Un preneur a bail commercial qui n’a pas payé ses loyers et qui est frappé d’une ordonnance de référé définitive constatant l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de ce chef peut-il sauver son bail en payant les loyers et en assignant à jour fixe le bailleur ?
Article :
Il convient de s’intéresser à un arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en avril 2018 qui vient aborder le sort du locataire commercial alors que le bail commercial a été résilié, le locataire ne payant pas ses loyers et la clause résolutoire ayant été acquise par décision du juge des référés, le locataire ayant fait le choix « malheureux » de ne pas se défendre à cette instance,
La question était de savoir quel échappatoire avec le preneur à bail commercial pour sauver son bail alors qu’une ordonnance de référé, désormais définitive, avait prononcé l’acquisition de la clause résolutoire et l’expulsion de plein droit de tout occupant de son chef,
Dans cette affaire, le 28 octobre 2013, Monsieur X avait fait l’acquisition d’un fonds de commerce de restaurant et donné à bail commercial pour 9 ans à compter du 1er octobre 2009 par une SCI, ladite SCI propriétaire des murs,
En l’état d’impayés de loyers et d’une absence d’exploitation temporaire du locataire, le bailleur fait délivrer, le 14 mars 2016, un commandement visant la clause résolutoire relative aux charges impayées en 2015, à des loyers de févriers et mars 2016 et aux fins d’avoir à justifier de l’attestation d’assurance et de l’exploitation des locaux, ces derniers étant fermés.
Par la suite, ce même bailleur apprend en se rendant inopinément sur place, que Monsieur X avait concédé le 1er avril 2016 (ce n’est pas un poisson), et pour deux ans l’exploitation du fonds en location gérance à Monsieur G.
Par la suite, le bailleur a assigné Monsieur X, locataire, devant le juge des référés,
Pour autant, et pour des raisons qu’on ignore, le locataire n’a pas pu, ou n’a pas cru, se présenter ou se faire représenter,
C’est dans ces circonstances que par ordonnance de référé en date du 5 octobre 2016, le Président du Tribunal de Grande Instance de Draguignan a résilié de plein droit le bail commercial, par acquisition de la clause résolutoire le 15 avril 2016, et a ordonné l’expulsion de Monsieur X, nonobstant sa condamnation au paiement d’une somme provisionnelle de 19 925,86 euros.
Cette décision a été signifiée et est donc devenue définitive, faute pour Monsieur X d’avoir frappé de recours la décision en litige,
Le bail commercial serait il alors perdu pour toujours ?
Pas nécessairement…,
Monsieur X tente une approche différente afin de sauver son bail commercial,
Il s’est fait autorisé, par ordonnance du 16 mars 2017, à assigner à jour fixe le bailleur devant le Tribunal de Grande Instance afin d’obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire et des délais de paiement.
Cette tentative a échoué en première instance,
Par jugement du 1er juin 2017, le Tribunal de Grande Instance a rejeté cette demande de suspension des effets de la clause résolutoire, a constaté l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 15 avril 2016, ordonné l’expulsion de Monsieur X et l’a condamné au paiement de la somme de 6 952,36 euros correspondant au solde de l’indemnité d’occupation due au jour de la décision rendue et ce au bénéfice de l’exécution provisoire.
Monsieur X a relevé appel de ce jugement.
A ce stade, il n’échappera pas au lecteur attentif que dans le cadre de cette procédure à jour fixe de dernière minute, Monsieur X avait pris soin d’accompagner son action salvatrice d’un certain nombre de paiement visant à réduire comme peau de chagrin la créance des loyers dus.
Cette démarche, peut-être inopérante sur le terrain juridique demeurait bien pensée sur le terrain économique,
Pour autant, le bailleur n’a pas manqué de faire preuve de résistance et a naturellement contesté les prétentions de Monsieur X, au motif pris notamment de ce que la créance de loyers, malgré les efforts conséquents n’était toujours pas soldée,
Et que par ailleurs, plusieurs violations au bail commercial ont été constatées.
Le bailleur faisait notamment valoir que le commandement de payer était parfaitement régulier ,
Bien plus que les infractions constatées étaient toujours d’actualité et notamment que la location gérante était irrégulière, et ce, à double titre,
En premier lieu, elle n’était pas autorisée par le bailleur,
En deuxième lieu, le locataire gérant n’était toujours pas inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés outre que son accord n’a pas requis.
En troisième lieu par le locataire gérant, personne physique tel qu’il en résultait du contrat de location gérance litigieux, avait pris soin de se faire substituer par une société finalement crée, alors que ni le bail commercial litigieux, ni le contrat de location gérance ne prévoit de faculté de substitution.
En quatrième lieu parce que par dessus tout, le locataire gérant, fut-ce t’il personne physique ou personne morale, avait eu, en sus, l’outrecuidance de procéder à des installations non autorisées par ledit bail commercial,
L’ensemble de ses arguments juridiques amenaient le bailleur à penser qu’il obtiendrait, au fond, la confirmation de la décision obtenue au seul stade des référés,
Pour autant la Cour ne partage pas cet avis.
Dans un premier temps, elle confirme que le commandement de payer est parfaitement valable,
Qu’aux termes de ce commandement de payer visant la clause résolutoire, au titre du paiement des loyers de février et mars 2016 ainsi que d’un arriéré de charges de 2015, il était imparti un délai d’un mois à la locataire pour s’acquitter de la somme en principal de 3 991,96 euros.
Or, il est dans un premier temps constant qu’aucun règlement n’est intervenu de la part de Monsieur X dans le délai du commandement de payer,
Suivant ce raisonnement, la Cour constate que la clause résolutoire est acquise, le jugement étant dès lors confirmé en ce qu’il a constaté la résiliation du bail par l’effet de la clause résolutoire.
Pour autant, l’effort fait par Monsieur X sur le terrain économique, pendant le temps de la procédure au fond, fut-ce t’elle à jour fixe, semble être payant,
Puisque Monsieur X a réglé dans le même laps de temps plus de 23 588,810 euros, ce qui a permis de solder l’ensemble des causes du commandement de payer ainsi que les créances ultérieures, générées depuis lors,
De telle sorte qu’au jour ou la Cour s’exprime, la dette est quasiment soldée,
Au regard de ces éléments, la Cour considère qu’il y a matière à accorder à Monsieur X des délais courant du 15 avril 2016 au 31 mars 2017 (date à laquelle la cause locative du commandement de payer est soldé) pour s’acquitter de sa dette locative et justifier d’une attestation d’assurance,
La Cour ordonne alors la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le cours des délais accordé.
Elle constate qu’à la date du 31 mars 2017, Monsieur X s’est acquitté des causes du commandement du 14 mars 2016 visant la clause résolutoire et a justifié d’une assurance des locaux de telle sorte que la clause résolutoire ne peut plus jouer passé cette date,
Dès lors, Monsieur X conserve et sauve son bail commercial,
Cependant, se posait toujours la question de la location gérance mise en place in extrémis par Monsieur X qui semblait dans l’impossibilité d’exploiter lui même le local objet du bail commercial,
Pour autant, la Cour déboute le bailleur de ses contestations et de ses demandes aux fins de résiliation du bail de ce chef et considère qu’il appartenait au propriétaire de justifier de la poursuite de l’infraction reprochée au locataire au-delà du délai d’un mois imparti par le commandement, poursuite qui ne résulte pas des constatations effectuées le 14 mars et le 15avril 2016 soit dans ce délai et non au-delà.
N’ayant pas sollicité le prononcé de la résiliation du bail de ce chef (et pour cause, le bailleur l’ignorait au moment de la signification du commandement de payer), les violations alléguées relatives au contrat de location-gérance, non visées dans le commandement de payer, sont en conséquence sans objet.
Cela peut malgré tout sembler contestable car dans la mesure ou le preneur à bail commercial avait assigné à jour fixe devant le Tribunal de Grande instance statuant au fond, et non plus dans le cadre d’une procédure de référé, le bailleur était en droit de solliciter, non plus que soit acquis la clause résolutoire tel que découlant du commandement de payer, la résiliation du bail commercial aux torts du locataire principal,
Pour autant, la Cour d’appel ne retient pas cette argumentation et ce, pour deux raisons,
En premier lieu, sur le terrain juridique, si le contrat de bail commercial interdisait la cession ou la sous location du bail commercial, rien n’est prévu quant au contrat de location gérance,
En deuxième lieu, sur le terrain économique, la Cour semble avoir des « scrupules » à prononcer la résiliation du bail commercial alors même que le preneur à bail, nonobstant les difficultés rencontrées a fait au mieux pour régler la créance de loyers et finir à jour de ses dettes locatives devant la Cour,
Cette stratégie du locataire principal, qui a rencontré des difficultés et qui subit les conséquences juridiques d’une ordonnance de référé ou il n’a pu se défendre est judicieuse,
En effet, nonobstant le non paiement de loyers et l’obtention d’une ordonnance de référé désormais définitive, l’assignation à jour fixe visant à obtenir la suspension des effets de la clause résolutoire accompagnée d’une demande de délais de paiement s’avère, dans ce cas d’espèce, efficace,
Cette stratégie permet sinon en droit mais plutôt sur un terrain purement économique de démontrer les efforts faits par le locataire pour rattraper une situation qu’il a lui même générée.
Cette décision n’est pas satisfaisante sur le terrain juridique.
Il convient de rappeler qu’entre l’arrêt rendu par la Cour d’Appel en avril 2018 et les causes du commandement de payer remettant à mars 2016, plus de deux ans se sont écoulé sans que le bailleur soit assuré d’une parfaite exécution de bonne foi du contrat de bail commercial par le locataire.
Cependant sur le terrain économique elle l’est parfaitement,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,