indemnisation de son entier préjudice.

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr