Reddition des comptes et responsabilité pour insuffisance d’actif

Un mandataire liquidateur peut-il engager une action en reddition des comptes contre le gérant d’une entreprise en liquidation judiciaire alors que le délai de 3 ans pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif est dépassé ?

Article :

Il convient de s’interresser à un arrêt rendu en novembre dernier qui vient aborder la question spécifique du choix du mandataire judiciaire entre l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et l’action en reddition des comptes telle que prévue par l’article 1993 du Code Civil.

Dans cette affaire la société A avait été placée en liquidation judiciaire le 11 juin 2009 et Maître X avait été désigné en qualité de liquidateur.

Ce dernier a, le 28 septembre 2012, (soit postérieurement au 3 ans requis pour engager une action en responsabilité pour insuffisance d’actif) et sur le fondement de l’obligation de reddition des comptes du mandataire social, assigné son gérant, Monsieur Y en paiement de la somme de 14 200 euros,

Dite somme pour lequel le mandataire liquidateur précisait que le gérant reconnaissait lui même avoir détourné au préjudice de la société.

La question qui se posait était de savoir si le mandataire judiciaire pouvait engager une action passé le délai de 3 ans en reddition des comptes alors qu’il ne pouvait plus faire une action en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Il convient de rappeler lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître, comme en l’espèce, une insuffisance d’actif, les dispositions de l’article L. 651-2 du Code de Commerce prévoient que :

« le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. »

Dans cette affaire la liquidation judiciaire avait été prononcée le 11 juin 2009 de telle sorte que l’action en comblement de passif était prescrite à partir du 12 juin 2012.

L’action en cause était lancée le 28 septembre 2012,

Dès lors la problématique de la faute de gestion interressait le gérant qui entendait considérer que cette nouvelle action en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil, était prescrite.

En effet, le gérant considérait que le mandataire judiciaire détournait l’action en reddition des comptes pour pouvoir rendre possible une action qui ne visait qu’à venir combler l’insuffisance d’actif de la procédure collective au titre de fautes de gestion.

Pour autant la Cour de Cassation fait la part des choses,

Elle considère que l’action en reddition de comptes prévue par l’article 1993 du Code Civil n’a pas le même objet que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de Commerce de telle sorte que le mandataire judiciaire est parfaitement fondé à engager une action à cette fin.

La Cour considère que le mandataire liquidateur, sans faire référence à une insuffisance d’actif, ne réclamait que le remboursement d’une somme payée par un client de la société, que le dirigeant de celle-ci avait conservée entre ses mains de telle sorte qu’il y avait bel et bien un axe de responsabilité, en reddition des comptes, au visa de l’article 1993 du Code Civil.

Cette jurisprudence est interressante puisqu’elle met en exergue le fait que le mandataire judiciaire peut cumuler les actions,

D’une part, l’action en responsabilité contre le gérant pour insuffisance d’actif au titre des fautes de gestion antérieures à l’ouverture de la procédure collective,

D’autre part, l’action en reddition des comptes au titre de fautes de gestion postérieures à l’ouverture de la procédure collective,

Il appartient donc au chef d’entreprise de s’organiser pour défendre ses intérets et être attentif à ses actes de gestion tant antérieurs que postérieurs à l’ouverture pour ne pas engager sa responsabilité personnelle tout au long des deux périodes en question.

Fort heureusement d’ailleurs, meme dans le cadre d’une action en reddition des comptes, les moyens de défense du gérant sont nombreux,

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr

Le protocole d’accord, titre exécutoire d’une saisie immobilière ?

Un créancier bénéficiant d’un protocole d’accord n’engageant qu’un seul des deux époux au paiement d’une créance peut-il envisager une saisie immobilière sur le bien commun des deux époux ?

Article :

Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour de Cassation en ce mois de décembre 2018 qui vient aborder la problématique de la saisie immobilière dans le cadre d’un protocole d’accord conclu qui n’engage qu’un seul des co-débiteurs de la créance bancaire.

Dans cette affaire Monsieur et Madame B avaient souscrit un prêt auprès de la société M GESTION aux droits de laquelle la banque vient, un prêt .

La banque les avait fait assigner devant un le Tribunal de Grande Instance de Lyon qui les avait condamnés à lui payer une certaine somme au titre du solde de ce prêt .

Monsieur et Madame B ont interjeté appel de cette décision.

Dans le cadre de cet appel un protocole d’accord avait été conclu entre les parties le 29 avril 2008 et le dit protocole d’accord avait été homologué par arrêt la Cour d’Appel du 24 juin 2008.

Pour autant, et sur le fondement de ce protocole d’accord homologué, la banque avait fait délivrer à Monsieur et Madame B un commandement de payer valant saisie immobilière.

Suite à l’audience d’orientation, le juge de l’orientation avait rejeté toutes les contestations de Monsieur et Madame B et avait ordonné la vente forcée du bien immobilier objet de la saisie.

Les débiteurs saisis ont tout naturellement interjeté appel de la décision du juge de l’orientation,

Pour confirmer le jugement ayant ordonné la vente forcée, la cour d’appel, quant à elle, retenait que la banque disposait de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs, celle-ci ne s’étant pas privée de cette possibilité en déchargeant dans ledit protocole d’accord Madame de sa dette de telle sorte qu’elle n’avait pas à recueillir son consentement exprès pour maintenir son droit.

Il ressortait en effet dudit protocole d’accord que Madame B avait été libérée de sa dette et n’avait pas donné son consentement pour engager le bien commun.

En effet, la créance dont se prévaut la banque était fondée sur ce protocole d’accord signé le 3 avril 2008 et homologué par arrêt de la Cour d’Appel de Lyon du 24 juin 2008.

Ce protocole d’accord avait eu pour objet de mettre un terme aux litiges et contentieux opposant les parties et avait notamment fixé la créance due par les époux B au titre d’un prêt consenti le 15 décembre 2008 dont ils étaient co-emprunteurs.

Dès lors que la banque avait déchargé Madame B de sa dette, la question était de savoir si le créancier pouvait saisir le bien commun.

En effet, l’immeuble objet de la présente procédure était commun aux époux B.

Il convient de rappeler que l’article 1415 du Code Civil prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres mais engage alors les biens communs,

De telle sorte que cet article porte interdiction de poursuivre le paiement de dettes résultant d’un emprunt ou d’un cautionnement sur les biens communs, sauf le consentement exprès de l’autre conjoint.

Il en serait également de même en l’état d’un protocole d’accord.

Tel n’est pas le cas dans cette affaire, car immanquablement, Madame B n’était plus tenue au paiement de la dette.

C’est donc à bon droit que la Cour de Cassation a considéré que la transaction libérait Madame B de tout engagement et toute obligation de paiement au titre du prêt,

Monsieur B restant le seul tenu au remboursement du prêt, la Cour d’Appel ne pouvait procéder à la vente du bien commun.

Par voie de conséquence, la banque, en signant le protocole d’accord (qu’elle avait d’ailleurs elle même rédigée) reconnaissait libérer Madame B de tout engagement et de toute obligation, de telle sorte qu’elle ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement sur les biens communs.

Il convient de rappeler que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Dans le cadre de l’article 2.1 du protocole d’accord, la banque a libéré Madame B de tout engagement au titre du prêt, dont Monsieur B restait seul tenu au remboursement à hauteur de 300 000 euros.

Dès lors, la Cour de cassation considère que l’article 1415 du Code Civil n’était pas applicable, que la dette de remboursement du prêt était restée une dette commune, la Cour d’Appel a violé l’article 1134 du Code Civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016,

Bien plus, dans le cadre de l’article 2.3 du protocole d’accord, Madame B libérée de son obligation à paiement, avait expressément consenti à ce que Monsieur B s’engage au remboursement du solde du prêt et avait accepté que ces paiements soient acquittés avec les seuls revenus de Monsieur B.

Pour autant, la haute juridiction considère à juste titre que cette stipulation ne permettait pas au prêteur d’agir en recouvrement sur un immeuble commun, de telle sorte que la Cour d’Appel a violé les articles 1134 et 1415 du Code Civil.

La Cour de Cassation a donc cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Lyon en rappelant qu’en l’état du protocole d’accord la banque ne disposait plus de la faculté d’agir en recouvrement des biens communs dans la mesure ou elle avait déchargé Madame B de sa dette et n’avait pas recueilli son consentement exprès pour maintenir son droit.

Cet arrêt est intéressant car la Cour de Cassation dit qu’en application du protocole d’accord conclu le 29 avril 2008 et homologué le 24 juin 2008, la banque privée ne peut poursuivre le recouvrement de sa créance sur le bien immobilier commun et en conséquence, de telle sorte que la banque est à juste titre déboutée de sa demande de vente forcée. 

Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,

Avocat, Docteur en Droit,

www.laurent-latapie-avocat.fr