Un créancier commercial étranger peut-il faire exécuter en France une décision obtenue dans un autre pays ? Le débiteur peut il opposer la fraude au motif que la décision étrangère n’aurait pu être rendue en France ?
Il convient de s’intéresser à la faculté qu’à un créancier commercial étranger de faire exécuter en France une décision obtenue dans un autre pays,
Cette problématique aborde la question de l’exequatur d’une décision qui viendrait condamner une personne au paiement d’une créance qui aurait été fixée par une juridiction étrangère et plus particulièrement américaine.
Or, la véritable difficulté en droit commercial, encore au plus au niveau international, n’est pas tant d’obtenir une décision de justice, mais d’arriver à la faire exécuter, et en cas d’une décision étrangère de la faire exécuter en France,
Il convient de rappeler que l’exequatur permet donner force exécutoire à un jugement étranger sur le territoire français et par là même d’ exécuter en France une décision de droit étranger,
Lorsque cette exécution ne se fait pas par le biais d’une convention internationale ou d’un accord international, l’exequatur ne peut être accordée que si elle satisfait un certain de conditions et respecte une procédure particulière.
Trois critères sont clairement évoqués par les textes mais aussi par la jurisprudence.
Le juge français doit vérifier:
- La compétence du juge étranger ayant rendu la décision faisant l’objet d’une demande d’exéquatur
- L’absence de fraude à la loi,
C’est dans ces circonstances que par jugement en date du 27 aout 1993 le Tribunal d’Instance du District de Columbia a condamné M. X…, de nationalité colombienne, à payer aux sociétés américaines NA CORPORATIONS, ainsi qu’aux sociétés colombiennes AV SA, la somme de 3 987 916,66 dollars américains, outre les intérêts.
Ce qui n’est pas rien,
- X… s’étant établi en France, les sociétés l’ont fait assigner pour obtenir l’exequatur de cette décision afin de permettre d’ exécuter en France la décision américaine,
Par jugement du 1er février 2000, le tribunal de grande instance les en a pourtant déboutées,
Aux motifs qu’il n’existait pas de lien rattachant les faits litigieux au territoire américain et qu’en outre la loi applicable était la loi colombienne ;
Empêchant par la même les sociétés de droit étranger d’ exécuter en France leur décision américaine contre leur débiteur résidant en France,
Appel a été interjeté et la Cour d’Appel d’Aix en Provence a donné raison aux créanciers, leur permettant ainsi d’ exécuter en France, nonobstant le pourvoi,
Pour autant, Monsieur X s’est donc pourvu en cassation.
Devant la Cour de Cassation, Monsieur X considérait que le jugement rendu le 27 août 1993 par le tribunal d’instance du district de Columbia était irrégulier et que par conséquence la compétence du Juge étranger n’était pas acquise,
Au motif pris notamment que les demandeurs principaux étaient en son temps domiciliés en Colombie.
En conséquence, le créancier ne justifiait pas d’un lien suffisant du litige sur le district de Columbia, la seule signature dans ce district d’une convention par une société dirigée par M. X.ne pouvait permettre la compétence du Juge américain, ledit créancier ne pouvait donc exécuter en France,
La cour d’appel aurai-elle alors méconnu les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale ?
Monsieur X rappelait que l’exequatur d’un jugement étranger ne peut être accordé que si le juge étranger a appliqué la loi désignée par la règle française de conflit ou une loi conduisant à un résultat équivalent,
En accordant l’exequatur à un jugement américain qui avait fait application de la loi américaine, afin de permettre au créancier d’ exécuter en France, sans rechercher, si la loi compétente n’était pas la loi colombienne du siège de la société, la cour d’appel n’avait pas privilégié la règle française de conflit,
Pour autant, la Cour de Cassation ne s’y trompe pas,
Elle rappelle que pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir :
- la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi,
- la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et
- l’absence de fraude à la loi.
La Cour de Cassation considéré que le tribunal du district de Columbia avait retenu sa compétence internationale conformément aux règles de procédure civile fédérale qui lui donnaient compétence pour connaître des demandes formées à l’encontre des ressortissants d’un Etat étranger dans la mesure ou le principal défendeur étant lui-même domicilié à Washington et que les « chefs d’accusation à l’encontre de Monsieur X visaient des faits commis à l’occasion de ses relations d’affaires à Washington avec le défendeur principal et que deux des cinq sociétés demanderesse étaient de droit américain et domiciliées sur le territoire des Etats-Unis ».
Cette jurisprudence est salutaire,
Elle rappelle la stricte exigence des trois critères sus-évoqués pour procéder à l’exéquatur d’une décision étrangère et dans notre cas d’espèce d’une décision américaine, permettant au créancier étranger d’ exécuter en France une décision de droit étranger,
Concernant par ailleurs le critère de la fraude à la loi, il convient également de s’intéresser à un arrêt du 4 mai 2017 qui aborde la question spécifique de la fraude à la loi,
Cette notion est subtile, Maître Laurent LATAPIE, en qualité de Docteur en Droit ayant d’ailleurs largement abordé ce sujet dans sa thèse : Le soutien bancaire d’une entreprise en difficulté après la loi du 26 juillet 2005 », soutenu en 2010 à la Faculté de Droit de l’Université de Nice Sophia Antipolis,
Dans cette jurisprudence, la question était de savoir si pouvait constituer une fraude le fait d’obtenir à l’étranger une décision dans la perspective de l’invoquer ultérieurement en France, pour permettre au demandeur d’ exécuter en France une décision étrangère alors qu’aucun Juge français n’aurait rendu une telle décision.
Toujours est il que le droit américain a vocation à s’appliquer au fond du litige,
C’est donc à bon droit que la société américaine a obtenu un décision devant le Tribunal d’Instance du district de Columbia
Il ne restait plus qu’à exécuter en France,
La procédure d’exéquatur s’imposait,
Dès lors que les trois critères étaient remplis, Monsieur X ne pouvait venir aborder la question spécifique de la règle de conflit de lois française qui est une problématique de fond qui aurait du être soulevé en son temps.
C’est donc à bon droit que La Cour de Cassation considère et rappelle que pour accorder l’exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure et l’absence de fraude à la loi ;
Ainsi, le juge de l’exequatur n’a donc pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de conflit de loi française,
Par voie de conséquence, les créanciers étrangers peuvent, fort d’une décision de condamnation obtenue dans un autre pays, exécuter en France un débiteur des lors que les trois critères cumulatifs propres à la procédure d’exéquatur sont respectés,
Article rédigé par Maître Laurent LATAPIE,
Avocat, Docteur en Droit,